Edgar Allan Poe (1809-1849)

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Liza
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Re: Edgar Allan Poe (1809-1849)

Message par Liza »

Une canne à bec de corbin.
Aujourd’hui, nous utiliserions l’adjectif dérivé : une canne à bec corbin.
Dont le pommeau est taillé en forme de bec de corbeau.

Démaillottement et du déboyautement, j’ai compris tout de suite, toutefois ces mots me sont inconnus.
On ne me donne jamais rien, même pas mon âge !
 
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Montparnasse
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Re: Edgar Allan Poe (1809-1849)

Message par Montparnasse »

N°3

Il s’ensuivit une série étourdissante de questions et de calculs par lesquels on découvrit que l’antiquité de la momie avait été très grossièrement estimée. Il y avait cinq mille cinquante ans et quelques mois qu’elle avait été déposée dans les catacombes d’Eleithias.

« Mais ma remarque, reprit M. Buckingham, n’avait pas trait à votre âge à l’époque de votre ensevelissement (je ne demande pas mieux que d’accorder que vous êtes encore un jeune homme), et j’entendais parler de l’immensité de temps pendant lequel, d’après votre propre explication, vous êtes reste confit dans l’asphalte.

— Dans quoi ? dit le comte.

— Dans l’asphalte, persista M. Buckingham.

— Ah ! oui ; j’ai comme une idée vague de ce que vous voulez dire ; — en effet, cela pourrait réussir, — mais, de mon temps, nous n’employions guère autre chose que le bichlorure de mercure.

— Mais ce qu’il nous est particulièrement impossible de comprendre, dit le docteur Ponnonner, c’est comment il se fait qu’étant mort et ayant été enseveli en Égypte, il y a cinq mille ans, vous soyez aujourd’hui parfaitement vivant, et avec un air de santé admirable.

— Si à cette époque j’étais mort, comme vous dites, répliqua le comte, il est plus que probable que mort je serais resté ; car je m’aperçois que vous en êtes encore à l’enfance du galvanisme, et que vous ne pouvez pas accomplir par cet agent ce qui dans le vieux temps était chez nous chose vulgaire. Mais le fait est que j’étais tombé en catalepsie, et que mes meilleurs amis jugèrent que j’étais mort, ou que je devais être mort ; c’est pourquoi ils m’embaumèrent tout de suite. — Je présume que vous connaissez le principe capital de l’embaumement ?

— Mais pas le moins du monde.

— Ah ! je conçois ; — déplorable condition de l’ignorance ! Je ne puis donc pour le moment entrer dans aucun détail à ce sujet ; mais il est indispensable que je vous explique que, en Égypte, embaumer, à proprement parler, était suspendre indéfiniment toutes les fonctions animales soumises au procédé. Je me sers du terme animal dans son sens le plus large, comme impliquant l’être moral et vital aussi bien que l’être physique. Je répète que le premier principe de l’embaumement consistait, chez nous, à arrêter immédiatement et à tenir perpétuellement en suspens toutes les fonctions animales soumises au procédé. Enfin, pour être bref, dans quelque état que se trouvât l’individu à l’époque de l’embaumement, il restait dans cet état. Maintenant, comme j’ai le bonheur d’être du sang du Scarabée, je fus embaumé vivant, tel que vous me voyez présentement.

— Le sang du Scarabée ! s’écria le docteur Ponnonner.

— Oui. Le Scarabée était l’emblème, les armes d’une famille patricienne très distinguée et peu nombreuse. Être du sang du Scarabée, c’est simplement être de la famille dont le Scarabée est l’emblème. Je parle figurativement.

— Mais qu’a cela de commun avec le fait de votre existence actuelle ?

— Eh bien, c’était la coutume générale en Égypte, avant d’embaumer un cadavre, de lui enlever les intestins et la cervelle ; la race des Scarabées seule n’était pas sujette à cette coutume. Si donc je n’avais pas été un Scarabée, j’eusse été privé de mes boyaux et de ma cervelle, et, sans ces deux viscères, vivre n’est pas chose commode.

— Je comprends cela, dit M. Buckingham, et je présume que toutes les momies qui nous parviennent entières sont de la race des Scarabées.

— Sans aucun doute.

— Je croyais, dit M. Gliddon très timidement, que le Scarabée était un des dieux égyptiens.

— Un des quoi égyptiens ? s’écria la momie sautant sur ses pieds.

— Un des dieux, répéta le voyageur.

— Monsieur Gliddon, je suis réellement étonné de vous entendre parler de la sorte, dit le comte en se rasseyant. Aucune nation sur la face de la terre n’a jamais reconnu plus d’un dieu. Le Scarabée, l’Ibis, etc., étaient pour nous (ce que d’autres créatures ont été pour d’autres nations) les symboles, les intermédiaires par lesquels nous offrions le culte au Créateur, trop auguste pour être approché directement. »

Ici, il se fit une pause. À la longue, l’entretien fut repris par le docteur Ponnonner.

« Il n’est donc pas improbable, d’après vos explications, dit-il, qu’il puisse exister, dans les catacombes qui sont près du Nil, d’autres momies de la race du Scarabée dans de semblables conditions de vitalité ?

— Cela ne peut pas faire l’objet d’une question, répliqua le comte ; tous les Scarabées qui par accident ont été embaumés vivants sont vivants. Quelques-uns même de ceux qui ont été ainsi embaumés à dessein peuvent avoir été oubliés par leurs exécuteurs testamentaires et sont encore dans leurs tombes.

— Seriez-vous assez bon, dis-je, pour expliquer ce que vous entendez par embaumés ainsi à dessein ?

— Avec le plus grand plaisir, répliqua la momie, après m’avoir considéré à loisir à travers son lorgnon ; car c’était la première fois que je me hasardais à lui adresser directement une question. Avec le plus grand plaisir, dit-elle. La durée ordinaire de la vie humaine, de mon temps, était de huit cents ans environ. Peu d’hommes mouraient, sauf par suite d’accidents très extraordinaires, avant l’âge de six cents ; très peu vivaient plus de dix siècles ; mais huit siècles étaient considérés comme le terme naturel. Après la découverte du principe de l’embaumement, tel que je vous l’ai expliqué, il vint à l’esprit de nos philosophes qu’on pourrait satisfaire une louable curiosité, et en même temps servir considérablement les intérêts de la science, en morcelant la durée moyenne et en vivant cette vie naturelle par acompte. Relativement à la science historique, l’expérience a démontré qu’il y avait quelque chose à faire dans ce sens, quelque chose d’indispensable. Un historien, par exemple, ayant atteint l’âge de cinq cents ans, écrivait un livre avec le plus grand soin ; puis il se faisait soigneusement embaumer, laissant commission à ses exécuteurs testamentaires pro tempore de le ressusciter après un certain laps de temps — mettons cinq ou six cents ans. Rentrant dans la vie à l’expiration de cette époque, il trouvait invariablement son grand ouvrage converti en une espèce de cahier de notes accumulées au hasard, — c’est-à-dire en une sorte d’arène littéraire ouverte aux conjectures contradictoires, aux énigmes et aux chamailleries personnelles de toutes les bandes de commentateurs exaspérés. Ces conjectures, ces énigmes qui passaient sous le nom d’annotations ou corrections, avaient si complètement enveloppé, torturé, écrasé le texte, que l’auteur était réduit à fureter partout dans ce fouillis avec une lanterne pour découvrir son propre livre. Mais, une fois retrouvé, ce pauvre livre ne valait jamais les peines que l’auteur avait prises pour le ravoir. Après l’avoir récrit d’un bout à l’autre, il restait encore une besogne pour l’historien, un devoir impérieux : c’était de corriger, d’après sa science et son expérience personnelles, les traditions du jour concernant l’époque dans laquelle il avait primitivement vécu. Or, ce procédé de recomposition et de rectification personnelle, poursuivi de temps à autre par différents sages, avait pour résultat d’empêcher notre histoire de dégénérer en une pure fable.

