Sur la terrasse du Frizioni

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Aureplume
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Sur la terrasse du Frizioni

Message par Aureplume »

"Piquante", avait dit, en parlant d'elle, le professeur Lamberti, l'éminent juriste, titulaire de la chaire de droit pénal à l'université de Rome. Il reposa la merguez dans son assiette et alors qu’il s’essuyait la bouche d’un geste lent, il fut interrompu dans ses songes gustatifs.
Derrière lui, Léa et Carolina se retrouvaient sur la terrasse du Frizioni, le quartier général de leur amitié. Les deux jeunes femmes se moquaient bien d’importuner le manant, tout haut-costumé qu’il soit. Le soleil qui s’étendait sur le Latium se faisait une joie d’accompagner la leur.

« Alors ? Comment ça s’est passé avec le beau-gosse, samedi ?
— Arrête Caro ! On va t’entendre… C’était naze, un véritable fiasco. Il se prenait clairement pour le meilleur coup alors qu’il n’était vraiment pas dégourdi… c’était très gênant. Il voulait plus repartir de chez moi le lendemain. J’ai dû prétexter un rendez-vous à l’hôpital pour qu’il se casse.
— Voilà ce qui arrive quand on saute sur tout ce qui bouge.
— Mais tais-toi, c’est complétement faux ! Il était beau et il semblait intelligent, je ne pouvais pas savoir qu’il était aussi con, en plus il se comportait plutôt bien à la soirée.
— Comme d’habitude.
— Tu peux parler toi, tu profites de Riccardo, t’étais pas avec lui samedi d’ailleurs ?
— Je ne profite pas de lui ! Et non, je n’étais pas avec lui pour ta gouverne !
— Tu rigoles ? Il te regarde avec des yeux de merlan frit. Tout le monde sait qu’il t’aime !
— N’importe quoi ! Tu sais très bien que c’est lui qui m’a proposé de ne pas avoir de relation sérieuse !
— Peut-être parce qu’il savait que tu n’aurais jamais voulu plus avec lui ?
— … Bon, on peut parler d’autre chose s’il-te-plait ? »

La conversation se poursuivit sans autres considérations pour les déboires sentimentaux. Les deux amies s’adonnèrent à leur activité favorite : détailler les passants du quartier Trastevere. L’homme qui soufflait toutes les cinq minutes à la table voisine fut le premier à attirer leur attention. Il n’était plus tout jeune, mais il avait une classe peu commune et son visage sévère forçait le respect. Malgré l’âge, Lamberti n’avait rien perdu de sa superbe et son regard, perdu dans le lointain, lui donnait l’air de se trouver ailleurs. Il ne vit pas la mayonnaise qui vint s’échouer sur sa veste.
Léa et Carolina ne purent se retenir de rire de voir celui qu’elles avaient deviné être un agent secret tacher son déguisement de James Bond. Il tourna la tête vers elles, elles détournèrent le regard.
Elles continuèrent leur manège. Le jeu était simple : elles établissaient une sélection des meilleurs passants. Ce jour-ci, les élus furent au nombre de quatre.

Une vieille dame qui promenait son caniche fut la première. La femme et le chien se ressemblaient étrangement. Du chien, elle partageait les boucles blanches et son air chétif ; de la vieille, le cabot avait pris un air distingué et patibulaire. Ce qui avait motivé les deux filles dans leur sélection fut son élan de générosité pour un sans-abri. Elle avait glissé un billet dans sa main après avoir discuté avec lui de longues minutes.
Dino, le fleuriste, fut le second. Elles avaient l’habitude de le voir draguer à son étal et il faisait souvent partie des gagnants, mais aujourd’hui il s’était surpassé. Le beau parleur avait déclenché une bagarre entre les clientes, plus intéressées par le grand brun que par les petites roses.
La blonde qui vint lui clouer le bec l’avait rejoint au rang des élus. Jamais on avait vu Dino regarder quelqu’un de la sorte et jamais autant de badauds ne s’étaient retournés sur le passage d’une femme. Elle frôlait le mètre quatre-vingt et se mouvait avec une grâce de reine. Une robe blanche sans vulgarité aucune lui servait de parure. Les sourcils épais, les yeux foncés et les lèvres charnues trahissaient son origine latine. Elle avait porté une fleur à son nez, Dino s’était empressé de lui offrir. Elle s’était enfuie en riant.
Le juriste tâché compléta le tableau.

L’après-midi était parfait, les deux femmes profitaient de la vie, de Rome et de son caractère italien.

*****


Il la suivait depuis dix minutes. La nuit venait de tomber. Elle s’éloignait du centre-ville et progressait dans des petites ruelles. Elle rentra dans une aire de jeux. Il accéléra. Elle stoppa sa course en plein milieu du parc et sortit son téléphone.
Il lui sauta dessus. Elle laissa échapper un cri étouffé et elle se retrouva sur le dos avec l’homme au-dessus d’elle.
« Ta gueule ! Tu sautes sur tout ce qui bouge il parait ! Alors tu ne devrais pas chialer comme ça, poupée ! »

Léa Macchini, jeune fille de vingt-deux ans, fut retrouvée égorgée dans un parc de la capitale. L’info faisait la une dans tous les journaux du pays.
Lamberti savourait sa merguez. Ses précédents caprices avaient servi à le propulser dans les hautes sphères de Rome. Mais empoisonner des vieux magistrats n’était en rien comparable au plaisir de pouvoir savourer un repas sur la terrasse du Frizioni.
Un repas silencieux.
"Peindre en pleine forêt, c'est le rêve de n'importe quel fumeur de pétards !" T.
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Aureplume
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Re: Sur la terrasse du Frizioni

Message par Aureplume »

Dona : L'édonisme à l'italienne, Dolce vita et compagnie sont bien rendus ! J'aime énormément la fin qui reste placide, implacable pour ce criminel!:)

Mais je trouve que le dialogue peche un peu : il est trop long et j'ai un peu de mal avec les mots familiers. C'est vrai que la contrainte de caractères empêche parfois le détail psychologique qui manque ici.

Bonne imagination donc mais il faut encore faire tes armes ! ;) Tu es encore jeune, toi :mrgreen: Tu écris bien, c'est déjà un atout, il faut juste améliorer deux trois babioles pour amplifier le fond de l'histoire. Tu vas sûrement y arriver !
Aureplume : Merci Dona pour tes retours sur les deux textes. Hum, j'ai rarement l'humeur pour reprendre un jph, le texte a été envoyé et on a déjà voté pour etc.

Par contre, j'aime bien savoir les points noirs du texte, ça me sert toujours pour les futurs écrits. Je sais globalement ce qui peut plaire ou déplaire dans ce que je propose et j'en tiens bien évidemment compte.

Merci de me dire que j'écris bien, et de me rassurer sur une marge de progrès.

Verdict... aux prochains trucs que je sortirai de ma caboche !
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