Poésies (mont)parnassiennes

En vers ou en prose !
Avatar de l’utilisateur
Montparnasse
Administrateur
Messages : 4231
Inscription : 04 janvier 2016, 18:20
Localisation : Balaruc-les-Bains (34)
Contact :

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Montparnasse »

OCEANO NOX
Saint-Valery-Sur-Somme.
Oh ! combien de marins, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines,
Dans ce morne horizon se sont évanouis !
Combien ont disparu, dure et triste fortune !
Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune,
Sous l’aveugle océan à jamais enfouis !

Combien de patrons morts avec leurs équipages !
L’ouragan de leur vie a pris toutes les pages
Et d’un souffle il a tout dispersé sur les flots !
Nul ne saura leur fin dans l’abîme plongée.
Chaque vague en passant d’un butin s’est chargée ;
L’une a saisi l’esquif, l’autre les matelots !

Nul ne sait votre sort, pauvres têtes perdues !
Vous roulez à travers les sombres étendues,
Heurtant de vos fronts morts des écueils inconnus.
Oh ! que de vieux parents, qui n’avaient plus qu’un rêve,
Sont morts en attendant tous les jours sur la grève
Ceux qui ne sont pas revenus !

On s’entretient de vous parfois dans les veillées.
Maint joyeux cercle, assis sur des ancres rouillées,
Mêle encor quelque temps vos noms d’ombre couverts
Aux rires, aux refrains, aux récits d’aventures,
Aux baisers qu’on dérobe à vos belles futures,
Tandis que vous dormez dans les goëmons verts !

On demande : — Où sont-ils ? sont-ils rois dans quelque île ?
Nous ont-ils délaissés pour un bord plus fertile ? —
Puis votre souvenir même est enseveli.
Le corps se perd dans l’eau, le nom dans la mémoire.
Le temps, qui sur toute ombre en verse une plus noire,
Sur le sombre océan jette le sombre oubli.

Bientôt des yeux de tous votre ombre est disparue.
L’un n’a-t-il pas sa barque et l’autre sa charrue ?
Seules, durant ces nuits où l’orage est vainqueur,
Vos veuves aux fronts blancs, lasses de vous attendre,
Parlent encor de vous en remuant la cendre
De leur foyer et de leur cœur !

Et quand la tombe enfin a fermé leur paupière,
Rien ne sait plus vos noms, pas même une humble pierre
Dans l’étroit cimetière où l’écho nous répond,
Pas même un saule vert qui s’effeuille à l’automne,
Pas même la chanson naïve et monotone
Que chante un mendiant à l’angle d’un vieux pont !

Où sont-ils, les marins sombrés dans les nuits noires ?
Ô flots, que vous savez de lugubres histoires !
Flots profonds redoutés des mères à genoux !
Vous vous les racontez en montant les marées,
Et c’est ce qui vous fait ces voix désespérées
Que vous avez le soir quand vous venez vers nous !

(V. Hugo, Les Rayons et les Ombres, juillet 1836)
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
Avatar de l’utilisateur
Montparnasse
Administrateur
Messages : 4231
Inscription : 04 janvier 2016, 18:20
Localisation : Balaruc-les-Bains (34)
Contact :

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Montparnasse »

