Débat de Folie et d’Amour par Louise Labé

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Montparnasse
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Débat de Folie et d’Amour par Louise Labé

Message par Montparnasse »

Je vous propose un feuilleton avec cette œuvre habile et réjouissante de Louise Labé... Vous allez pouvoir vous exercer à la langue d'antan !

Débat de Folie et d’Amour (1555)

Argument

Jupiter faisoit un grand festin, ou estoit commandé à tous les Dieus se trouver. Amour et Folie arrivent en mesme instant sur la porte du Palais : laquelle estant jà fermee, et n'ayant que le guichet ouvert, Folie voyant Amour ja prest à mettre un pied dedens, s'avance et passe la premiere. Amour se voyant poussé, entre en colere : Folie soutient lui apartenir de passer devant. lls entrent en dispute sur leurs puissances, dinitez et preseances. Amour ne la pouvant veincre de paroles, met la main à son arc, et lui lasche une flesche, mais en vain : pource que Folie soudain se rend invisible : et se voulant venger, ôte les yeux à Amour. Et pour couvrir le lieu ou ils estoient, lui mit un bandeau, fait de tel artifice, qu'impossible est lui ôter. Venus se pleint de Folie, Jupiter veut entendre leur diferent. Apolon et Mercure debatent le droit de l'une et l'autre partie. Jupiter les ayant longuement ouiz, en demande l'opinion aus Dieus puis prononce sa sentence.

Personnages

FOLIE
AMOUR
VENUS
JUPITER
APOLON
MERCURE
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
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Re: Débat de Folie et d’Amour par Louise Labé

Message par Dona »

Géniale idée ! Je suis ! :coeur:
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Re: Débat de Folie et d’Amour par Louise Labé

Message par Montparnasse »

Puisque ma proposition est accueillie avec des cris de joie et que des femmes sont prêtes à s'évanouir, je vous posterai la suite demain !
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
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Re: Débat de Folie et d’Amour par Louise Labé

Message par Dona »

Montparnasse a écrit :Puisque ma proposition est accueillie avec des cris de joie et que des femmes sont prêtes à s'évanouir, je vous posterai la suite demain !

Bon... je m'évanouirai demain alors ! ;)
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Re: Débat de Folie et d’Amour par Louise Labé

Message par Montparnasse »

DISCOURS I

FOLIE. A ce que je voy, je serai la derniere au festin de Jupiter, ou je croy que lon m'attent. Mais je voy, ce me semble, le fils de Venus, qui y va aussi tart que moy. Il faut que je le passe : à fin que l'on ne m'apelle tardive et paresseuse.

AMOUR. Qui est cette fole qui me pousse si rudement ? quelle grande hâte la presse ? si je t'usse aperçue, je t'usse bien gardé de passer.

FOLIE. Tu ne m'usse pù empescher, estant si jeune et foible. Mais à Dieu te command', je vois devant dire que tu viens tout à loisir.

AMOUR. II n'en ira pas ainsi : car avant que tu m'eschapes, je te donneray à connoitre que tu ne te dois atacher à moy.

FOLIE. Laisse moy aller, ne m'arreste point : car ce te sera honte de quereler avec une femme. Et si tu m'eschaufes une fois, tu n'auras du meilleur.

AMOUR. Quelles menasses sont ce cy ? je n'ai trouvé encore personne qui m'ait menassé que cette fole.

FOLIE. Tu montres bien ton indiscrecion, de prendre en mal ce que je t'ay fait par jeu : et te mesconnois bien toy-mesme, trouvant mauvais que je pense avoir du meilleur si tu t'adresses à moy. Ne vois tu pas que tu n'es qu'un jeune garsonneau ? de si foible taille que quand j'aurois un bras lié, si ne te creindrois je gueres.

AMOUR. Me connois tu bien ?

FOLIE. Tu es Amour, fils de Venus.

AMOUR. Comment donques fais tu tant la brave aupres de moy, qui, quelque petit que tu me voyes, suis le plus creint et redouté entre les Dieus et les hommes ? et toy femme inconnue, oses tu te faire plus grande que moy ? ta jeunesse, ton sexe, ta façon de faire te dementent assez : mais plus, ton ignorance, qui ne te permet connoître le grand degré que je tiens.

FOLIE. Tu trionfes de dire. Ce n'est à moi à qui tu dois vendre tes coquilles. Mais di moy, quel est ce grand pouvoir dont tu te vantes ?

AMOUR. Le ciel et la terre en rendent témoignage. Il n'y a lieu ou n'aye laissé quelque trofee. Regarde au ciel tous les sieges des Dieus, et t'interrogue si quelcun d'entre eus s'est pù eschaper de mes mains. Commence au vieil Saturne, Jupiter, Mars, Apolon, et finiz aus Demidieus, Satires, Faunes et Silvains. Et n'auront honte les Deesses d'en confesser quelque chose. Et ne m'a Pallas espouventé de son bouclier : mais ne l'ay voulu interrompre de ses sutils ouvrages, où jour et nuit elle s'employe. Baisse toy en terre, et di si tu trouveras gens de marque, qui ne soient où ayent esté des miens. Voy en la furieuse mer, Neptune et ses Tritons, me prestans obeissance. Penses tu que les infernaus s'en exemptent ? ne les ay je fait sortir de leurs abimes, et venir espouventer les humains, et ravir les filles à leurs meres : quelques juges qu'ils soient de tels forfaits et transgressions faites contre les loix ? Et à fin que tu ne doutes avec quelles armes je fay tant de prouesses , voila mon Arc soul et mes flesches, qui m'ont fait toutes ces conquestes. Je n'ay besoin de Vulcan qui me forge de foudres, armet, escu et glaive. Je ne suis accompagné de Furies, Harpies et tourmenteurs de monde, pour me faire creindre avant le combat. Je n'ay que faire de chariots, soudars, hommes d'armes et grandes troupes de gens : sans lesquelles les hommes ne trionferoient la bas, estant d'eus si peu de chose, qu'un seul (quelque fort qu'il soit et puissant) est bien empesché alencontre de deus. Mais je n'ay autres armes, conseil, municion, ayde, que moymesme. Quand je voy les ennemis en campagne, je me presente avec mon Arc : et laschant une flesche les mets incontinent en route : et est aussi tot la victoire gaignée, que la bataille donnee.

FOLIE. J'excuse un peu ta jeunesse, autrement je te pourrois à bon droit nommer le plus presomtueus fol du monde. Il sembleroit à t'ouir que chacun tienne sa vie de ta merci : et que tu sois le vray Signeur et seul souverein tant en ciel qu'en terre. Tu t'es mal adressé pour me faire croire le contraire de ce que je say.