— Je vous demande pardon, dit alors le docteur Ponnonner, posant doucement sa main sur le bras de l’Égyptien, je vous demande pardon, monsieur, mais puis-je me permettre de vous interrompre pour un moment ?

— Parfaitement, monsieur, répliqua le comte en s’écartant un peu.

— Je désirais simplement vous faire une question, dit le docteur. Vous avez parlé de corrections personnelles de l’auteur relativement aux traditions qui concernaient son époque. En moyenne, monsieur, je vous prie, dans quelle proportion la vérité se trouvait-elle généralement mêlée à ce grimoire ?

— On trouva généralement que ce grimoire — pour me servir de votre excellente définition, monsieur, — était exactement au pair avec les faits rapportés dans l’histoire elle-même non récrite, — c’est-à-dire qu’on ne vit jamais dans aucune circonstance un simple iota de l’un ou de l’autre qui ne fût absolument et radicalement faux.

— Mais, puisqu’il est parfaitement clair, reprit le docteur, que cinq mille ans au moins se sont écoulés depuis votre enterrement, je tiens pour sûr que vos annales à cette époque, sinon vos traditions, étaient suffisamment explicites sur un sujet d’un intérêt universel, la Création, qui eut lieu, comme vous le savez sans doute, seulement dix siècles auparavant, ou peu s’en faut.

— Monsieur ! fit le comte Allamistakeo.

Le docteur répéta son observation mais ce ne fut qu’après mainte explication additionnelle qu’il parvint à se faire comprendre de l’étranger. À la fin, celui-ci dit, non sans hésitation :

« Les idées que vous soulevez sont, je le confesse, entièrement nouvelles pour moi. De mon temps, je n’ai jamais connu personne qui eût été frappé d’une si singulière idée, que l’univers (ou ce monde, si vous l’aimez mieux) pouvait avoir eu un commencement. Je me rappelle qu’une fois, mais rien qu’une fois, un homme de grande science me parla d’une tradition vague concernant la race humaine ; et cet homme se servait comme vous du mot Adam, ou terre rouge. Mais il l’employait dans un sens générique, comme ayant trait à la germination spontanée par le limon, — juste comme un millier d’animalcules, — à la germination spontanée, dis-je, de cinq vastes hordes d’hommes, poussant simultanément dans cinq parties distinctes du globe presque égales entre elles.

Ici, la société haussa généralement les épaules, et une ou deux personnes se touchèrent le front avec un air très significatif. M. Silk Buckingham, jetant un léger coup d’œil d’abord sur l’occiput, puis sur le sinciput d’Allamistakeo, prit ainsi la parole :

« La longévité humaine dans votre temps, unie à cette pratique fréquente que vous nous avez expliquée, consistant à vivre sa vie par acompte, aurait dû, en vérité, contribuer puissamment au développement général et à l’accumulation des connaissances. Je présume donc que nous devons attribuer l’infériorité marquée des anciens Égyptiens dans toutes les parties de la science, quand on les compare avec les modernes et plus spécialement avec les Yankees, uniquement à l’épaisseur plus considérable du crâne égyptien.

— Je confesse de nouveau, répliqua le comte avec une parfaite urbanité, que je suis quelque peu en peine de vous comprendre ; dites-moi, je vous prie, de quelles parties de la science voulez-vous parler ? »

Ici, toute la compagnie, d’une voix unanime, cita les affirmations de la phrénologie et les merveilles du magnétisme animal.

Nous ayant écoutés jusqu’au bout, le comte se mit à raconter quelques anecdotes qui nous prouvèrent clairement que les prototypes de Gall et de Spurzheim avaient fleuri et dépéri en Égypte, mais dans une époque si ancienne, qu’on en avait presque perdu le souvenir, — et que les procédés de Mesmer étaient des tours misérables en comparaison des miracles positifs opérés par les savants de Thèbes, qui créaient des poux et une foule d’autres êtres semblables.

Je demandai alors au comte si ses compatriotes étaient capables de calculer les éclipses. Il sourit avec une nuance de dédain et m’affirma que oui.

Ceci me troubla un peu ; cependant, je commençais à lui faire d’autres questions relativement à leurs connaissances astronomiques, quand quelqu’un de la société, qui n’avait pas encore ouvert la bouche, me souffla à l’oreille que, si j’avais besoin de renseignements sur ce chapitre, je ferais mieux de consulter un certain M. Ptolémée aussi bien qu’un nommé Plutarque, à l’article De facie lunæ.

Je questionnai alors la momie sur les verres ardents et lenticulaires, et généralement sur la fabrication du verre ; mais je n’avais pas encore fini mes questions, que le camarade silencieux me poussait doucement par le coude, et me priait, pour l’amour de Dieu, de jeter un coup d’œil sur Diodore de Sicile. Quant au comte, il me demanda simplement, en manière de réplique, si, nous autres modernes, nous possédions des microscopes qui nous permissent de graver des onyx avec la perfection des Égyptiens. Pendant que je cherchais la réponse à faire à cette question, le petit docteur Ponnonner s’aventura dans une voie très extraordinaire.

« Voyez notre architecture ! s’écria-t-il, à la grande indignation des deux voyageurs qui le pinçaient jusqu’au bleu, mais sans réussir à le faire taire.

— Allez voir, criait-il avec enthousiasme, la fontaine du Jeu de boule à New-York ! ou, si c’est une trop écrasante contemplation, regardez un instant le Capitole à Washington, D C. ! »

Et le bon petit homme médical alla jusqu’à détailler minutieusement les proportions du bâtiment en question. Il expliqua que le portique seul n’était pas orné de moins de vingt-quatre colonnes, de cinq pied de diamètre, et situées à dix pieds de distance l’une de l’autre.

Le comte dit qu’il regrettait de ne pouvoir se rappeler pour le moment la dimension précise d’aucune des principales constructions de la cité d’Aznac, dont les fondations plongeaient dans la nuit du temps, mais dont les ruines étaient encore debout, à l’époque de son enterrement, dans une vaste plaine de sable à l’ouest de Thèbes. Il se souvenait néanmoins, à propos de portiques, qu’il y en avait un, appliqué à un palais secondaire, dans une espèce de faubourg appelé Carnac, et formé de cent quarante-quatre colonnes de trente-sept pieds de circonférence chacune, et distantes de vingt-cinq pieds l’une de l’autre. On arrivait du Nil à ce portique par une avenue de deux milles de long, formée par des sphinx, des statues, des obélisques de vingt, de soixante et de cent pieds de haut. Le palais lui-même, autant qu’il pouvait se rappeler, avait, dans un sens seulement, deux milles de long, et pouvait bien avoir en tout sept milles de circuit. Ses murs étaient richement décorés en dedans et en dehors de peintures hiéroglyphiques. Il ne prétendait pas affirmer qu’on aurait pu bâtir entre ses mûrs cinquante ou soixante des Capitoles du docteur ; mais il ne lui était pas démontré que deux ou trois cents n’eussent pas pu y être empilés sans trop d’embarras. Ce palais de Carnac était une insignifiante petite bâtisse, après tout. Le comte, néanmoins, ne pouvait pas, en stricte conscience, se refuser à reconnaître le style ingénieux, la magnificence et la supériorité de la fontaine du Jeu de boule, telle que le docteur l’avait décrite. Rien de semblable, il était forcé de l’avouer, n’avait jamais été vu en Égypte ni ailleurs.