à Mademoiselle Louise B.
SAGESSE

I

— Ainsi donc rien de grand, rien de saint, rien de pur,
Rien qui soit digne, ô ciel ! de ton regret d’azur !
Rien qui puisse anoblir le vil siècle où nous sommes,
Ne sortira du cœur de l’homme enfant des hommes !
Homme ! esprit enfoui sous les besoins du corps !
Ainsi, jouir ; descendre à tâtons chez les morts ;
Être à tout ce qui rampe, à tout ce qui s’envole,
À l’intérêt sordide, à la vanité folle ;
Ne rien savoir - qu’emplir, sans souci du devoir,
Une charte de mots ou d’écus un comptoir ;
Ne jamais regarder les voûtes étoilées ;
Rire du dévouement et des vertus voilées ;
Voilà ta vie, hélas ! et tu n’as, nuit et jour,
Pour espoir et pour but, pour culte et pour amour,
Qu’une immonde monnaie aux carrefours traînée
Et qui te laisse aux mains sa rouille empoissonnée !
Et tu ne comprends pas que ton destin, à toi,
C’est de penser ! c’est d’être un mage et d’être un roi ;
C’est d’être un alchimiste alimentant la flamme
Sous ce sombre alambic que tu nommes ton âme,
Et de faire passer par ce creuset de feu
La nature et le monde, et d’en extraire Dieu !
Quoi ! la brute a sa sphère et l’élément sa règle !
L’onde est au cormoran et la neige est à l’aigle.
Tout a sa région, sa fonction, son but.
L’écume de la mer n’est pas un vain rebut ;
Le flot sait ce qu’il fait ; le vent sait qui le pousse ;
Comme un temple où toujours veille une clarté douce,
L’étoile obéissante éclaire le ciel bleu ;
Le lys s’épanouit pour la gloire de Dieu ;
Chaque matin, vibrant comme une sainte lyre,
L’oiseau chante ce nom que l’aube nous fait lire.
Quoi ! l’être est plein d’amour, le monde est plein de foi !
Toute chose ici-bas suit gravement sa loi.
Et ne sait obéir, dans sa fierté divine.
L’oiseau qu’à son instinct, l’arbre qu’à sa racine !
Quoi ! l’énorme océan qui monte vers son bord.
Quoi ! l’hirondelle au sud et l’aimant vers le nord,
La graine ailée allant au loin choisir sa place.
Le nuage entassé sur les îles de glace.
Qui, des cieux tout à coup traversant la hauteur,
Croule au souffle d’avril du pôle à l’équateur.
Le glacier qui descend du haut des cimes blanches,
La sève qui s’épand dans les fibres des branches.
Tous les objets créés, vers un but sérieux.
Les rayons dans les airs, les globes dans les cieux.
Les fleuves à travers les rochers et les herbes.
Vont sans se détourner de leurs chemins superbes !
L’homme a seul dévié ! Quoi ! tout dans l’univers.
Tous les êtres, les monts, les forêts, les prés verts.
Le jour dorant le ciel, l’eau lavant les ravines.
Ont encor, comme au jour où de ses mains divines
Jéhova sur Adam imprima sa grandeur.
Toute leur innocence et toute leur candeur !
L’homme seul est tombé ! — Fait dans l’auguste empire
Pour être le meilleur, il en devient le pire.
Lui qui devait fleurir comme l’arbre choisi.
Il n’est plus qu’un tronc vil au branchage noirci.
Que l’âge déracine et que le vice effeuille.
Dont les rameaux n’ont pas de fruit que Dieu recueille.
Où jamais sans péril nous ne nous appuyons,
Où la société greffe les passions !
Chute immense ! il ignore et nie, ô providence !
Tandis qu’autour de lui la création pense !
O honte ! en proie aux sens dont le joug l’asservit,
L’homme végète auprès de la chose qui vit ! —

7 octobre 1837.

II

Comme je m’écriais ainsi, vous m’entendîtes ;
Et vous, dont l’âme brille en tout ce que vous dites,
Vous tournâtes alors vers moi paisiblement
Votre sourire triste, ineffable et calmant :

— L’humanité se lève, elle chancelle encore,
Et, le front baigné d’ombre, elle va vers l’aurore.
Tout l’homme sur la terre a deux faces, le bien
Et le mal. Blâmer tout, c’est ne comprendre rien.
Les âmes des humains d’or et de plomb sont faites.
L’esprit du sage est grave, et sur toutes les têtes
Ne jette pas sa foudre au hasard en éclats.
Pour le siècle où l’on vit - comme on y souffre, hélas ! —
On est toujours injuste, et tout y paraît crime.
Notre époque insultée a son côté sublime.
Vous l’avez dit vous-même, ô poète irrité ! —

Dans votre chambre, asile illustre et respecté,
C’est ainsi que, sereine et simple, vous parlâtes.
Votre front, au reflet des damas écarlates,
Rayonnait, et pour moi, dans cet instant profond,
Votre regard levé fit un ciel du plafond.