AMOUR. C'est une estrange façon de me nier tout ce que chacun confesse.

FOLIE. Je n'ay afaire du jugement des autres : mais quant à moy, je ne suis si aisee à tromper. Me penses tu de si peu d'entendement, que je ne connoisse à ton port, et à tes contenances, quel sons tu peus avoir ? et me feras tu passer devant les yeux, qu'un esprit leger comme le tien, et ton corps jeune et flouet, soit dine de telle signeurie, puissance, et autorité, que tu t'atribues ? et si quelques aventures estranges, qui te sont avenues, te déçoivent, n'estime pas que je tombe en semblable erreur, sachant tresbien que ce n'est par ta force et vertu, que tant de miracles soient avenuz au monde : mais par mon industrie, par mon moyen et diligence : combien que tu ne me connoisses. Mais si tu veux un peu tenir moyen en ton courrous, je te feray connoitre en peu d'heure ton arc, et tes flesches, où tant tu te glorifies, estre plus molz que paste, si je n'ay bandé l'arc, et trempé le fer de tes flesches.

AMOUR. Je croy que tu veus me faire perdre pacience, je ne sache jamais que personne ait manié mon arc, que moy : et tu me veus faire à croire, que sans toy je n'en pourrois faire aucun effort. Mais puis qu'ainsi est que tu l'estimes si peu, tu en feras tout à cette heure la preuve.

Folie se fait invisible, tellement, qu'Amour ne la peut assener.

AMOUR. Mais qu'es tu devenue ? comment m'es tu eschapee ? Ou je n'ay su t'ofenser, pour ne te voir, ou contre toy seule ha rebouché ma flesche : qui est bien le plus estrange cas qui jamais m'avint. Je pensois estre seul d'entre les Dieus, qui me rendisse invisible à eus mesmes quand bon me sembloit : Et maintenant ay trouvé qui m'a esbloui les yeux. Aumoins di moy, quiconque sois, si à l'aventure ma flesche t'a frapee, et si elle t'a blessee.

FOLIE. Ne t'avois je bien dit, que ton arc et tes flesches n'ont effort, que quand je suis de la partie. Et pourautant qu'il ne m'a plu d'estre navree, ton coup ha esté sans effort. Et ne t'esbahis si tu m'as perdue de vuë, car quand bon me semble, il n'y ha oeil d'Aigle, ou de serpent Epidaurien, qui me sache apercevoir. Et ne plus ne moins que le Cameleon, je prens quelquefois la semblance de ceus auprez desquelz je suis.

AMOUR. A ce que je voy, tu dois estre quelque sorciere ou enchanteresse. Es tu point quelque Circe, ou Medee, ou quelque Fée ?

FOLIE. Tu m'outrages tousiours de paroles : et n'a tenu a toy que ne l'aye esté de fait. Je suis Deesse, comme tu es Dieu : mon nom est Folie. je suis celle qui te fay grand, et abaisse à mon plaisir. Tu lasches l'arc, et gettes les flesches en l'air : mais je les assois aus coeurs que je veus. Quand tu te penses plus grand qu'il est possible d'estre, lors par quelque petit despit je te renge et remets avec le vulgaire. Tu t'adresses contre Jupiter : mais il est si puissant, et grand, que si je ne dressois ta main, si je n'avois bien trempé ta flesche, tu n'aurois aucun pouvoir sur lui. Et quand toy seul ferois aymer, quelle seroit ta gloire si je ne faisois paroitre cet amour par mille invencions ? Tu as fait aymer Jupiter : mais je l'ay fait transmuer en Cigne, en Taureau, en Or, en Aigle : en danger des plumassiers, des loups, des larrons et des chasseurs. Qui fit prendre Mars au piege avec ta mere, sinon moy, qui l'avois rendu si mal avisé, que venir faire un povre mari cocu dedens son lit mesme ? Qu'ust ce esté, si Paris n'ust fait autre chose, qu'aimer Helene ? Il estoit à Troye, l'autre à Sparte : ils n'avoient garde d'eus assembler. Ne lui fis je dresser une armee de mer, aller chez Menelas, faire la court à la femme, l'emmener par force, et puis defendre la querele injuste contre toute la Grece ? Qui ust parlé des Amours de Dido, si elle n'ust fait semblant d'aller à la chasse pour avoir la commodité de parler à Enee seule à seul, et lui montrer telle privauté, qu'il ne devoit avoir honte de prendre ce que volontiers elle ust donné, si à la fin n'ust couronné son amour d'une miserable mort ? On n'ust non plus parlé d'elle, que de mile autres hotesses, qui font plaisir aus passans. Je croy qu'aucune mencion ne seroit d'Artemise, si je ne lui usse fait boire les cendres de son mari. Car qui ust sù si son affeccion ust passé celle des autres femmes, qui ont aymé, et regretté leurs maris et leurs amis ? Les effets et issues des choses les font louer ou mespriser. Si tu fais aymer, j'en suis cause le plus souvent. Mais si quelque estrange aventure, on grand effet en sort, en celà tu n'y as rien : mais en est à moy seule l'honneur. Tu n'as rien que le coeur : le demeurant est gouverné par moy. Tu ne scez quel moyen faut tenir. Et pour te declarer qu'il faut faire pour complaire, je te meine et condui : et ne te servent tes yeus non plus que la lumiere à un aveugle. Et à fin que tu ne reconnoisses d' orenavant, et que me saches gré quand je te meneray ou conduiray : regarde si tu vois quelque chose de toymesme ?

Folie tire les yeus à Amour.

AMOUR. O Jupiter ! ô ma mere Venus ! Jupiter, Jupiter. que m'a servi d'estre Dieu, fils de Venus tant bien voulu jusques ici, tant au ciel qu'en terre, si je suis suget à estre injurié et outragé, comme le plus vil esclave ou forsaire, qui soit au monde ? et qu'une femme inconnue m'ait pù crever les yeus ? Qu'à la malheure fut ce banquet solennel institué pour moy. Me trouveray je en haut avecques les autres Dieus en tel ordre ? Ils se resjouiront, et ne feray que me pleindre. O femme cruelle ! comment m'as tu ainsi acoutré.