Je demandai alors au comte ce qu’il pensait de nos chemins de fer.

« Rien de particulier, dit-il. Ils sont un peu faibles, assez mal conçus et grossièrement assemblés. Ils ne peuvent donc pas être comparés aux vastes chaussées à rainures de fer, horizontales et directes, sur lesquelles les Égyptiens transportaient des temples entiers et des obélisques massifs de cent cinquante pieds de haut. »

Je lui parlai de nos gigantesques forces mécaniques. Il convint que nous savions faire quelque chose dans ce genre, mais il me demanda comment nous nous y serions pris pour dresser les impostes sur les linteaux du plus petit palais de Carnac.

Je jugeai à propos de ne pas entendre cette question, et je lui demandai s’il avait quelque idée des puits artésiens ; mais il releva simplement les sourcils, pendant que M. Gliddon me faisait un clignement d’yeux très prononcé, et me disait à voix basse que les ingénieurs chargés de forer le terrain pour trouver de l’eau dans la grande oasis en avaient découvert un tout récemment.

Alors, je citai nos aciers ; mais l’étranger leva le nez, et me demanda si notre acier aurait jamais pu exécuter les sculptures si vives et si nettes qui décorent les obélisques, et qui avaient été entièrement exécutées avec des outils de cuivre.

Cela nous déconcerta si fort, que nous jugeâmes à propos de faire une diversion sur la métaphysique. Nous envoyâmes chercher un exemplaire d’un ouvrage qui s’appelle le Dial, et nous en lûmes un chapitre ou deux sur un sujet qui n’est pas très clair, mais que les gens de Boston définissent : le grand mouvement ou progrès.

Le comte dit simplement que, de son temps, les grands mouvements étaient choses terriblement communes, et que, quant au progrès, il fut à une certaine époque une vraie calamité, mais ne progressa jamais.

Nous parlâmes alors de la grande beauté et de l’importance de la démocratie, et nous eûmes beaucoup de peine à bien faire comprendre au comte la nature positive des avantages dont nous jouissions en vivant dans un pays où le suffrage était ad libitum, et où il n’y avait pas de roi.

Il nous écouta avec un intérêt marqué, et, en somme, il parut réellement s’amuser. Quand nous eûmes fini, il nous dit qu’il s’était passé là-bas, il y avait déjà bien longtemps, quelque chose de tout à fait semblable. Treize provinces égyptiennes résolurent tout d’un coup d’être libres, et de donner ainsi un magnifique exemple au reste de l’humanité. Elles rassemblèrent leurs sages, et brassèrent la plus ingénieuse constitution qu’il est possible d’imaginer. Pendant quelque temps, tout alla le mieux du monde ; seulement, il y avait là des habitudes de blague qui étaient quelque chose de prodigieux. La chose néanmoins finit ainsi : les treize États, avec quelque chose comme quinze ou vingt autres, se consolidèrent dans le plus odieux et le plus insupportable despotisme dont on ait jamais ouï parler sur la face du globe.

Je demandai quel était le nom du tyran usurpateur.

Autant que le comte pouvait se le rappeler, ce tyran se nommait la Canaille.

Ne sachant que dire à cela, j’élevai la voix, et je déplorai l’ignorance des Égyptiens relativement à la vapeur.

Le comte me regarda avec beaucoup d’étonnement, mais ne répondit rien. Le gentleman silencieux me donna toutefois un violent coup de coude dans les côtes, — me dit que je m’étais suffisamment compromis pour une fois, — et me demanda si j’étais réellement avez innocent pour ignorer que la machine à vapeur descendait de l’invention de Héro en passant par Salomon de Cous.

Nous étions pour lors en grand danger d’être battus ; mais notre bonne étoile fit que le docteur Ponnonner, s’étant rallié, accourut à notre secours, et demanda si la nation égyptienne prétendait sérieusement rivaliser avec les modernes dans l’article de la toilette, si important et si compliqué.

À ce mot, le comte jeta un regard sur les sous-pieds de son pantalon ; puis, prenant par le bout une des basques de son habit, il l’examina curieusement pendant quelques minutes. À la fin, il la laissa retomber, et sa bouche s’étendit graduellement d’une oreille à l’autre ; mais je ne me rappelle pas qu’il ait dit quoi que ce soit en manière de réplique.

Là-dessus, nous recouvrâmes nos esprits, et le docteur, s’approchant de la momie d’un air plein de dignité, la pria de dire avec candeur, sur son honneur de gentleman, si les Égyptiens avaient compris, à une époque quelconque, la fabrication soit des pastilles de Ponnonner, soit des pilules de Brandreth.

Nous attendions la réponse dans un profonde anxiété, — mais bien inutilement. Cette réponse n’arrivait pas. L’Égyptien rougit et baissa la tête. Jamais triomphe ne fut plus complet ; jamais défaite ne fut supportée de plus mauvaise grâce. Je ne pouvais vraiment pas endurer le spectacle de l’humiliation de la pauvre momie. Je pris mon chapeau, je la saluai avec un certain embarras, et je pris congé.

En rentrant chez moi, je m’aperçus qu’il était quatre heures passées, et je me mis immédiatement au lit. Il est maintenant dix heures du matin. Je suis levé depuis sept, et j’écris ces notes pour l’instruction de ma famille et de l’humanité. Quant à la première, je ne la verrai plus. Ma femme est une mégère. La vérité est que cette vie et généralement tout le XIXème siècle me donnent des nausées. Je suis convaincu que tout va de travers. En outre, je suis anxieux de savoir qui sera élu président en 2045. C’est pourquoi, une fois rasé et mon café avalé, je vais tomber chez Ponnonner, et je me fais embaumer pour une couple de siècles.

___ FIN ___


Notes

Imposte : (Architecture) Dernière pierre du pied-droit d’une porte ou d’une arcade qui fait saillie sur les autres pierres et qui a ordinairement quelques moulures.
Linteau : Pièce horizontale (de bois, pierre, métal) qui forme la partie supérieure d'une ouverture et soutient la maçonnerie.
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Re: Edgar Allan Poe (1809-1849)

Message par Montparnasse »

PUISSANCE DE LA PAROLE



oinos. — Pardonne, Agathos, à la faiblesse d’un esprit fraîchement revêtu d’immortalité.

agathos. — Tu n’as rien dit, mon cher Oinos, dont tu aies à demander pardon. La connaissance n’est pas une chose d’intuition, pas même ici. Quant à la sagesse, demande avec confiance aux anges qu’elle te soit accordée !

oinos. — Mais, pendant cette dernière existence, j’avais rêvé que j’arriverais d’un seul coup à la connaissance de toutes choses, et du même coup au bonheur absolu.

agathos. — Ah ! ce n’est pas dans la science qu’est le bonheur, mais dans l’acquisition de la science ! Savoir pour toujours, c’est l’éternelle béatitude ; mais tout savoir, ce serait une damnation de démon.

oinos. — Mais le Très-Haut ne connaît-il pas toutes choses ?

agathos. — Et c’est la chose unique (puisqu’il est le Très Heureux) qui doit lui rester inconnue à lui-même.