L’accent de la raison, auguste et pacifique,
L’équité, la pitié, la bonté séraphique,

L’oubli des torts d’autrui, cet oubli vertueux
Qui rend à leur insu les fronts majestueux,
Donnaient à vos discours, pleins de clartés si belles,
La tranquille grandeur des choses naturelles,
Et par moments semblaient mêler à votre voix
Ce chant doux et voilé qu’on entend dans les bois.

III

Pourquoi devant mes yeux revenez-vous sans cesse,
Ô jours de mon enfance et de mon allégresse ?
Qui donc toujours vous rouvre en nos cœurs presque éteints
Ô lumineuse fleur des souvenirs lointains ?

Oh ! que j’étais heureux ! oh ! que j’étais candide !
En classe, un banc de chêne, usé, lustré, splendide,
Une table, un pupitre, un lourd encrier noir,
Une lampe, humble sœur de l’étoile du soir,
M’accueillaient gravement et doucement. Mon maître,
Comme je vous l’ai dit souvent, était un prêtre
À l’accent calme et bon, au regard réchauffant,
Naïf comme un savant, malin comme un enfant,
Qui m’embrassait, disant, car un éloge excite :
— Quoiqu’il n’ait que neuf ans, il explique Tacite. —
Puis près d’Eugène, esprit qu’hélas ! Dieu submergea,
Je travaillais dans l’ombre, — et je songeais déjà.
Tandis que j’écrivais, — sans peur, mais sans système,
Versant le barbarisme à grands flots sur le thème,
Inventant aux auteurs des sens inattendus,
Le dos courbé, le front touchant presque au Gradus, —
Je croyais, car toujours l’esprit de l’enfant veille,
Ouïr confusément, tout près de mon oreille,
Les mots grecs et latins, bavards et familiers,
Barbouillés d’encre, et gais comme des écoliers,
Chuchoter, comme font les oiseaux dans une aire,
Entre les noirs feuillets du lourd dictionnaire.
Bruits plus doux que le bruit d’un essaim qui s’enfuit,
Souffles plus étouffés qu’un soupir de la nuit,
Qui faisaient par instants, sous les fermoirs de cuivre,
Frissonner vaguement les pages du vieux livre !

Le devoir fait, légers comme de jeunes daims,
Nous fuyions à travers les immenses jardins,
Éclatant à la fois en cent propos contraires.
Moi, d’un pas inégal je suivais mes grands frères ;
Et les astres sereins s’allumaient dans les cieux,
Et les mouches volaient dans l’air silencieux,
Et le doux rossignol, chantant dans l’ombre obscure,
Enseignait la musique à toute la nature,
Tandis qu’enfant jaseur aux gestes étourdis,
Jetant partout mes yeux ingénus et hardis
D’où jaillissait la joie en vives étincelles,
Je portais sous mon bras, noués par trois ficelles,
Horace et les festins, Virgile et les forêts,
Tout l’Olympe, Thésée, Hercule, et toi Cérès,
La cruelle Junon, Lerne et l’hydre enflammée,
Et le vaste lion de la roche Némée.

Mais, lorsque j’arrivais chez ma mère, souvent,
Grâce au hasard taquin qui joue avec l’enfant,
J’avais de grands chagrins et de grandes colères.
Je ne retrouvais plus, près des ifs séculaires,
Le beau petit jardin par moi-même arrangé.
Un gros chien en passant avait tout ravagé.
Ou quelqu’un dans ma chambre avait ouvert mes cages,
Et mes oiseaux étaient partis pour les bocages,
Et, joyeux, s’en étaient allés de fleur en fleur
Chercher la liberté bien loin, — ou l’oiseleur.
Ciel ! alors j’accourais, rouge, éperdu, rapide,
Maudissant le grand chien, le jardinier stupide,
Et l’infâme oiseleur et son hideux lacet,
Furieux ! — D’un regard ma mère m’apaisait.