FOLIE. Ainsi se chatient les jeunes et presomptueus, comme toy. Quelle temerité ha un enfant de s'adresser à une femme, et l'injurier et l'outrager de paroles : puis de voye de fait tacher à la tuer. Une autre fois estime ceus que tu ne connois estre, possible, plus grans que toy. Tu as ofensé la Reine des hommes, celle qui leur gouverne le cerveau, coeur et esprit : à l'ombre de laquelle tous se retirent une fois en leur vie, et y demeurent les uns plus, les autres moins, selon leur merite. Tu as ofensé celle qui t'a fait avoir le bruit que tu as : et ne s'est souciee de faire entendre au Monde, que la meilleure partie du loz qu'il te donnoit, lui estoit due. Si tu usses esté plus modeste, encore que je fusse inconnue : cette faute ne te fust avenue.

AMOUR. Comment est il possible porter honneur à une personne, que l'on n'a jamais vue ? je ne t'ay point fait tant d'injure que tu dis, vu que ne te connoissois. Car si j'usse sù qui tu es, et combien tu as de pouvoir, je t'usse fait l'honneur que merite une grand' Dame. Mais est il possible, s'ainsi est que tant m'ayes aimé, et aydé en toutes mes entreprises, que m'ayant pardonné, me rendisses mes yeus ?

FOLIE. Que tes yeus te soient renduz, ou non, il n'est en mon pouvoir. Mais je t'acoutreray bien le lieu où ils estoient, en sorte que l'on n'y verra point de diformité Folie bande Amour, et lui met des esles. Et cependant que tu chercheras tes yeus, voici des esles que je te preste, qui te conduiront aussi bien comme moy.

AMOUR. Mais où avois tu pris ce bandeau si à propos pour me lier mes plaies.

FOLIE. En venant j'ay trouvé une des Parques, qui me l'a baillé, et m'a dit estre de telle nature, que jamais ne te pourra estre oté.

AMOUR. Comment oté ! je suis donq aveugle à jamais. O meschante et traytresse ! il ne te suffit pas de m'avoir crevé les yeus, mais tu as oté aus dieus la puissance de me les pouvoir jamais rendre. O qu'il n'est pas dit sans cause, qu'il ne faut point recevoir present de la main de ses ennemis. La malheureuse m'a blessé, et me suis mis entre ses mains pour estre pensé. O cruelles Destinees ! O noire Journee ! O moy trop credule ! Ciel, Terre, Mer, n'aurez-vous compassion de voir Amour aveugle ? O infame et detestable, tu te vanteras que ne t'ay pu fraper, que tu m'as oté les yeus, et trompe en me fiant en toy. Mais que me sert de plorer ici ? Il vaut mieus que me retire en quelque lieu apart, et laisse passer ce festin. Puis, s'il est ainsi que j'aye tant de faveur au Ciel ou en Terre, je trouveray moyen de me venger de la fausse Sorciere, qui tant m'a fait d'outrage.
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Message par Montparnasse »

DISCOURS II

Amour sort du Palais de Jupiter, et va resvant à son infortune.

AMOUR. Ores suis je las de toute chose. Il vaut mieus par despit descharger mon carquois, et getter toutes mes flesches, puis, rendre arc et trousse à Venus ma mere. Or aillent où elles pourront, ou en Ciel, ou en Terre, il ne m'en chaut : Aussi bien ne m'est plus loisible faire aymer qui bon me semblera. O que ces belles Destinees ont aujourd'hui fait un beau trait, de m'avoir ordonné estre aveugle, à fin qu'indiferemment, et sans accepcion de personne, chacun soit au hazard de mes traits et de mes flesches. Je faisois aymer les jeunes pucelles, les jeunes hommes : j'accompagnois les plus jolies des plus beaus et plus adroits. Je pardonnois aus laides, aux viles et basses personnes : je laissois la vieillesse en paix : Maintenant, pensant fraper un jeune, j'asseneray sus un vieillart : au lieu de quelque beau galand, quelque petit laideron à la bouche torse : et aviendra qu'ils seront les plus amoureus, et qui plus voudront avoir de faveur en amours : et possible par importunité, presens, ou richesses, ou disgrace de quelques Dames, viendront au dessus de leur intencion : et viendra mon regne en mespris entre les hommes, quand ils y verront tel desordre et mauvais gouvernement. Baste : en aille comme il pourra. Voila toutes mes flesches. Tel en soufrira qui n'en pourra mais.

VENUS. Il estoit bien tems que je te trouvasse, mon cher fils, tant tu m'as donné de peine. A quoy tient il, que tu n'es venu au banquet de Jupiter ? Tu as mis toute la compagnie en peine. Et en parlant de ton absence, Jupiter ha ouy dix mille pleintes de toy d'une infinité d'artisans, gens de labeur, esclaves, chambrieres, vieillars, vieilles edentées, crians tous à Jupiter qu'ils ayment : et en sont les plus aparens fachez, trouvant mauvais, que tu les ayes en cet endroit egalez à ce vil populaire : et que la passion propre aus bons esprits soit aujourd'hui familiere et commune aus plus lourds et grossiers.

AMOUR. Ne fust l'infortune, qui m'est avenue, j'usse assisté au banquet, comme les autres, et ne fussent les pleintes, qu'avez ouyes, esté faites.

VENUS. Es tu blessé, mon fils ? Qui t'a ainsi bandé les yeus ?

AMOUR. Folie m'a tiré les yeus : et de peur qu'ils ne me fussent renduz, elle m'a mis ce bandeau qui jamais ne me peut estre oté.

VENUS. O quelle infortune ! he moy miserable ! Donq tu ne me verras plus, cher enfant ? Au moins si te pouvois arroser la plaie de mes larmes.

Venus tasche à desnouer la bande.

AMOUR. Tu pers ton temps : les neuz sont indissolubles.

VENUS. O maudite ennemie de toute sapience, à femme abandonnee, ô à tort nommee Deesse, et A plus grand tort immortelle. Qui vid onq telle injure ? Si Jupiter, et les Dieus me croient, à tout le moins que jamais cette meschante n'ait pouvoir sur toy, mon fils.

AMOUR. A tard se feront ces defenses, il les failloit faire avant que fusse aveugle : maintenant ne me serviront gueres.

VENUS. Et donques Folie, la plus miserable chose du monde, ha le pouvoir d'oter à Venus le plus grand plaisir qu'elle ust en ce monde : qui estoit quand son fils Amour la voyoit. En ce estoit son contentement, son désir, sa félicité. Helas fils infortuné ! O desastre d'Amour ! O mere desolee ! O Venus sans fruit belle ! Tout ce que nous aquerons, nous le laissons à nos enfants : mon tresor n'est que beauté, de laquelle que chaut il à un aveugle ? Amour tant cheri de tout le monde, comme as tu trouvé beste si furieuse, qui t'ait fait outrage ! Qu'ainsi soit dit, que tous ceus qui aymeront (quelque faveur qu'ils ayent) ne soient sans mal, et infortune, à ce qu'ils ne se dient plus heureus, que le cher fils de Venus.