oinos. — Mais, puisque chaque minute augmente notre connaissance, n’est-il pas inévitable que toutes choses nous soient connues à la fin ?

agathos. — Plonge ton regard dans les lointains de l’abîme ! Que ton œil s’efforce de pénétrer ces innombrables perspectives d’étoiles, pendant que nous glissons lentement à travers, — encore, — et encore, — et toujours ! La vision spirituelle elle-même n’est-elle pas absolument arrêtée par les murs d’or circulaires de l’univers, — ces murs faits de myriades de corps brillants qui se fondent en une incommensurable unité ?

oinos. — Je perçois clairement que l’infini de la matière n’est pas un rêve.

agathos. — Il n’y a pas de rêves dans le ciel ; — mais il nous est révélé ici que l’unique destination de cet infini de matière est de fournir des sources infinies, où l’âme puisse soulager cette soif de connaître qui est en elle, — inextinguible à jamais, puisque l’éteindre serait pour l’âme l’anéantissement de soi-même. Questionne-moi donc, mon Oinos, librement et sans crainte. Viens ! nous laisserons à gauche l’éclatante harmonie des Pléiades, et nous irons nous abattre loin de la foule dans les prairies étoilées, au delà d’Orion, où, au lieu de pensées, de violettes et de pensées sauvages, nous trouverons des couches de soleils triples et de soleils tricolores.

oinos. — Et maintenant, Agathos, tout en planant à travers l’espace, instruis-moi ! — Parle-moi dans le ton familier de la terre ! Je n’ai pas compris ce que tu me donnais tout à l’heure à entendre, sur les modes et les procédés de création, — de ce que nous nommions création, dans le temps que nous étions mortels. Veux-tu dire que le Créateur n’est pas Dieu ?

agathos. — Je veux dire que la Divinité ne crée pas.

oinos. — Explique-toi !

agathos. — Au commencement seulement, elle a créé. Les créatures, — ce qui apparaît comme créé, — qui maintenant, d’un bout de l’univers à l’autre, émergent infatigablement à l’existence, ne peuvent être considérées que comme des résultats médiats ou indirects, et non comme directs ou immédiats, de la divine puissance créatrice.

oinos. — Parmi les hommes, mon Agathos, cette idée eût été considérée comme hérétique au suprême degré.

agathos. — Parmi les anges, mon Oinos, elle est simplement admise comme une vérité.

oinos. — Je puis te comprendre, en tant que tu veuilles dire que certaines opérations de l’être que nous appelons Nature, ou lois naturelles, donneront, dans de certaines conditions, naissance à ce qui porte l’apparence complète de création. Peu de temps avant la finale destruction de la terre, il se fit, je m’en souviens, un grand nombre d’expériences réussies que quelques philosophes, avec emphase puérile, désignèrent sous le nom de créations d’animalcules.

agathos. — Les cas dont tu parles n’étaient, en réalité, que des exemples de création secondaire, de la seule espèce de création qui ait jamais eu lieu depuis que la parole première a proféré la première loi.

oinos. — Les moindres étoiles qui jaillissent du fond de l’abîme du non-être et font à chaque minute explosion dans les cieux, — ces astres, Agathos, ne sont-ils pas l’œuvre immédiate de la main du Maître ?

agathos. — Je veux essayer, mon Oinos, de t’amener pas à pas en face de la conception que j’ai en vue. Tu sais parfaitement que, comme aucune pensée ne peut se perdre, de même il n’est pas une seule action qui n’ait un résultat infini. En agitant nos mains, quand nous étions habitants de cette terre, nous causions une vibration dans l’atmosphère ambiante. Cette vibration s’étendait indéfiniment, jusqu’à tant qu’elle se fût communiquée à chaque molécule de l’atmosphère terrestre, qui, à partir de ce moment et pour toujours, était mise en mouvement par cette seule action de la main. Les mathématiciens de notre planète ont bien connu ce fait. Les effets particuliers créés dans le fluide par des impulsions particulières furent de leur part l’objet d’un calcul exact, — en sorte qu’il devint facile de déterminer dans quelle période précise une impulsion d’une portée donnée pourrait faire le tour du globe et influencer, — pour toujours, — chaque atome de l’atmosphère ambiante. Par un calcul rétrograde, ils déterminèrent sans peine, — étant donné un effet dans des conditions connues, — la valeur de l’impulsion originelle. Alors, les mathématiciens, — qui virent que les résultats d’une impulsion donnée étaient absolument sans fin, — qui virent qu’une partie de ces résultats pouvait être rigoureusement suivie dans l’espace et dans le temps au moyen de l’analyse algébrique, — qui comprirent aussi la facilité du calcul rétrograde, — ces hommes, dis-je, comprirent du même coup que cette espèce d’analyse contenait, elle aussi, une puissance de progrès indéfini, — qu’il n’existait pas de bornes concevables à sa marche progressive et à son applicabilité, excepté celles de l’esprit même qui l’avait poussée ou appliquée. Mais, arrivés à ce point, nos mathématiciens s’arrêtèrent.

oinos. — Et pourquoi, Agathos, auraient-ils été plus loin ?

agathos. — Parce qu’il y avait au delà quelques considérations d’un profond intérêt. De ce qu’ils savaient, ils pouvaient inférer qu’un être d’une intelligence infinie, — un être à qui l’absolu de l’analyse algébrique serait dévoilé, — n’éprouverait aucune difficulté à suivre tout mouvement imprimé à l’air, — et transmis par l’air à l’éther, — jusque dans ses répercussions les plus lointaines, et même dans une époque infiniment reculée. Il est, en effet, démontrable que chaque mouvement de cette nature imprimé à l’air doit à la fin agir sur chaque être individuel compris dans les limites de l’univers ; — et l’être doué d’une intelligence infinie, — l’être que nous avons imaginé, — pourrait suivre les ondulations lointaines du mouvement, — les suivre, au delà et toujours au delà, dans leurs influences sur toutes les particules de la matière, — au delà et toujours au delà, dans les modifications qu’elles imposent aux vieilles formes, — ou, en d’autres termes, dans les créations neuves qu’elles enfantent, — jusqu’à ce qu’il les vît se brisant enfin, et désormais inefficaces, contre le trône de la Divinité. Et non seulement un tel être pourrait faire cela, mais si, à une époque quelconque, un résultat donné lui était présenté, — si une de ces innombrables comètes, par exemple, était soumise à son examen, — il pourrait, sans aucune peine, déterminer par l’analyse rétrograde à quelle impulsion primitive elle doit son existence. Cette puissance d’analyse rétrograde, dans sa plénitude et son absolue perfection — cette faculté de rapporter dans toutes les époques tous les effets à toutes les causes — est évidemment la prérogative de la Divinité seule ; — mais cette puissance est exercée, à tous les degrés de l’échelle au-dessous de l’absolue perfection, par la population entière des Intelligences angéliques.

oinos. — Mais tu parles simplement des mouvements imprimés à l’air.

agathos. — En parlant de l’air, ma pensée n’embrassait que le monde terrestre ; mais la proposition généralisée comprend les impulsions créées dans l’éther, — qui, pénétrant, et seul pénétrant tout l’espace se trouve être ainsi le grand médium de création.

oinos. — Donc, tout mouvement, de quelque nature qu’il soit, est créateur ?

agathos. — Cela ne peut pas ne pas être ; mais une vraie philosophie nous a dès longtemps appris que la source de tout mouvement est la pensée, — et que la source de toute pensée est…

oinos. — Dieu.