IV

Aujourd’hui, ce n’est pas pour une cage vide,
Pour des oiseaux jetés à l’oiseleur avide,
Pour un dogue aboyant lâché parmi les fleurs,
Que mon courroux s’émeut. Non, les petits malheurs
Exaspèrent l’enfant ; mais, comme en une église,
Dans les grandes douleurs l’homme se tranquillise.
Après l’ardent chagrin, au jour brûlant pareil,
Le repos vient au cœur comme aux yeux le sommeil.
De nos maux, chiffres noirs, la sagesse est la somme.
En l’éprouvant toujours, Dieu semble dire à l’homme :
— Fais passer ton esprit à travers le malheur ;
Comme le grain du crible, il sortira meilleur. —
J’ai vécu, j’ai souffert, je juge et je m’apaise.
Ou si parfois encor la colère mauvaise
Fait pencher dans mon âme avec son doigt vainqueur
La balance où je pèse et le monde et mon cœur ;
Si, n’ouvrant qu’un seul œil, je condamne et je blâme,
Avec quelques mots purs, vous, sainte et noble femme,
Vous ramenez ma voix qui s’irrite et s’aigrit
Au calme sur lequel j’ai posé mon esprit ;
Je sens sous vos rayons mes tempêtes se taire ;
Et vous faites pour l’homme incliné, triste, austère,
Ce que faisait jadis pour l’enfant doux et beau
Ma mère, ce grand cœur qui dort dans le tombeau !

V

Écoutez à présent. — Dans ma raison qui tremble,
Parfois l’une après l’autre et quelquefois ensemble,
Trois voix, trois grandes voix murmurent.

L’une dit :
— " Courrouce-toi, poète. Oui, l’enfer applaudit
Tout ce que cette époque ébauche, crée ou tente.
Reste indigné. Ce siècle est une impure tente
Où l’homme appelle à lui, voyant le soir venu,
La volupté, la chair, le vice infâme et nu.
La vérité, qui fit jadis resplendir Rome,
Est toujours dans le ciel ; l’amour n’est plus dans l’homme.
Tout rayon jaillissant trouve tout œil fermé.
Oh ! ne repousse pas la muse au bras armé
Qui visitait jadis comme une austère amie,
Ces deux sombres géants, Amos et Jérémie !
Les hommes sont ingrats, méchants, menteurs, jaloux.
Le crime est dans plusieurs, la vanité dans tous ;
Car, selon le rameau dont ils ont bu la sève,
Ils tiennent, quelques-uns de Caïn, et tous d’Ève.

" Seigneur ! ta croix chancelle et le respect s’en va.
La prière décroît. Jéhova ! Jéhova !
On va parlant tout haut de toi-même en ton temple.
Le livre était la loi, le prêtre était l’exemple ;
Livre et prêtre sont morts. Et la foi maintenant,
Cette braise allumée à ton foyer tonnant,
Qui, marquant pour ton Christ ceux qu’il préfère aux autres,
Jadis purifiait la lèvre des apôtres,
N’est qu’un charbon éteint dont les petits enfants
Souillent ton mur avec des rires triomphants ! " -

L’autre voix dit : — " Pardonne ! aime ! Dieu qu’on révère,
Dieu pour l’homme indulgent ne sera point sévère.
Respecte la fourmi non moins que le lion.
Rêveur ! rien n’est petit dans la création.
De l’être universel l’atome se compose ;
Dieu vit un peu dans tout, et rien n’est peu de chose.
Cultive en toi l’amour, la pitié, les regrets.
Si le sort te contraint d’examiner de près