AMOUR. Cesse tes pleintes douce mere : et ne me redouble mon mal te voyant ennuiee. Laisse moy porter seul mon infortune et ne desire point mal à ceus qui me suivront.

VENUS. Allons, mon fils, vers Jupiter, et lui demandons vengeance de cette malheureuse.
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Re: Débat de Folie et d’Amour par Louise Labé

Message par Montparnasse »

Discours III

VENUS. Si onques tu uz pitié de moy, Jupiter, quand le fier Diomede me navra, lors, que tu me voyois travailler pour sauver mon fils Enee de l'impetuosité des vents, vagues, et autres dangers, esquels il fut tant au siege de Troye, que depuis : si mes pleurs pour la mort de mon Adonis te murent à compassion : la juste douleur, que j'ay pour l'injure faite à mon fils Amour, te devra faire avoir pitié de moy. Je dirois que c'est, si les larmes ne m'empeschoient. Mais regarde mon fils en quel estat il est, et tu connoitras pourquoy je me pleins.

JUPITER. Ma chere fille, que gaignes tu avec ces pleintes me provoquer à larmes ? Ne scez tu l'amour que je t'ay portee de toute memoire ? As tu defiance, ou que je ne te veuille secourir, ou que je ne puisse ?

VENUS. Estant la plus afligée mere du monde, je ne puis parler, que comme les afligées. Encore que vous m'ayez tant montré de faveur et d'amitié, si est ce que je n'ose vous suplier, que de ce que facilement vous otroiriez au plus estrange de la terre. Je vous demande justice, et vengeance de la plus malheureuse femme qui fust jamais, qui m'a mis mon fils Cupidon en tel ordre que voyez. C'est Folie, la plus outrageuse Furie qui onques fut es Enfers.

JUPITER. Folie ! ha elle esté si hardie d'atenter à ce, qui plus vous estoit cher ? Croyez que si elle vous ha fait tort, que telle punicion en sera faite, qu'elle sera exemplaire. Je pensois qu'il n'y ust plus debats et noises que entre les hommes : mais si cette outrecuidee ha fait quelque desordre si pres de ma personne, il lui sera cher vendu. Toutefois il la faut ouir, à fin qu'elle ne se puisse pleindre. Car encore que je puisse savoir de moymesme la verité du fait, si ne veus je point mettre en avant cette coutume, qui pourroit tourner a consequence, de condamner une personne sans l'ouir. Pource, que Folie soit apelee.

FOLIE. Haut et souverein Jupiter, me voici preste à respondre à tout ce qu'Amour me voudra demander. Toutefois j'ay une requeste à te faire. Pource que je say que de premier bond la plus part de ces jeunes Dieus seront du côté d'Amour, et pourront faire trouver ma cause mauvaise en m'interrompant, et ayder celle d'Amour accompagnant son parler de douces acclamacions : je te suplie qu'il y ait quelcun des Dieus qui parle pour moy, et quelque autre pour Amour : à fin que la qualité des personnes ne soit plus tot consideree, que la verité du fait. Et pource que je crein ne trouver aucun, qui, de peur d'estre apelé fol, ou ami de Folie, veuille parler pour moy : je te suplie commander à quelcun de me prendre en sa garde et proteccion.

JUPITER. Demande qui tu voudras, et je le chargeray de parler pour toy.

FOLIE. Je te suplie donq que Mercure en ait la charge. Car combien qu'il soit des grans amis de Venus, si suis je seure, que s'il entreprent parler pour moy, il n'oublira rien qui serve à ma cause.

JUPITER. Mercure, il ne faut jamais refuser de porter parole pour un miserable et afligé : Car ou tu le mettras hors de peine, et sera ta louenge plus grande, d'autant qu'auras moins ù de regard aus faveurs, et richesses, qu'à la justice et droit d'un povre homme : ou ta priere ne lui servira de rien, et neanmoins ta pitié, bonté et diligence, seront recommandees. A cette cause tu ne dois diferer ce que cette povre afligee te demande : Et ainsi je veus et commande que tu le faces.

MERCURE. C'est chose bien dure à Mercure moyenner desplaisir à Venus. Toutefois, puis que tu me contreins, je feray mon devoir tant que Folie aura raison de se contenter.

JUPITER. Et toy, Venus, quel des Dieus choisiras-tu ? l'affeccion maternelle, que tu portes à ton fils, et l'envie de voir venger l'injure, qui lui ha esté faite, te pourroit transporter. Ton fils estant irrité, et navré recentement, n'y pourroit pareillement satisfaire. A cette cause, choisi quel autre tu voudras pour parler pour vous : et croy qu'il ne lui sera besoin lui commander : et que celui à qui tu t'adresseras, sera plus aise de te faire plaisir en cet endroit, que toy de le requerir. Neanmoins s'il en est besoin, je le lui commanderay.

VENUS. Encor que l'on ait semé par le monde, que la maison d'Apolon et la mienne ne s'acordoientgueres bien : si le crois je de si bonne sorte qu'il ne me voudra esconduire en cette necessité, lui requerant son ayde à cestui mien extreme besoin : et montrera par l'issue de cette afaire, combien il y ha plus d'amitié entre nous, que les hommes ne cuident.

APOLON. Ne me prie point, Desese de beauté : et ne fais dificulté que ne te veuille autant de bien, comme merite la plus belle des Deesses. Et outre le témoignage, qu'en pourroient rendre tes jardins, qui sont en Cypre et Ida, si bien par moy entretenus, qu'il n'y ha rien plus plaisant au monde : encore connoitras tu par l'issue de cette querelle combien je te porte d'affeccion et me sens fort aise que, te retirant vers moy en cet affaire, tu declaires aus hommes comme faussement ils ont controuvé, que tu avois conjuré contre toute ma maison.

JUPITER. Retirez vous donq un chacun, et revenez demain a semblable heure, et nous mettrons peine d'entendre et vuider vos querelles.
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Message par Montparnasse »

Discours IV

Cupidon vient donner le bon jour à Jupiter.

JUPITER. Que dis tu petit mignon ? Tant que ton diferent soit terminé, nous n'aurons plaisir de toy. Mais ou est ta mere ?

AMOUR. Elle est allee vers Apolon, pour l'amener au consistoire des Dieus. Ce pendant elle m'a commandé venir vers toy te donner le bon jour.