agathos. — Je t’ai parlé, Oinos — comme je devais parler à un enfant de cette belle Terre qui a péri récemment — des mouvements produits dans l’atmosphère de la Terre…

oinos. — Oui, cher Agathos.

agathos. — Et, pendant que je te parlais ainsi, n’as-tu pas senti ton esprit traversé par quelque pensée relative à la puissance matérielle des paroles ? Chaque parole n’est-elle pas un mouvement créé dans l’air ?

oinos. — Mais pourquoi pleures-tu, Agathos ? — et pourquoi, oh ! pourquoi tes ailes faiblissent-elles pendant que nous planons au-dessus de cette belle étoile, — la plus verdoyante et cependant la plus terrible de toutes celles que nous avons rencontrées dans notre vol ? Ses brillantes fleurs semblent un rêve féerique, — mais ses volcans farouches rappellent les passions d’un cœur tumultueux.

agathos. — Ils ne semblent pas, ils sont ! ils sont rêves et passions ! Cette étrange étoile, — il y a de cela trois siècles, — c’est moi qui, les mains crispées et les yeux ruisselants, — aux pieds de ma bien-aimée, — l’ai proférée à la vie avec quelques phrases passionnées. Ses brillantes fleurs sont les plus chers de tous les rêves non réalisées, et ses volcans forcenés sont les passions du plus tumultueux et du plus insulté des cœurs !

___ FIN ___
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CONVERSATION
D’EIROS AVEC CHARMION

Je t’apporterai le feu.
Euripide. — Andromaque.


eiros. — Pourquoi m’appelles-tu Eiros ?

charmion. — Ainsi t’appelleras-tu désormais. Tu dois aussi oublier mon nom terrestre et me nommer Charmion.

eiros. — Ce n’est vraiment pas un rêve !

charmion. — De rêves, il n’y en a plus pour nous ; — mais renvoyons à tantôt ces mystères. Je me réjouis de voir que tu as l’air de posséder toute ta vie et ta raison. La taie de l’ombre a déjà disparu de tes yeux, prends courage, et ne crains rien. Les jours à donner à la stupeur sont passés pour toi ; et, demain, je veux moi-même t’introduire dans les joies parfaites et les merveilles de ta nouvelle existence.

eiros. — Vraiment, — je n’éprouve aucune stupeur — aucune. L’étrange vertige et la terrible nuit m’ont quittée, et je n’entends plus ce bruit insensé, précipité, horrible, pareil à la voix des grandes eaux. Cependant, mes sens sont effarés, Charmion, par la pénétrante perception du nouveau.

charmion. — Peu de jours suffiront à chasser tout cela ; — mais je te comprends parfaitement, et je sens pour toi. Il y a maintenant dix années terrestres que j’ai éprouvé ce que tu éprouves, — et pourtant ce souvenir ne m’a pas encore quittée. Toutefois, voilà ta dernière épreuve subie, la seule que tu eusses à souffrir dans le Ciel.

eiros. — Dans le Ciel ?

charmion. — Dans le Ciel.

eiros. — Oh ! Dieu ! — aie pitié de moi, Charmion ! — Je suis écrasée sous la majesté de toutes choses, — de l’inconnu maintenant révélé, — de l’Avenir, cette conjecture, fondu dans le Présent auguste et certain.

charmion. — Ne t’attaque pas pour le moment à de pareilles pensées. Demain, nous parlerons de cela. Ton esprit qui vacille trouvera un allégement à son agitation dans l’exercice du simple souvenir. Ne regarde ni autour de toi ni devant toi, — regarde en arrière. Je brûle d’impatience d’entendre les détails de ce prodigieux événement qui t’a jetée parmi nous. Parle-moi de cela. Causons de choses familières, dans le vieux langage familier de ce monde qui a si épouvantablement péri.

eiros. — Épouvantablement ! épouvantablement ! Et cela, en vérité, n’est point un rêve.

charmion. — Il n’y a plus de rêves. — Fus-je bien pleurée, mon Eiros ?

eiros. — Pleurée, Charmion ? — Oh ! profondément. Jusqu’à la dernière de nos heures, un nuage d’intense mélancolie et de dévotieuse tristesse a pesé sur ta famille.

charmion. — Et cette heure dernière, — parle-m’en. Rappelle-toi qu’en dehors du simple fait de la catastrophe je ne sais rien. Quand, sortant des rangs de l’humanité, j’entrai par la Tombe dans le domaine de la Nuit, — à cette époque, si j’ai bonne mémoire, nul ne pressentait la catastrophe qui vous a engloutis. Mais j’étais, il est vrai, peu au courant de la philosophie spéculative du temps.

eiros. — Notre catastrophe était, comme tu le dis, absolument inattendue ; mais des accidents analogues avaient été depuis longtemps un sujet de discussion parmi les astronomes. Ai-je besoin de te dire, mon amie, que, même quand tu nous quittas, les hommes s’accordaient à interpréter, comme ayant trait seulement au globe de la terre, les passages des très saintes Écritures qui parlent de la destruction finale de toutes choses par le feu ? Mais, relativement à l’agent immédiat de la ruine, la pensée humaine était en défaut depuis l’époque où la science astronomique avait dépouillé les comètes de leur effrayant caractère incendiaire. La très médiocre densité de ces corps avait été bien démontrée. On les avait observés dans leur passage à travers les satellites de Jupiter, et ils n’avaient causé aucune altération sensible dans les masses ni dans les orbites de ces planètes secondaires. Nous regardions depuis longtemps ces voyageurs comme de vaporeuses créations d’une inconcevable ténuité, incapables d’endommager notre globe massif, même dans le cas d’un contact. D’ailleurs, ce contact n’était redouté en aucune façon ; car les éléments de toutes les comètes étaient exactement connus. Que nous dussions chercher parmi elles l’agent igné de la destruction prophétisée, cela était depuis de longues années considéré comme une idée inadmissible. Mais le merveilleux, les imaginations bizarres avaient, dans ces derniers jours, singulièrement régné parmi l’humanité ; et, quoique une crainte véritable ne pût avoir de prise que sur quelques ignorants, quand les astronomes annoncèrent une nouvelle comète, cette annonce fut généralement reçue avec je ne sais quelle agitation et quelle méfiance.

Les éléments de l’astre étranger furent immédiatement calculés, et tous les observateurs reconnurent d’un même accord que sa route, à son périhélie, devait l’amener à une proximité presque immédiate de la terre. Il se trouva deux ou trois astronomes, d’une réputation secondaire, qui soutinrent résolument qu’un contact était inévitable. Il m’est difficile de te bien peindre l’effet de cette communication sur le monde. Pendant quelques jours, on se refusa à croire à une assertion que l’intelligence humaine, depuis longtemps appliquée à des considérations mondaines, ne pouvait saisir d’aucune manière. Mais la vérité d’un fait d’une importance vitale fait bientôt son chemin dans les esprits même les plus épais. Finalement, tous les hommes virent que la science astronomique ne mentait pas, et ils attendirent la comète. D’abord, son approche ne fut pas sensiblement rapide ; son aspect n’eut pas un caractère bien inusité. Elle était d’un rouge sombre et avait une queue peu appréciable. Pendant sept ou huit jours, nous ne vîmes pas d’accroissement sensible dans son diamètre apparent ; seulement, sa couleur varia légèrement. Cependant, les affaires ordinaires furent négligées, et tous les intérêts, absorbés par une discussion immense qui s’ouvrait entre les savants relativement à la nature des comètes. Les hommes le plus grossièrement ignorants élevèrent leurs indolentes facultés vers ces hautes considérations. Les savants employèrent alors toute leur intelligence, — toute leur âme, — non point à alléger la crainte, non plus à soutenir quelque théorie favorite, oh ! ils cherchèrent la vérité, rien que la vérité, — ils s’épuisèrent à la chercher ! Ils appelèrent à grands cris la science parfaite ! La vérité se leva dans la pureté de sa force et de son excessive majesté, et les sages s’inclinèrent et adorèrent.