L’homme souvent frivole, aveugle et téméraire,
Tempère l’œil du juge avec les pleurs du frère.
Et que tout ici-bas, l’air, la fleur, le gazon ;
Le groupe heureux qui joue au seuil de ta maison ;
Un mendiant assis à côté d’une gerbe ;
Un oiseau qui regarde une mouche dans l’herbe ;
Les vieux livres du quai, feuilletés par le vent,
D’où l’esprit des anciens, subtil, libre et vivant,
S’envole, et, souffle errant, se mêle à tes pensées ;
La contemplation de ces femmes froissées
Qui vivent dans les pleurs comme l’algue dans l’eau ;
L’homme, ce spectateur ; le monde, ce tableau ;
Que cet ensemble auguste où l’insensé se blase
Tourne de plus en plus ta vie et ton extase
Vers l’œil mystérieux qui nous regarde tous,
Invisible veilleur ! témoin intime et doux !
Principe ! but ! milieu ! clarté ! chaleur ! dictame !
Secret de toute chose entrevu par toute l’âme !

" N’allume aucun enfer au tison d’aucun feu.
N’aggrave aucun fardeau. Démontre l’âme et Dieu,
L’impérissable esprit, la tombe irrévocable ;
Et rends douce à nos fronts, que souvent elle accable,
La grande main qui grave en signes immortels
JAMAIS ! sur les tombeaux ; TOUJOURS ! sur les autels. "

La troisième voix dit : — " Aimer ? haïr ? qu’importe !
Qu’on chante ou qu’on maudisse, et qu’on entre ou qu’on sorte,
Le mal, le bien, la mort, les vices, les faux dieux,
Qu’est-ce que tout cela fait au ciel radieux ?
La végétation, vivante, aveugle et sombre,
En couvre-t-elle moins de feuillages sans nombre,
D’arbres et de lichens, d’herbe et de goëmons,
Les prés, les champs, les eaux, les rochers et les monts ?
L’onde est-elle moins bleue et le bois moins sonore ?
L’air promène-t-il moins, dans l’ombre et dans l’aurore,
Sur les clairs horizons, sur les flots décevants,

Ces nuages heureux qui vont aux quatre vents ?
Le soleil qui sourit aux fleurs dans les campagnes,
Aux rois dans les palais, aux forçats dans les bagnes,
Perd-il, dans la splendeur dont il est revêtu,
Un rayon quand la terre oublie une vertu ?
Non, Pan n’a pas besoin qu’on le prie et qu’on l’aime.
Ô sagesse ! esprit pur ! sérénité suprême !
Zeus ! Irmensul ! Wishnou ! Jupiter ! Jéhova !
Dieu que cherchait Socrate et que Jésus trouva !
Unique Dieu ! vrai Dieu ! seul mystère ! seule âme !
Toi qui, laissant tomber ce que la mort réclame,
Fis les cieux infinis pour les temps éternels !
Toi qui mis dans l’éther plein de bruits solennels,
Tente dont ton haleine émeut les sombres toiles,
Des millions d’oiseaux, des millions d’étoiles !
Que te font, ô Très-Haut ! les hommes insensés,
Vers la nuit au hasard l’un par l’autre poussés,
Fantômes dont jamais tes yeux ne se souviennent,
Devant ta face immense ombres qui vont et viennent ! "

VI

Dans ma retraite obscure où, sous mon rideau vert,
Luit comme un œil ami maint vieux livre entrouvert,
Où ma bible sourit dans l’ombre à mon Virgile,
J’écoute ces trois voix. Si mon cerveau fragile
S’étonne, je persiste ; et, sans peur, sans effroi,
Je les laisse accomplir ce qu’elles font en moi.
Car les hommes, troublés de ces métamorphoses,
Composent leur sagesse avec trop peu de choses.
Tous ont la déraison de voir la Vérité
Chacun de sa fenêtre et rien que d’un côté,
Sans qu’aucun d’eux, tenté par ce rocher sublime,
Aille en faire le tour et monte sur sa cime.
Et de ce triple aspect des choses d’ici-bas,

De ce triple conseil que l’homme n’entend pas,
Pour mon cœur où Dieu vit, où la haine s’émousse,
Sort une bienveillance universelle et douce
Qui dore comme une aube et d’avance attendrit
Le vers qu’à moitié fait j’emporte en mon esprit
Pour l’achever aux champs avec l’odeur des plaines
Et l’ombre du nuage et le bruit des fontaines !