JUPITER. Je la plein bien pour l'ennui qu'elle porte de ta fortune. Mais je m'esbahi comme, ayant tant ofensé de hauts Dieus et grands Seigneurs, tu n'as jamais ù mal que par Folie !

AMOUR. C'est pource que les Dieus et hommes, bien avisez, creingnent que ne leur face pis. Mais Folie n'a pas la consideracion et jugement si bon.

JUPITER. Pour le moins te devroient ils hair, encore qu'ils ne t'osassent ofenser. Toutefois tous tant qu'ils sont t'ayment.

AMOUR. Je seroye bien ridicule, si ayant le pouvoir de faire les hommes estre aymez, ne me faisois aussi estre aymé.

JUPITER. Si est il bien contre nature, que ceus qui ont reçu tout mauvais traitement de toy, t'ayment autant comme ceus qui ont ù plusieurs faveurs.

AMOUR. En ce se montre la grandeur d'Amour, quand on ayme celui dont on est mal traité.

JUPITER. Je say fort bien par experience, qu'il n'est point en nous d'estre aymez : car, quelque grand degré où je sois, si ay je esté bien peu aymé : et tout le bien qu'ay reçu, l'ay plus tot ù par force et finesse, que par amour.

AMOUR. J'ay bien dit que je fais aymer encore ceus, qui ne sont point aymez : mais si est il en la puissance d'un chacun le plus souvent de se faire aymer. Mais peu se treuvent, qui facent en amour tel devoir qu'il est requis.

JUPITER. Quel devoir ?

AMOUR. La premiere chose dont il faut s'enquerir, c'est s'il y ha quelque Amour imprimee : et s'il n'y en ha, ou qu'elle ne soit encor enracinee, ou qu'elle soit desja toute usee, faut songneusement chercher quel est le naturel de la personne aymee : et, connoissant le notre, avec les commoditez, façons, et qualitez estre semblables, en user : si non, le changer. Les Dames que tu as aymees, vouloient estre louces, entretenues par un long temps, priees, adorees : quell' Amour penses tu qu'elles t'ayent porté, te voyant en foudre, en Satire, en diverses sortes d'Animaus, et converti en choses insensibles ? La richesse te fera jouir des dames qui sont avares : mais aymer non. Car cette affeccion de gaigner ce qui est au coeur d'une personne, chasse la vraye et entiere Amour : qui ne cherche son proufit, mais celui de la personne, qu'il ayme. Les autres especes d'Animaus ne pouvoient te faire amiable. Il n'y ha animant courtois et gracieus que l'homme, lequel puisse se rendre suget aus complexions d'autrui, augmenter sa beauté et bonne grace par mile nouveaus artifices : plorer, rire, chanter, et passionner la personne qui le voit. La lubricité et ardeur de reins n'a rien de commun, ou bien peu avec Amour. Et pource les femmes ou jamais n'aymeront, ou jamais ne feront semblant d'aymer pour ce respect. Ta magesté Royale encores ha elle moins de pouvoir en ceci : car Amour se plait de choses egales. Ce n'est qu'un joug, lequel faut qu'il soit porté par deus Taureaus semblables : autrement le harnois n'ira pas droit. Donq quand tu voudras estre aymé descens en bas, laisse ici ta couronne et ton sceptre, et ne dis qui tu es. Lors tu verras en bien servant et aymant quelque Dame, que sans qu'elle ait egard à richesse ne puissance, de bon gré t'aymera. Lors tu sentiras bien un autre contentement, que ceus que tu as uz par le passé: et au lieu d'un simple plaisir, en recevras un double. Car autant y ha il de plaisir à estre baisé et aymé, que de baiser et aymer.

JUPITER. Tu dis beaucoup de raisons : mais il faut un long tems, une sugeccion grande, et beaucoup de passions.

AMOUR. Je say bien qu'un grand Signeur se fache de faire longuement la court, que ses afaires d'importance ne permettent pas qu'il s'y assugettisse, et que les honneurs qu'il regoit tous les jours, et autres passetems sans nombre, ne lui permettent croitre ses passions, de sorte qu'elles puissent mouvoir leurs amies à pitié. Aussi ne doivent ils atendre les grans et faciles contentemens qui sont en Amour, mais souvente fois j'abaisse si bien les grans, que je les fay à tous, exemple de mon pouvoir.

JUPITER. Il est tems d'aller au consistoire : nous deviserons une autrefois plus à loisir.
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
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Re: Débat de Folie et d’Amour par Louise Labé