Qu’un dommage matériel pour notre globe ou pour ses habitants pût résulter du contact redouté, c’était une opinion qui perdait journellement du terrain parmi les sages ; et les sages avaient cette fois plein pouvoir pour gouverner la raison et l’imagination de la foule. Il fut démontré que la densité du noyau de la comète était beaucoup moindre que celle de notre gaz le plus rare ; et le passage inoffensif d’une semblable visiteuse à travers les satellites de Jupiter fut un point sur lequel on insista fortement, et qui ne servit pas peu à diminuer la terreur. Les théologiens, avec un zèle enflammé par la peur, insistèrent sur les prophéties bibliques, et les expliquèrent au peuple avec une droiture et une simplicité dont ils n’avaient pas encore donné l’exemple. La destruction finale de la terre devait s’opérer par le feu, — c’est ce qu’ils avancèrent avec une verve qui imposait partout la conviction ; — mais les comètes n’étaient pas d’une nature ignée, et c’était là une vérité que tous les hommes possédaient maintenant, et qui les délivrait, jusqu’à un certain point, de l’appréhension de la grande catastrophe prédite. Il est à remarquer que les préjugés populaires et les vulgaires erreurs relatives aux pestes et aux guerres, erreurs qui reprenaient leur empire à chaque nouvelle comète, furent cette fois choses inconnues. Comme par un soudain effort convulsif, la raison avait d’un seul coup culbuté la superstition de son trône. La plus faible intelligence avait puisé de l’énergie dans l’excès de l’intérêt actuel.

Quels désastres d’une moindre gravité pouvaient résulter du contact, ce fut là le sujet d’une laborieuse discussion. Les savants parlaient de légères perturbations géologiques, d’altérations probables dans les climats et conséquemment dans la végétation, de la possibilité d’influences magnétiques et électriques. Beaucoup d’entre eux soutenaient qu’aucun effet visible ou sensible ne se produirait, — d’aucune façon. Pendant que ces discussions allaient leur train, l’objet lui-même s’avançait progressivement, élargissant visiblement son diamètre et augmentant son éclat. À son approche, l’Humanité pâlit. Toutes les opérations humaines furent suspendues.

Il y eut une phase remarquable dans le cours du sentiment général ; ce fut quand la comète eut enfin atteint une grosseur qui surpassait celle d’aucune apparition dont on eût gardé le souvenir. Le monde alors, privé de cette espérance traînante, que les astronomes pouvaient se tromper, sentit toute la certitude du malheur. La terreur avait perdu son caractère chimérique. Les cœurs les plus braves parmi notre race battaient violemment dans les poitrines. Peu de jours suffirent toutefois pour fondre ces premières épreuves dans des sensations plus intolérables encore. Nous ne pouvions désormais appliquer au météore étranger aucunes notions ordinaires. Ses attributs historiques avaient disparu. Il nous oppressait par la terrible nouveauté de l’émotion. Nous le voyions, non pas comme un phénomène astronomique dans les cieux, mais comme un cauchemar sur nos cœurs et une ombre sur nos cerveaux. Il avait pris, avec une inconcevable rapidité, l’aspect d’un gigantesque manteau de flamme claire, toujours étendu à tous les horizons.

Encore un jour, — et les hommes respirèrent avec une plus grande liberté. Il était évident que nous étions déjà sous l’influence de la comète ; et nous vivions cependant ; nous jouissions même d’une élasticité de membres et d’une vivacité d’esprit insolites. L’excessive ténuité de l’objet de notre terreur était apparente ; car tous les corps célestes se laissaient voir distinctement à travers. En même temps, notre végétation était sensiblement altérée, et cette circonstance prédite augmenta notre foi dans la prévoyance des sages. Un luxe extraordinaire de feuillage, entièrement inconnu jusqu’alors, fit explosion sur tous les végétaux.

Un jour encore se passa, — et le fléau n’était pas absolument sur nous. Il était maintenant évident que son noyau devait nous atteindre le premier. Une étrange altération s’était emparée de tous les hommes ; et la première sensation de douleur fut le terrible signal de la lamentation et de l’horreur générales. Cette première sensation de douleur consistait dans une constriction rigoureuse de la poitrine et des poumons et dans une insupportable sécheresse de la peau. Il était impossible de nier que notre atmosphère ne fût radicalement affectée ; la composition de cette atmosphère et les modifications auxquelles elle pouvait être soumise furent dès lors les points de la discussion. Le résultat de l’examen lança un frisson électrique de terreur, de la plus intense terreur, à travers le cœur universel de l’homme.

On savait depuis longtemps que l’air qui nous enveloppait était ainsi composé : sur cent parties, vingt et une d’oxygène et soixante-dix-neuf d’azote. L’oxygène, principe de la combustion et véhicule de la chaleur, était absolument nécessaire à l’entretien de la vie animale, et représentait l’agent le plus puissant et le plus énergique de la nature. L’azote, au contraire, était impropre à entretenir la vie, ou combustion animale. D’un excès anormal d’oxygène devait résulter, cela avait été vérifié, une élévation des esprits vitaux semblable à celle que nous avions déjà subie. C’est l’idée continuée, poussée à l’extrême, qui avait créé la terreur. Quel devait être le résultat d’une totale extraction de l’azote ? Une combustion irrésistible, dévorante, toute-puissante, immédiate ; — l’entier accomplissement, dans tous leurs moindres et terribles détails, des flamboyantes et terrifiantes prophéties du saint Livre.

Ai-je besoin de te peindre, Charmion, la frénésie alors déchaînée de l’humanité ? Cette ténuité de matière dans la comète, qui nous avait d’abord inspiré l’espérance, faisait maintenant toute l’amertume de notre désespoir. Dans sa nature impalpable et gazeuse, nous percevions clairement la consommation de la Destinée. Cependant, un jour encore s’écoula, — emportant avec lui la dernière ombre de l’Espérance. Nous haletions dans la rapide modification de l’air. Le sang rouge bondissait tumultueusement dans ses étroits canaux. Un furieux délire s’empara de tous les hommes ; et, les bras roidis vers les cieux menaçants, ils tremblaient et jetaient de grands cris. Mais le noyau de l’exterminateur était maintenant sur nous ; — même ici, dans le Ciel, je n’en parle qu’en frissonnant. Je serai brève, — brève comme la catastrophe. Pendant un moment, ce fut seulement une lumière étrange, lugubre, qui visitait et pénétrait toutes choses. Puis, — prosternons-nous, Charmion, devant l’excessive majesté du Dieu grand ! — puis ce fut un son éclatant, pénétrant, comme si c’était lui qui l’eût crié par sa bouche ; et toute la masse d’éther environnante, au sein de laquelle nous vivions, éclata d’un seul coup en une espèce de flamme intense, dont la merveilleuse clarté et la chaleur dévorante n’ont pas de nom, même parmi les Anges dans le haut Ciel de la science pure. Ainsi finirent toutes choses.