(V. Hugo, Les Rayons et les OMbres, 1840)
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
Avatar de l’utilisateur
Montparnasse
Administrateur
Messages : 4231
Inscription : 04 janvier 2016, 18:20
Localisation : Balaruc-les-Bains (34)
Contact :

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Montparnasse »

Je ne vois luir le soleil,
Tant me sont obscurcis ses rayons ;
Et pourtant je ne m'en émeus
Car une clarté m'ensoleille
D'amour, qui au cœur m'envoie ses rayons
Et quand d'autres gens s'émeuvent
Je préfère ne pas me laisser abattre
Pour que mon chant n'en souffre pas.

Les prés me semblent verts et vermeils
De même qu'au doux temps de mai
Tant me tient l'amour joyeux et gai,
La neige m'est fleur blanche et vermeille
Et l'hiver m'est fête de mai,
Que la plus noble et la plus gaie
M'a promis de m'octroyer son amour,
Si encore elle ne me l'a ôté.

La peur me donne mauvais conseil
Par laquelle le monde meurt et décroît,
Encore s'unissent les mauvais
Et l'un à l'autre conseille
Comment il détruira l'amour fidèle.
Ah! mauvaises gens méchantes,
Celui qui vous ou votre conseil croit,
Le seigneur Dieu le perde et le confonde.

De cela me plains et soupire
Qu'ils me font deuil, peine et chagrin
Et que leur pèse la joie que j'ai,
Puisque chacun s'en chagrine
De la joie d'autrui et s'en fait peine,
Je ne peux pas avoir meilleur droit
Que de vaincre et guerroyer par ma joie seule
Celui qui plus fort me guerroie.

Nuit et jour je médite et pense et veille
Plains et soupire et puis m'apaise ;
Quand mieux m'advient j'en retire peine,
Mais une bonne attente m'éveille
Dont mes chagrins s'apaisent,
Fol, pourquoi dire que j'en retire du mal :
Car si noble amour me l'envoie
Que l'envoie seul m'est un gain.

Que ma Dame ne s'émerveille
Si je lui demande son amour et un baiser,
Contre la folie dont je parle
Ce sera gente merveille
Si elle m'accole et me baise,
Dieu puisse-t-on se récrier déjà
("Ah, tel vous vois et tel vous ai vu !")
Pour le bonheur que l'on voit en moi !

Noble amour, je me fais votre compagnon
Car ce n'est ni promesse ni sort
Mais ce qui plaît à votre grâce
(Dieu je le crois m'en gratifie)
Que si noble amour soit mon sort.
Ah! Dame, par pitié vous prie
Qu'ayez pitié de votre ami
Qui vous demande grâce si doucement !

Bernart demande grâce à sa Dame
Qui si doucement lui fait grâce

Et si je ne la vois d'ici peu
Je ne crois pas que je la verrai de longtemps.

(Bernart de Ventadour, (vers 1125 - vers 1200))
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
Avatar de l’utilisateur
Montparnasse
Administrateur
Messages : 4231
Inscription : 04 janvier 2016, 18:20
Localisation : Balaruc-les-Bains (34)
Contact :

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Montparnasse »

Dueil angoisseus

Dueil angoisseus, rage desmesurée,
Grief desespoir, plein de forsennement,
Langour sansz fin et vie maleürée
Pleine de plour, d'angoisse et de tourment,
Cuer doloreux qui vit obscurement,
Tenebreux corps sur le point de partir
Ay, sanz cesser, continuellement;
Et si ne puis ne garir ne morir.

Fierté, durté de joye separée,
Triste penser, parfont gemissement,
Angoisse grant en las cuer enserrée,
Courroux amer porté couvertement
Morne maintien sanz resjoïssement,
Espoir dolent qui tous biens fait tarir,
Si sont en moy , sanz partir nullement;
Et si ne puis ne garir ne morir.