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DISCOURS V

APOLON. Si onques te falut songneusement pourvoir à tes afaires, souverein Jupiter, ou quand avec l'aide de Briare tes plus proches te vouloient mettre en leur puissance, ou quand les Geants fils de la Terre, mettans montaigne sur montaigne, deliberoient nous venir combattre jusques ici, ou quand le Ciel et la Terre cuiderent bruler : à cette heure, que la licence des fols est venue si grande, que d'outrager devant tes yeus l'un des principaus de ton Empire, tu n'as moins d'occasion d'avoir creinte, et ne dois diferer à donner pront remede au mal ja commencé. S'il est permis à chacun atenter sur le lien qui entretient et lie tout ensemble : je voy en peu d'heure le Ciel en desordre, je voy les uns changer leurs cours, les autres entreprendre sur leurs voisins une consommacion universelle : ton sceptre, ton trone, ta magesté en danger. Le sommaire de mon oraison sera conserver ta grandeur en son intégrité, en demandant vengeance de ceus qui outragent Amour, la vraye ame de tout l'univers, duquel tu tiens ton sceptre. D'autant donq que ma cause est tant favorable, conjointe avec la conservacion de ton estat, et que néanmoins je ne demande que justice : d'autant plus me devras tu atentivement escouter. L'injure que je meintien avoir été faite à Cupidon, est telle : Il venoit au festin dernier : et voulant entrer par une porte, Folie acourt apres lui, et lui mettant la main sur l'espaule le tire en arriere, et s'avance, et passe la premiere. Amour voulant savoir qui c'estoit, s'adresse à elle. Elle lui dit plus d'injures, qu'il n'apartient à une femme de bien à dire. De là elle commence se hausser en paroles, se magnifier, fait Amour petit. Lequel se voyant ainsi peu estimé, recourt à la puissance, dont tu l'as toujours vù, et permets user contre toute personne. Il la veut faire aymer : elle evite au coup : et feingnant ne prendre en mal, ce que Cupidon lui avoit dit, recommence à deviser avec lui : et en parlant tout d'un coup lui, leve les yeus de la teste. Ce fait, elle se vient à faire si grande sur lui, qu'elle lui fait entendre de ne lui estre possible le guerir, s'il ne reconnoissoit, qu'il ne lui avoit porté l'honneur qu'elle meritoit. Que ne feroit on pour recouvrer la joyeuse vuë, du Soleil ? Il dit, il fait tout ce qu'elle veut. Elle le bande, et pense ses plaies en attendant que meilleure occasion vinst de lui rendre la vuë. Mais la traytresse lui mit tel bandeau, que jamais ne sera possible lui oter : par ce moyen voulant se moquer de toute l'ayde que tu lui pourrois donner, et encor que tu lui rendisses les yeux, qu'ils fussent neanmoins inutiles. Et pour le mieus acoutrer lui ha baillé de ses esles à fin d'estre aussi bien guidé comme elle. Voilà deus injures grandes et atroces faites à Cupidon. On l'a blessé, et lui ha lon oté le pouvoir et moyen de guerir. La plaie se voit, le delit est manifeste : de l'auteur ne s'en faut enquerir. Celle qui ha fait le coup, le dit, le presche, en fait ses contes par tout. Interrogue la : plus tot l'aura confessé que ne l'auras demandé. Que restie-t-il ? Quand il est dit : qui aura tiré une dent, lui en sera tiré une autre : qui aura arraché un oeil, lui en sera semblablement crevé un, celà s'entent entre personnes egales. Mais quand on ha ofensé ceus, desquels depend la conservacion de plusieurs, les peines s'aigrissent, les loix s'arment de severité, et vengent le tort fait au publiq. Si tout l'Univers ne tient que par certeines amoureuses composicions, si elles cessoient, l'ancien Abime reviendroit. Otant l'amour, tout est ruiné. C'est donq celui, qu'il faut conserver en son estre : c'est celui, qui fait multiplier les hommes, vivre ensemble, et perpétuer le monde, par l'amour et solicitude qu'ils portent à leurs successeurs. Injurier cet Amour, l'outrager, qu'est-ce, sinon vouloir troubler et ruïner toutes choses ? Trop mieux vaudroit que la temeraire se fust adressee à toy : car tu t'en fusses bien donné garde. Mais s'estant adressee à Cupidon, elle t'a fait dommage irreparable, et au quel n'as ù puissance de donner ordre. Cette injure touche aussi en particulier tous les autres Dieus, Demidieus, Faunes, Satires, Silvains, Deesses, Nynfes, Hommes, et Femmes : et croy qu'il n'y ha Animant, qui ne sente mal, voyant Cupidon blessé. Tu as donq osé, ô detestable, nous faire à tous despit, en outrageant ce que tu savois estre de tous aymé. Tu as ù le coeur si malin, de navrer celui qui apaise toutes noises et querelles. Tu as osé atenter au fils de Venus : et ce en la court de Jupiter : et as fait qu'il y ha ù ça haut moins de franchise, qu'il n'y ha la bas entre les hommes, es lieus qui nous sont consacrez. Par tes foudres, ô Jupiter, tu abas les arbres, ou quelque povre femmelette gardant les brebis, ou quelque meschant garsonneau, qui aura moins dinement parlé de ton nom : et cette cy, qui, mesprisant ta magesté, ha violé ton Palais, vit encores ! et où ? au ciel : et est estimee immortelle, et retient nom de Deesse ! Les roues des Enfers soutiennent elles une ame plus detestable que cette cy ? Les montaignes de Sicile couvrent elles de plus execrables personnes ? Et encores n'a elle honte de se presenter devant vos divinitez : et lui semble (si je l'ose dire) que serez tous si fols, que de l'absoudre. Je n'ay neantmoins charge par Amour de requerir vengeance et punicion de Folie. Les gibets, potences, roues, couteaus, et foudres ne lui plaisent, encor que fust contre ses malveillans, contre lesquels mesmes il ha si peu usé de son ire, que, oté quelque subit courrous de la jeunesse qui le suit, il ne se trouva jamais un seul d'eus qui ait voulu l'outrager, fors cette furieuse. Mais il laisse le tout à votre discrecion, ô Dieus : et ne demande autre chose, sinon que ses yeus lui soient rendus, et qu'il soit dit, que Folie ha ù tort de l'injurier et outrager. Et à ce que par ci apres n'avienne tel desordre, en cas que ne vueillez ensevelir Folie sous quelque montaigne, ou la mettre à l'abandon de quelque aigle, ce qu'il ne requiert, vous vueillez ordonner, que Folie ne se trouvera pres du lieu où Amour sera, de cent pas à la ronde. Ce que trouverez devoir estre fait, apres qu'aurez entendu de quel grand bien sera cause Amour, quand il aura gaigné ce point : et de combien de maus il sera cause, estant si mal accompaigné, mesmes; à present qu'il ha perdu les yeus. Vous ne trouverez point mauvais que je touche en brief en quel honneur et reputation est Amour entre les hommes, et qu'au demeurant de mon oraison je ne parle guere plus que d'eus. Donques les hommes sont faits l'image et semblance de nous, quant aus esprits leurs corps sont composez de plusieurs et diverses complexions : et entre eus si diferens tant en figure, couleur et forme, que jamais en tant de siecles, qui ont passé, ne s'en trouva, que deus ou trois pers, qui se ressemblassent: encore leurs serviteurs et domestiques les connoissoient particulièrement l'un d'avec l'autre. Estans ainsi en meurs, complexions, et forme dissemblables, sont neanmoins ensemble liez et assemblez par une benivolence, qui les fait vouloir bien l'un à l'autre : et ceus qui en ce sont les plus excellens, sont les plus reverez entre eus. Deli est venue la premère gloire entre les hommes. Car ceus qui avoient inventé quelque chose à leur proufit, estoient estimez plus que les autres. Mais faut penser que cette envie de proufiter en publiq, n'est procedee de gloire, comme estant la gloire postérieure en tems. Quelle peine croyez vous, qu'a ù Orphee pour destourner les hommes barbares de leur acoutumee cruauté ? pour les faire assembler en compagnies politiques ? pour leur mettre en horreur le piller et robber l'autrui ? Estimez vous que ce fust pour gain ? duquel ne se parloit encores entre les hommes, qui n'avoient fouillé es entrailles de la terre ? La gloire comme j'ay dit, ne le pouvoit mouvoir. Car n'estans point encore de gens politiquement vertueus, il n'y pouvoit estre gloire, ny envie de gloire. L'amour qu'il portoit en general aus hommes, le faisoit travailler à les conduire à meilleure vie. C'estoit la douceur de sa Musique, que l'on dit avoir adouci les Loups, Tigres, Lions : attiré les arbres, et amolli les pierres : et quelle pierre ne s'amolliroit entendant le dous preschement de celui qui amiablement la veut atendrir pour recevoir l'impression de bien et honneur ? Combien estimez vous que Promethee soit loué à bas pour l'usage du feu, qu'il inventa ? Il le vous desroba, et encourut votre indignacion. Estoit ce qu'il vous voulust ofenser ? je croy que non : mais l'amour, qu'il portoit à l'homme, que tu lui baillas, ô Jupiter, commission de faire de terre, et l'assembler de toutes pieces ramassees des autres animaus. Cet amour que l'on porte en general à son semblable, est en telle recommandacion entre les hommes, que le plus souvent se trouvent entre eus qui pour sauver un pais, leur parent, et garder l'honneur de leur Prince, s'enfermeront dedens lieus peu defendables, bourgades, colombiers : et quelque asseurance qu'ils ayent de la mort, n'en veulent sortir a quelque composicion que ce soit, pour prolonger la vie à ceus que l'on ne peut assaillir que apres leur ruine. Outre cette affeccion generale, les hommes en ont quelque particuliere l'un envers l'autre, et laquelle, moyennant qu'elle n'ait point le but de gain, ou deplaisir de soymesme, n'ayant respect à celui, que l'on se dit aymer, est en tel estime au monde, que on ha remarqué songneusement par tous les siecles ceus, qui se sont trouvez excellens en icelle, les ornant de tous les plus honorables titres que les hommes peuvent inventer. Mesmes ont estimé cette seule vertu estre sufisante pour d'un homme faire un Dieu. Ainsi les Scythes deïfierent Pylade et Oreste, et leur dresserent temples et autels, les apelans les Dieus d'amitié. Mais avant iceus estoit Amour, qui les avoit liez et uniz ensemble.