Notes

Taie : Tache opaque de la cornée, constituée par une cicatrice à la suite d'une inflammation, d'un traumatisme ou de lésions dégénératives.
Avoir une taie sur l'oeil : être aveuglé (par les préjugés, etc).
Dévotieux : (Vieilli) Qui a une grande dévotion, qui s'attache aux pratiques les plus petites de la dévotion.
Igné : Qui est de feu, qui a les caractères du feu.
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
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Re: Edgar Allan Poe (1809-1849)

Message par Montparnasse »

L’ÎLE DE LA FÉE



La Musique, dit Marmontel, dans ces Contes moraux que nos traducteurs persistent à appeler Moral Tales, comme en dérision de leur esprit, la musique est le seul des talents qui jouisse de lui-même ; tous les autres veulent des témoins. Il confond ici le plaisir d’entendre des sons agréables avec la puissance de les créer. Pas plus qu’aucun autre talent, la musique n’est capable de donner une complète jouissance, s’il n’y a pas une seconde personne pour en apprécier l’exécution. Et cette puissance de produire des effets dont on jouisse pleinement dans la solitude ne lui est pas particulière ; elle est commune à tous les autres talents. L’idée que le conteur n’a pas pu concevoir clairement, ou qu’il a sacrifiée dans son expression à l’amour national du trait, est sans doute l’idée très soutenable que la musique du style le plus élevé est la plus complètement sentie quand nous sommes absolument seuls. La proposition, sous cette forme, sera admise du premier coup par ceux qui aiment la lyre pour l’amour de la lyre et pour ses avantages spirituels. Mais il est un plaisir toujours à la portée de l’humanité déchue, — et c’est peut-être l’unique, — qui doit même plus que la musique à la sensation accessoire de l’isolement. Je veux parler du bonheur éprouvé dans la contemplation d’une scène de la nature. En vérité, l’homme qui veut contempler en face la gloire de Dieu sur la terre doit contempler cette gloire dans la solitude. Pour moi du moins, la présence, non pas de la vie humaine seulement, mais de la vie sous toute autre forme que celle des êtres verdoyants qui croissent sur le sol et qui sont sans voix, est un opprobre pour le paysage ; elle est en guerre avec le génie de la scène. Oui vraiment, j’aime à contempler les sombres vallées, et les roches grisâtres, et les eaux qui sourient silencieusement, et les forêts qui soupirent dans des sommeils anxieux, et les orgueilleuses et vigilantes montagnes qui regardent tout d’en haut. — J’aime à contempler ces choses pour ce qu’elles sont : les membres gigantesques d’un vaste tout, animé et sensitif, — un tout dont la forme (celle de la sphère) est la plus parfaite et la plus compréhensive de toutes les formes ; dont la route se fait de compagnie avec d’autres planètes ; dont la très douce servante est la lune ; dont le seigneur médiatisé est le soleil ; dont la vie est l’éternité ; dont la pensée est celle d’un dieu, dont la jouissance est connaissance ; dont les destinées se perdent dans l’immensité ; pour qui nous sommes une notion correspondante à la notion que nous avons des animalcules qui infestent le cerveau, — un être que nous regardons conséquemment comme inanimé et purement matériel, — appréciation très semblable à celle que ces animalcules doivent faire de nous.

Nos télescopes et nos recherches mathématiques nous confirment de tout point — nonobstant la cafarderie de la plus ignorante prêtraille — que l’espace, et conséquemment le volume, est une importante considération aux yeux du Tout-Puissant. Les cercles dans lesquels se meuvent les étoiles sont le mieux appropriés à l’évolution, sans conflit, du plus grand nombre de corps possible. Les formes de ces corps sont exactement choisies pour contenir sous une surface donnée la plus grande quantité possible de matière ; — et les surfaces elles-mêmes sont disposées de façon à recevoir une population plus nombreuse que ne l’auraient pu les mêmes surfaces disposées autrement. Et, de ce que l’espace est infini, on ne peut tirer aucun argument contre cette idée : que le volume a une valeur aux yeux de Dieu ; car, pour remplir cet espace, il peut y avoir un infini de matière. Et, puisque nous voyons clairement que douer la matière de vitalité est un principe, — et même, autant que nous pouvons en juger, le principe capital dans les opérations de la Divinité, — est-il logique de le supposer confiné dans l’ordre de la petitesse, où il se révèle journellement à nous, et de l’exclure des régions du grandiose ? Comme nous découvrons des cercles dans des cercles et toujours sans fin, — évoluant tous cependant autour d’un centre unique infiniment distant, qui est la Divinité, — ne pouvons-nous pas supposer, analogiquement et de la même manière, la vie dans la vie, la moindre dans la plus grande, et toutes dans l’Esprit divin ? Bref, nous errons follement par fatuité, en nous figurant que l’homme, dans ses destinées temporelles ou futures, est d’une plus grande importance dans l’univers que ce vaste limon de la vallée qu’il cultive et qu’il méprise, et à laquelle il refuse une âme par la raison peu profonde qu’il ne la voit pas fonctionner.

Ces idées, et d’autres analogues, ont toujours donné à mes méditations parmi les montagnes et les forêts, près des rivières et de l’Océan, une teinte de ce que les gens vulgaires ne manqueront pas d’appeler fantastique. Mes promenades vagabondes au milieu de tableaux de ce genre ont été nombreuses, singulièrement curieuses, souvent solitaires ; et l’intérêt avec lequel j’ai erré à travers plus d’une vallée profonde et sombre, ou contemplé le ciel de maint lac limpide, a été un intérêt grandement accru par la pensée que j’errais seul, que je contemplais seul. Quel est le Français bavard qui, faisant allusion à l’ouvrage bien connu de Zimmermann, a dit : La solitude est une belle chose, mais il faut quelqu’un pour vous dire que la solitude est une belle chose ? Comme épigramme, c’est parfait ; mais, il faut ! Cette nécessité est une chose qui n’existe pas.

Ce fut dans un de mes voyages solitaires, dans une région fort lointaine, — montagnes compliquées par des montagnes, méandres de rivières mélancoliques, lacs sombres et dormants, — que je tombai sur certain petit ruisseau avec une île. J’y arrivai soudainement dans un mois de juin, le mois du feuillage, et je me jetai sur le sol, sous les branches d’un arbuste odorant qui m’était inconnu, de manière à m’assoupir en contemplant le tableau. Je sentis que je ne pourrais le bien voir que de cette façon, — tant il portait le caractère d’une vision.

De tous côtés, — excepté à l’ouest, où le soleil allait bientôt plonger, — s’élevaient les murailles verdoyantes de la forêt. La petite rivière, qui faisait un brusque coude, et ainsi se dérobait soudainement à la vue, semblait ne pouvoir pas s’échapper de sa prison ; mais on eût dit qu’elle était absorbée vers l’est par la verdure profonde des arbres ; — et, du côté opposé (cela m’apparaissait ainsi, couché comme je l’étais, et les yeux au ciel), tombait dans la vallée, sans intermittence et sans bruit, une splendide cascade, or et pourpre, vomie par les fontaines occidentales du ciel.

À peu près au centre de l’étroite perspective qu’embrassait mon regard visionnaire, une petite île circulaire, magnifiquement verdoyante, reposait sur le sein du ruisseau.
La rive et son image étaient si bien fondues
Que le tout semblait suspendu dans l’air.

L’eau transparente jouait si bien le miroir qu’il était presque impossible de deviner à quel endroit du talus d’émeraude commençait son domaine de cristal.