Soussi, anuy qui tous jours a durée,
Aspre veillier, tressaillir en dorment,
Labour en vain, à chiere alangourée
En grief travail infortunéement,
Et tout le mal, qu'on puet entierement
Dire et penser sanz espoir de garir,
Me tourmentent desmesuréement;
Et si ne puis ne garir ne morir.

Princes, priez à Dieu qui bien briefment
Me doint la mort, s'autrement secourir
Ne veult le mal ou languis durement;
Et si ne puis ne garir ne morir.

(Christine de Pisan, 1390)
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
Avatar de l’utilisateur
Montparnasse
Administrateur
Messages : 4231
Inscription : 04 janvier 2016, 18:20
Localisation : Balaruc-les-Bains (34)
Contact :

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Montparnasse »

Rondeau

Le temps a laissié son manteau
De vent de froidure et de pluye,
Et s'est vestu de broderye,
De soleil luyant, cler et beau.

Il n'y a beste, ne oyseau,
Qu'en son jargon ne chante ou crye :
Le temps a laissié son manteau
De vent de froidure et de pluye.

Rivière, fontaine et ruisseau
Portent, en livree jolie,
Gouttes d'argent d'orfaverie,
Chascun s'abille de nouveau :
Le temps a laissié son manteau.

(Charles d'Orléans, (1394-1465))
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
Avatar de l’utilisateur
Montparnasse
Administrateur
Messages : 4231
Inscription : 04 janvier 2016, 18:20
Localisation : Balaruc-les-Bains (34)
Contact :

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Montparnasse »

DE CELUY QUI NE PENSE QU'EN S'AMYE

Toutes les nuictz je ne pense qu'en celle,
Qui a le corps plus gent qu'une pucelle
De quatorze ans, sur le poinct d'enrager :
Et au dedans un cueur, pour abreger,
Autant joyeux, qu'eut onques Damoyselle.

Elle a beau tainct, un parler de bon zelle,
Et le Tetin rond comme une Groizelle :
N'ay je donc pas bien cause de songer
Toutes les nuictz ?

Touchant son cueur, je l'ay en ma cordelle,
Et son Mary n'a sinon le corps d'elle :
Mais toutesfoys, quand il voudra changer,
Prenne le cueur : et pour le soulager
J'auray pour moy le gent corps de la belle
Toutes les nuictz.

(Clément Marot, (1496-1544))
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
Avatar de l’utilisateur
Montparnasse
Administrateur
Messages : 4231
Inscription : 04 janvier 2016, 18:20
Localisation : Balaruc-les-Bains (34)
Contact :

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Montparnasse »

Je suis la Journee,
Vous, Amy, le Jour,
Qui m'a destournée
Du fascheux sejour.
D'aymer la Nuict certes je ne veulx point,
Pource qu'à vice elle vient toute appoint :
Mais à vous toute estre
Certes je veulx bien,
Pource qu'en vostre estre
Ne gist que tout bien.
Là où en tenebres
On ne peult rien veoir
Que choses funebres,
Qui font peur avoir,
On peult de nuict encor se resjouyr
De leurs amours faisant amantz jouyr :
Mais la jouyssance
De folle pitié
N'a point de puissance
Sur nostre amytié,
Veu qu'elle est fondée
En prosperité
Sur Vertu sondee
De toute equité.
La nuict ne peult un meurtre declarer,
Comme le jour, qui vient à esclairer
Ce que la nuict cache,
Faisant mille maulx,
Et ne veult qu'on sache
Ses tours fins, et caultz.
La nuict la paresse
Nourrit, qui tant nuit :
Et le jour nous dresse
Au travail, qui duit.
O heureux jour, bien te doit estimer
Celle qu'ainsi as voulu allumer,
Prenant toujours cure
Reduire à clarté
Ceulx que nuict obscure
Avoit escarté !
Ainsi esclairee
De si heureux jour,
Seray asseuree
De plaisant sejour.