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Raconter l'opinion, qu'ont les hommes des parens d'Amour, ne seroit hors de propos, pour montrer qu'ils l'estiment autant ou plus, que nul autre des Dieus. Mais en ce ne sont d'un acord, les uns le faisant sortir de Chaos et de la Terre : les autres du Ciel et de la Nuit : aucuns de Discorde et de Zephire : autres de Venus la vraye mere, l'honorant par ses anciens peres et meres, et par les effets merveilleus que de tout tems il ha acoutumé montrer. Mais il me semble que les Grecs d'un seul surnom qu'ils t'ont donné, Jupiter, t'apelant amiable, témoignent assez que plus ne pouvoient exaucer Amour, qu'en te faisant participant de sa nature. Tel est l'honneur que les plus savans et plus renommez des hommes donnent à Amour. Le commun populaire le prise aussi et estime pour les grandes experiences qu'il voit des commoditez, qui proviennent de lui. Celui qui voit que l'homme (quelque vertueus qu'il soit) languit en sa maison, sans l'amiable compagnie d'une femme, qui fidelement lui dispense son bien, lui augmente son plaisir, ou le tient en bride doucement, de peur qu'il n'en prenne trop, pour sa santé, lui ote les facheries, et quelquefois les empesche de venir, l'appaise, l'adoucit, le traite sain et malade, le fait avoir deus corps, quatre bras, deus ames, et plus parfait que les premiers hommes du banquet de Platon, ne confessera il que l'amour conjugale est dine de recommandacion ? et n'atribuera cette félicité au mariage, mais à l'amour qui 1'entretient. Lequel, s'il defaut en cet endroit, vous verrez l'homme forcené, fuir et abandonner sa maison. La femme au contraire ne rit jamais, quand elle n'est en amour avec son mari. Ilz ne sont jamais en repos. Quand l'un veut reposer, l'autre crie. Le bien se dissipe, et vont toutes choses au rebour. Et est preuve certeine, que la seule amitié fait avoir en mariage le contentement, que l'on dit s'y trouver. Qui ne dira bien de l'amour fraternelle, ayant veu Castor et Pollux, l'un mortel estre fait immortel à moitié du don de son frere ? Ce n'est pas estre frere, qui cause cet heur (car peu de freres sont de telle sorte) mais l'amour grande qui estoit entre eus. Il seroit long à discourir comme Jonathas sauva la vie à David : dire l'histoire de Pythias et Damon : de celui qui quitta son espouse à son ami la premiere nuit, et s'en fuit vagabond par le monde. Mais pour montrer quel bien vient d'amitié, j'allegueray le dire d'un grand Roy, lequel, ouvrant une grenade, interrogué de quelles choses il voudroit avoir autant, comme il y avoit de grains en la pomme, respondit : de Zopires. C'estoit ce Zopire, par le moyen duquel il avoit recouvré Babilone. Un Scythe demandant en mariage une fille, et sommé de bailler son bien par declaracion, dit : qu'il n'avoit autre bien que deus amis, s'estimant assez riche avec telle possession pour oser demander la fille d'un grand Seigneur en mariage. Et pour venir aus femmes, ne sauva Ariadne la vie à Thesee ? Hypermnestre A Lyncee ? Ne se sont trouvees des armees en danger en païs estranges, et sauvees par l'amitié que quelques Dames portoient aux: Capiteines ? des Rois remiz en leurs principales citez par les intelligences, que leurs amies leur avoient pratiquees secretement ? Tant y ha de povres soudars, qui ont esté eslevez par leurs amies es Contez, Duchez, Royaumes qu'elles possedoient. Certainement tant de commoditez provenans aus hommes par Amour ont bien aydé à l'estimer grand. Mais plus que toute chose, l'afeccion naturelle, que tous avons à aymer, nous le fait eslever et exalter. Car nous voulons faire paroitre, et estre estimé ce à quoy nous nous sentons enclins. Et qui est celui des hommes, qui ne prenne plaisir, ou d'aymer, ou d'estre aymé ? je laisse ces Mysanthropes, et Taupes cachees sous terre, et enseveliz de leurs bizarries, lesquels auront par moy tout loisir de n'estre point aymez, puis qu'il ne leur chaut d'aymer. S'il m'estoit licite, je les vous depeindrois, comme je les voy decrire aus hommes de bon esprit. Et neanmoins il vaut mieus en dire un mot, à fin de connoitre combien est mal plaisante et miserable la vie de ceus, qui se sont exemptez d'Amour. Ils dient que ce sont gens mornes, sans esprit, qui n'ont grace aucune à parler, une voix rude, un aller pensif, un visage de mauvaise rencontre, un oeil baissé, creintifs, avares, impitoyables, ignorans, et n'estimans personne : Loups garous. Quand ils entrent en leur maison, ils creingnent que quelcun les regarde. Incontinent qu'ils sont entrez, barrent leur porte, serrent les fenestres, mengent sallement sans compagnie, la maison mal en ordre : se couchent en chapon le morceau au bec. Et lors à beaus gros bonnets gras de deus doits d'espais, la camisole atachee avec esplingues enrouillees jusques au dessous du nombril, grandes chausses de laine venans à mycuisse, un oreiller bien chaufé et sentant sa gresse fondue : le dormir acompagné de toux, et autres tels excremens dont ils remplissent les courtines. Un lever pesant, s'il n'y ha quelque argent à recevoir : vieilles chausses rapetassees : souliers de païsant : pourpoint de drap fourré : long saye mal ataché devant : la robbe qui pend par derriere jusques aus espaules : plus de fourrures et pelisses : calottes et larges bonnets couvrans les cheveus mal pignez : gens plus fades