Ma position me permettait d’embrasser d’un seul coup d’œil les deux extrémités, est et ouest, de l’îlot ; et j’observai dans leurs aspects une différence singulièrement marquée. L’ouest était tout un radieux harem de beautés de jardin. Il s’embrasait et rougissait sous l’œil oblique du soleil, et souriait extatiquement par toutes ses fleurs. Le gazon était court, élastique, odorant, et parsemé d’asphodèles. Les arbres étaient souples, gais, droits, — brillants, sveltes et gracieux, — orientaux par la forme et le feuillage, avec une écorce polie, luisante et versicolore. On eût dit qu’un sentiment profond de vie et de joie circulait partout ; et, quoique les cieux ne soufflassent aucune brise, tout cependant semblait agité par d’innombrables papillons qu’on aurait pu prendre, dans leurs fuites gracieuses et leurs zigzags, pour des tulipes ailées.

L’autre côté, le côté est de l’île, était submergé dans l’ombre la plus noire. Là, une mélancolie sombre, mais pleine de calme et de beauté, enveloppait toutes choses. Les arbres étaient d’une couleur noirâtre, lugubres de forme et d’attitude, — se tordant en spectres moroses et solennels, traduisant des idées de chagrin mortel et de mort prématurée. Le gazon y revêtait la teinte profonde du cyprès, et ses brins baissaient languissamment leurs pointes. Là, s’élevaient éparpillés plusieurs petits monticules maussades, bas, étroits, pas très longs, qui avaient des airs de tombeaux, mais qui n’en étaient pas, quoique au-dessus et tout autour grimpassent la rue et le romarin. L’ombre des arbres tombait pesamment sur l’eau et semblait s’y ensevelir, imprégnant de ténèbres les profondeurs de l’élément. Je m’imaginais que chaque ombre, à mesure que le soleil descendait plus bas, toujours plus bas, se séparait à regret du tronc qui lui avait donné naissance et était absorbée par le ruisseau, pendant que d’autres ombres naissaient à chaque instant des arbres, prenant la place de leurs aînées défuntes.

Cette idée, une fois qu’elle se fut emparée de mon imagination, l’excita fortement, et je me perdis immédiatement en rêveries. « Si jamais île fut enchantée, — me disais-je, — celle-ci l’est, bien sûr. C’est le rendez-vous des quelques gracieuses Fées qui ont survécu à la destruction de leur race. Ces vertes tombes sont-elles les leurs ? Rendent-elles leurs douces vies de la même façon que l’humanité ? Ou plutôt leur mort n’est-elle pas une espèce de dépérissement mélancolique ? Rendent-elles à Dieu leur existence petit à petit, épuisant lentement leur substance jusqu’à la mort, comme ces arbres rendent leurs ombres l’une après l’autre ? Ce que l’arbre qui s’épuise est à l’eau qui en boit l’ombre et devient plus noire de la proie qu’elle avale, la vie de la Fée ne pourrait-elle pas bien être la même chose à la Mort qui l’engloutit ? »

Comme je rêvais ainsi, les yeux à moitié clos, tandis que le soleil descendait rapidement vers son lit et que des tourbillons couraient tout autour de l’île, portant sur leur sein de grandes, lumineuses et blanches écailles, détachées des troncs des sycomores, — écailles qu’une imagination vive aurait pu, grâce à leurs positions variées sur l’eau, convertir en tels objets qu’il lui aurait plus, — pendant que je rêvais ainsi, il me sembla que la figure d’une de ces mêmes Fées dont j’avais rêvé, se détachant de la partie lumineuse et occidentale de l’île, s’avançait lentement vers les ténèbres. — Elle se tenait droite sur un canot singulièrement fragile, et le mouvait avec un fantôme d’aviron. Tant qu’elle fut sous l’influence des beaux rayons attardés, son attitude parut traduire la joie, — mais le chagrin altéra sa physionomie quand elle passa dans la région de l’ombre. Lentement elle glissa tout le long, fit peu à peu le tour de l’île, et rentra dans la région de la lumière. « La révolution qui vient d’être accomplie par la Fée, — continuai-je, toujours rêvant, — est le cycle d’une brève année de sa vie. Elle a traversé son hiver et son été. Elle s’est rapprochée de la mort d’une année ; car j’ai bien vu que, quand elle entrait dans l’obscurité, son ombre se détachait d’elle et était engloutie par l’eau sombre, rendant sa noirceur encore plus noire. »

Et de nouveau le petit bateau apparut, avec la Fée ; mais dans son attitude il y avait plus de souci et d’indécision, et moins d’élastique allégresse. Elle navigua de nouveau de la lumière vers l’obscurité, — qui s’approfondissait à chaque minute, — et de nouveau son ombre, se détachant, tomba dans l’ébène liquide et fut absorbée par les ténèbres. — Et plusieurs fois encore elle fit le circuit de l’île, — pendant que le soleil se précipitait vers son lit, — et, à chaque fois qu’elle émergeait dans la lumière, il y avait plus de chagrin dans sa personne, et elle devenait plus faible, et plus abattue, et plus indistincte ; et, à chaque fois qu’elle passait dans l’obscurité, il se détachait d’elle un spectre plus obscur qui était submergé par une ombre plus noire. Mais à la fin, quand le soleil eut totalement disparu, la Fée, maintenant pur fantôme d’elle-même, entra avec son bateau, pauvre inconsolable ! dans la région du fleuve d’ébène, — et, si elle en sortit jamais, je ne puis le dire, — car les ténèbres tombèrent sur toutes choses, et je ne vis plus son enchanteresse figure.


Notes

Cafarderie : Dévotion imitée ou feinte, ferveur religieuse hypocrite et sans croyance.
Asphodèle : Plante (Liliacées) dont la hampe florale nue se termine par une grappe de grandes fleurs étoilées très ornementales.
Versicolore : De couleur changeante. Aux couleurs variées.
Rue : Plante vivace de la famille des rutacées.
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Re: Edgar Allan Poe (1809-1849)

Message par Liza »

Versicolore : aux couleurs versatiles en lizien moderne.
Cafarderie : Dévotion imitée ou feinte, ferveur religieuse hypocrite et sans croyance. Synonymes : bigoterie, cafardise, cagoterie.
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Re: Edgar Allan Poe (1809-1849)

Message par Montparnasse »

Oh, je vais prendre ta définition de cafarderie qui me semble plus adaptée. Wiktionnaire aurait il des failles ?
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Re: Edgar Allan Poe (1809-1849)

Message par Liza »

L'avantage, le mien, je l'enrichis à l'occasion en ajoutant des trucs, c'est pratique.
Parfois j’ajoute un exemple plus parlant.
Rien n'est figé et c'est très pratique.
Dommage qu'il ne soit pas exportable.
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Re: Edgar Allan Poe (1809-1849)

Message par Montparnasse »

Le mien ne connaissait pas ce mot.
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Re: Edgar Allan Poe (1809-1849)

Message par Liza »

* Rue : Plante vivace de la famille des rutacées.

* Rutacée Botanique .Élément d'une famille de dicotylédones dialypétales de l'ordre des térébinthacées (oranger, citronnier, pamplemoussier, etc.)

* Dicotylédones Botanique .Élément d'une classe de plantes angiospermes dont la graine comporte deux cotylédons.

* Dialypétales Botanique .La fleur elle-même.
Botanique .Élément d'une sous-classe d'angiospermes, dont les pétales de la corolle peuvent se détacher séparément.
On ne me donne jamais rien, même pas mon âge !
 
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