(la "gentile et vertueuse dame Pernette du Guillet, lionnoise", amie des poètes Louise Labé et Maurice Scève, (1520-1545))
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
Avatar de l’utilisateur
Montparnasse
Administrateur
Messages : 4231
Inscription : 04 janvier 2016, 18:20
Localisation : Balaruc-les-Bains (34)
Contact :

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Montparnasse »

Aux morts du 4 décembre

Jouissez du repos que vous donne le maître.
Vous étiez autrefois des cœurs troublés peut-être,
Qu’un vain songe poursuit ;
L’erreur vous tourmentait, ou la haine, ou l’envie ;
Vos bouches, d’où sortait la vapeur de la vie,
Étaient pleines de bruit.

Faces confusément l’une à l’autre apparues,
Vous alliez et veniez en foule dans les rues,
Ne vous arrêtant pas,
Inquiets comme l’eau qui coule des fontaines,
Tous, marchant au hasard, souffrant les mêmes peines,
Mêlant les mêmes pas.

Peut-être un feu creusait votre tête embrasée,
Projets, espoirs, briser l’homme de l’Élysée,
L’homme du Vatican,
Verser le libre esprit à grands flots sur la terre
Car dans ce siècle ardent toute âme est un cratère
Et tout peuple un volcan.

Vous aimiez, vous aviez le cœur lié de chaînes
Et le soir vous sentiez, livrés aux craintes vaines,
Pleins de soucis poignants,
Ainsi que l’océan sent remuer ses ondes,
Se soulever en vous mille vagues profondes
Sous les cieux rayonnants.

Tous, qui que vous fussiez, tête ardente, esprit sage,
Soit qu’en vos yeux brillât la jeunesse, ou que l’âge
Vous prît et vous courbât,
Que le destin pour vous fût deuil, énigme ou fête,
Vous aviez dans vos cœurs l’amour, cette tempête,
La douleur, ce combat.

Grâce au quatre décembre, aujourd’hui, sans pensée,
Vous gisez étendus dans la fosse glacée
Sous les linceuls épais ;
Ô morts, l’herbe sans bruit croît sur vos catacombes,
Dormez dans vos cercueils ! taisez-vous dans vos tombes
L’empire, c’est la paix.

(V. Hugo, Les Châtiments, 1853)
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
Avatar de l’utilisateur
Montparnasse
Administrateur
Messages : 4231
Inscription : 04 janvier 2016, 18:20
Localisation : Balaruc-les-Bains (34)
Contact :

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Montparnasse »

Ô longs desirs ! Ô esperances vaines,
Tristes soupirs et larmes coutumieres
A engendre de moy maintes rivieres,
Dont mes deus yeus sont sources et fontaines :

Ô cruautez, ô durtez inhumaines,
Piteus regars des celestes lumieres,
Du coeur transi ô passions premieres,
Estimez vous croitre encore mes peines ?

Qu'encor Amour sur moy son arc essaie,
Que nouveaus feus me gette et nouveaus dars,
Qu'il se despite, et pis qu'il pourra face :

Car je suis tant navree en toutes pars,
Que plus en moy une nouvelle plaie
Pour m'empirer ne pourroit trouver place.

(Louise Labé, (1524-1566))
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
Avatar de l’utilisateur
Montparnasse
Administrateur
Messages : 4231
Inscription : 04 janvier 2016, 18:20
Localisation : Balaruc-les-Bains (34)
Contact :

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Montparnasse »

Je vis, je meurs : je me brule et me noye.
J'ay chaut estreme en endurant froidure :
La vie m'est et trop molle et trop dure.
J'ai grans ennuis entremeslez de joye :

Tout à un coup je ris et je larmoye,
Et en plaisir maint grief tourment j'endure :
Mon bien s'en va, et à jamais il dure :
Tout en un coup je seiche et je verdoye.

Ainsi Amour inconstamment me meine :
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me treuve hors de peine.

Puis, quand je croy ma joye estre certeine,
Et estre en haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.

(Louise Labé, (1524-1566))
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
Répondre