à voir, qu'un potage sans sel à humer. Que vous en semble ? Si tous les hommes estoient de cette sorte, y auroit il pas peu de plaisir de vivre avec eus ? Combien plus tôt choisiriez-vous un homme propre, bien en point, et bien parlant, tel qu'il ne s'est pù faire sans avoir envie de plaire à quelcun ? Qui ha inventé un dous et gracieus langage entre les hommes ? et où premierement ha il esté employé ? ha ce esté à persuader de faire guerre au païs ? eslire un Capiteine ? acuser ou defendre quelcun ? Avant que les guerres se fissent, paix, alliances et consideracions en publiq : avant qu'il fust besoin de Capiteines, avant les premiers jugemens que fites faire en Atheries, il y avoit quelque maniere plus douce et gracieuse, que le commun : de laquelle userent Orphee, Amphion, et autres. Et où en firent preuve les hommes, sinon en Amour ? Par pitié on baille à manger à une creature, encore qu'elle n'en demande. On pense à un malade, encore qu'il ne veuille guerir. Mais qu'une femme ou homme d'esprit, prenne plaisir à l'afeccion d'une personne, qui ne la peut descouvrir, lui donne ce qu'il ne peut demander, escoute un rustique et barbare langage : et tout tel qu'il est, sentant plus son commandement, qu'amoureuse priere, cela ne se peut imaginer. Celle, qui se sent aymee, ha quelque autorite, sur celui qui l'ayme : car elle voit en son pouvoir, ce que l'Amant poursuit, comme estant. quelque grand bien et fort desirable. Cette autorité veut estre reveree en gestes, faits, contenances, et paroles. Et de ce vient, que les Amans choisissent les façons de faire, par lesquelles les personnes aymees auront plus d'ocasion de croire l'estime et reputacion. que lon ha d'elles. On se compose les yeus à douceur et pitié, on adoucit le front, on amollit le langage, encore que de son naturel l'Amant ust le regard horrible, le front despité, et langage sot et rude : car il ha incessamment au coeur l'object de l'amour, qui lui cause un desir d'estre dine nden recevoir faveur, laquelle il scet bien ne pouvoir avoir sans changer son naturel. Ainsi entre les hommes Amour cause une connoissance de soymesme. Celui qui ne tache complaire à personne, quelque perfeccion qu'il ait, n'en ha non plus de plaisir, que celui qui porte une fleur dedens sa manche. Mais celui qui desire plaire, incessamment pense à son fait : mire et remire la chose aymee : suit les vertus qu'il voit lui estre agreables, et s'adonne aus complexions contraires à soymesme, comme celui qui porte le bouquet en main, donne certein Jugement de quelle fleur vient l'odeur et senteur qui plus lui est agreable. Apres que l'Amant ha compose son corps et complexion à contenter 1'esprit de l'aymee, il donne ordre que tout ce qu'elle verra sur lui, ou lui donnera plaisir, ou pour le moins elle n'y trouvera à se facher. De là ha ù source la plaisante invencion des habits nouveaus. Car on ne veut jamais venir à ennui et lasseté, qui provient de voir tousjours une mesme chose. L'homme ha tousjours mesme corps, mesme teste, mesme bras, jambes et pieds : mais il les diversifie de tant de sortes, qu'il semble tous les jours estre renouvelé. Chemises parfumees de mile et mile sortes d'ouvrages : bonnet à la saison, pourpoint, chausses jointes et serrees, montrant les mouvemens du corps bien disposé : mile façons de bottines, brodequins, escarpins, souliers, sayong, casaquins, robbes, robbons, cappes, manteaus : le tout en si bon ordre, que rien ne passe. Et que dirons nous des femmes, l'abit desquelles, et l'ornement de corps, dont elles usent, est fait pour plaire, si jamais rien fut fait. Est il possible de mieus parer une teste, que les dames font et feront à jamais ? avoir cheveus mieus dorez, crespes, frizez ? acoutrement de teste mieus seant, quand elles s'acoutreront à l'Espagnole, à la Françoise, à l'Alemande, à l'Italienne, à la Grecque ? Quelle diligence mettent elles au demeurant de la face ? Laquelle, si elle est belle, elles contregardent tant bien contre les pluies, vents, chaleurs, tems et vieillesse, qu'elles demeurent presque tousjours jeunes. Et si elle ne leur est du tout telle, qu'elles la pourroient desirer, par honneste soin la se procurent : et l'ayant moyennement agreable, sans plus grande curiosité, seulement avec vertueuse industrie la continuent, selon la mode de chacune nacion, contree, et coutume. Et avec tout celà, l'habit propre comme la feuille autour du fruit. Et s'il y ha perfeccion du corps, ou lineament qui puisse, ou doive estre vù et montré, bien peu le cache l'agencement du vêtement : ou s'il est caché, il l'est en sorte, que lon le cuide plus beau et delicat. Le sein aparoit de tant plus beau, qu'il semble qu'elles ne le veuillent estre vù : les mamelles en leur rondeur relevees font donner un peu d'air au large estomac. Au reste, la robbe bien jointe, le corps estreci ou il le faut : les manches serrees, si le bras est massif : si non, larges et bien enrichies : la chausse tiree : l'escarpin façonnant le petit pié (car le plus souvent l'amoureuse curiosité des hommes fait rechercher la beauté jusques au bout des piez :) tant de pommes d'or, chaines, bagues, ceintures, pendans, gans parfumez, manchons : et en somme tout ce qui est de beau, soit à l'accoutrement des hommes ou des femmes, Amour en est l'auteur.

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