Poésies (mont)parnassiennes
Publié : 11 janvier 2016, 01:39
Le Cygne
Sans bruit, sous le miroir des lacs profonds et calmes,
Le cygne chasse l’onde avec ses larges palmes,
Et glisse. Le duvet de ses flancs est pareil
À des neiges d’avril qui croulent au soleil ;
Mais, ferme et d’un blanc mat, vibrant sous le zéphire,
Sa grande aile l’entraîne ainsi qu’un lent navire.
Il dresse son beau col au-dessus des roseaux,
Le plonge, le promène allongé sur les eaux,
Le courbe gracieux comme un profil d’acanthe,
Et cache son bec noir dans sa gorge éclatante.
Tantôt le long des pins, séjour d’ombre et de paix,
Il serpente, et laissant les herbages épais
Traîner derrière lui comme une chevelure,
Il va d’une tardive et languissante allure ;
La grotte où le poète écoute ce qu’il sent,
Et la source qui pleure un éternel absent,
Lui plaisent : il y rôde ; une feuille de saule
En silence tombée effleure son épaule ;
Tantôt il pousse au large, et, loin du bois obscur,
Superbe, gouvernant du côté de l’azur,
Il choisit, pour fêter sa blancheur qu’il admire,
La place éblouissante où le soleil se mire.
Puis, quand les bords de l’eau ne se distinguent plus,
À l’heure où toute forme est un spectre confus,
Où l’horizon brunit, rayé d’un long trait rouge,
Alors que pas un jonc, pas un glaïeul ne bouge,
Que les rainettes font dans l’air serein leur bruit
Et que la luciole au clair de lune luit,
L’oiseau, dans le lac sombre, où sous lui se reflète
La splendeur d’une nuit lactée et violette,
Comme un vase d’argent parmi des diamants,
Dort, la tête sous l’aile, entre deux firmaments.
(Sully Prudhomme)
Ame tourangelle
En ces soirs mélodieux, immatériels, et qui troublent la lune à peine d'un fin voile, avec la même aspiration vers le ciel que ces nuées laissant errer leurs stries d'opale,
tes cheveux, quand tu penches vers moi ton visage, épousent en flottant la trace des nuages, mais je vois à travers leur écran voltigeant la Loire tremblante, la Loire au flot d'argent,
et tes yeux verts, tes yeux qui s'argentent aussi, lorsque ton pur visage aussi tremble en mes mains, souvent jusqu'au petit rayon vert du matin, me font sur eux baiser l'âme de ce pays.
Amour tremblant, divin amour, pâleur des nuits, vous aurez donc mêlé notre âme pour toujours à la mélancolie d'une eau qui tremble et luit ; amour chaste ! pâleur des nuits ! divin amour !
Lorsque la blanche lune, ainsi qu'un doux château, se mire au noir de l'onde où trempent les joncs grêles, quand le zéphir pousse ma barque en des roseaux qui pleurent au miroir des astres éternels,
avec la même aspiration vers le ciel que ces nuées laissant errer leurs stries d'opale et que tes blonds cheveux dont flottent les soies pâles, notre âme s'est ravie en l'âme tourangelle.
(Paul Fort)
Sans bruit, sous le miroir des lacs profonds et calmes,
Le cygne chasse l’onde avec ses larges palmes,
Et glisse. Le duvet de ses flancs est pareil
À des neiges d’avril qui croulent au soleil ;
Mais, ferme et d’un blanc mat, vibrant sous le zéphire,
Sa grande aile l’entraîne ainsi qu’un lent navire.
Il dresse son beau col au-dessus des roseaux,
Le plonge, le promène allongé sur les eaux,
Le courbe gracieux comme un profil d’acanthe,
Et cache son bec noir dans sa gorge éclatante.
Tantôt le long des pins, séjour d’ombre et de paix,
Il serpente, et laissant les herbages épais
Traîner derrière lui comme une chevelure,
Il va d’une tardive et languissante allure ;
La grotte où le poète écoute ce qu’il sent,
Et la source qui pleure un éternel absent,
Lui plaisent : il y rôde ; une feuille de saule
En silence tombée effleure son épaule ;
Tantôt il pousse au large, et, loin du bois obscur,
Superbe, gouvernant du côté de l’azur,
Il choisit, pour fêter sa blancheur qu’il admire,
La place éblouissante où le soleil se mire.
Puis, quand les bords de l’eau ne se distinguent plus,
À l’heure où toute forme est un spectre confus,
Où l’horizon brunit, rayé d’un long trait rouge,
Alors que pas un jonc, pas un glaïeul ne bouge,
Que les rainettes font dans l’air serein leur bruit
Et que la luciole au clair de lune luit,
L’oiseau, dans le lac sombre, où sous lui se reflète
La splendeur d’une nuit lactée et violette,
Comme un vase d’argent parmi des diamants,
Dort, la tête sous l’aile, entre deux firmaments.
(Sully Prudhomme)
Ame tourangelle
En ces soirs mélodieux, immatériels, et qui troublent la lune à peine d'un fin voile, avec la même aspiration vers le ciel que ces nuées laissant errer leurs stries d'opale,
tes cheveux, quand tu penches vers moi ton visage, épousent en flottant la trace des nuages, mais je vois à travers leur écran voltigeant la Loire tremblante, la Loire au flot d'argent,
et tes yeux verts, tes yeux qui s'argentent aussi, lorsque ton pur visage aussi tremble en mes mains, souvent jusqu'au petit rayon vert du matin, me font sur eux baiser l'âme de ce pays.
Amour tremblant, divin amour, pâleur des nuits, vous aurez donc mêlé notre âme pour toujours à la mélancolie d'une eau qui tremble et luit ; amour chaste ! pâleur des nuits ! divin amour !
Lorsque la blanche lune, ainsi qu'un doux château, se mire au noir de l'onde où trempent les joncs grêles, quand le zéphir pousse ma barque en des roseaux qui pleurent au miroir des astres éternels,
avec la même aspiration vers le ciel que ces nuées laissant errer leurs stries d'opale et que tes blonds cheveux dont flottent les soies pâles, notre âme s'est ravie en l'âme tourangelle.
(Paul Fort)