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HOMEOTELEUTES Dona

Publié : 20 janvier 2016, 21:22
par Dona
SAWADEE


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" En vitrine exposé, pièce dépareillée d'un service à thé, il perdure, objet désuet d'une ancienne destinée.
De faïence ternie et craquelures d'orfèvre entre lesquelles brillent des filaments dorés, doré aux bordures et arborant aux pieds, le poinçon hiéroglyphe du faïencier, tombé, recollé, ébréché en tous points, c'est un sucrier.

Une giclure de colle biffe encore la ventrure qui porte la scène et le drapeau d'orient flottant à l'arrière-plan. En premier lieu, une danseuse, lascive et légère, puis une duègne et une autre comparse à l'air affecté, enfin Rangda et Barong, les divinités combattant sur les lieux. Et tandis que ces gens sont en chiens de faïence, il vient comme autre chose: un parfum, des couleurs, une musique étrangère...

Le dessin montre bien les teintes chamarrées des costumes de théâtre, les masques rituels qu'on emploie pour la danse, la forme dragonne d'une tête exorbitée et, tout entière ... alors qu'on soulève le couvercle cassé: une odeur de sucre et d'Asie mélangés, les effluves aquatiques d'une mer lointaine, le souvenir d'une maison, ancienne, de rizières inondées, vallées indochinoises ...

C'est un peu comme une ombre qu'on amène auprès d'elle, un retour marquant effectué en arrière: c'est sa grand-mère; et le drapeau en berne, chuté sur la caserne fait un écho de plus aux souvenirs militaires: c'est son grand-père, prisonnier de guerre. C'est Savannakhet tout entière libérée, 1954 et ses rapatriés.

C'est, sur le quai du retour, une horde de pauvres gens débarquant leurs ballots, leurs enfants et revenant sans argent …

C'est l'accent colonial qu'on entend encore quand, dans une boutique chinoise, le jour des nems, on salue, une main vers le coeur, l'hôtesse bridée par un douceâtre: "Sawadé".

….......................................


Sawadee : salutation asiatique

Rangda et Barong : divinités asiatiques très courantes dans l'imagerie asiatique

Re: HOMEOTELEUTES Dona

Publié : 20 janvier 2016, 22:56
par Montparnasse
Ah, merci ! :super:

Re: HOMEOTELEUTES Dona

Publié : 15 février 2016, 23:05
par Dona
L'OREADE


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« C'est une enveloppe des Alpes ressortie d'un souvenir, d'un placard, un jour de ménage, amenant avec elle une étrange impression.
Vacances à la montagne, mutation des troupeaux vers les alpages. Souvenir de vacances, dans le temps. C'est le même mouvement : aller des prés aux hauteurs, passer de la pensée au voyage, transhumances laissant s'exhumer d'autres paysages. Peut-être est-ce un songe, plus lointain, mal dessiné ou des ombres, plus éteintes, à ne pas raviver... quelque chose dans le temps qu'on aurait omis de faire, qui revient lancinant quand on vient à songer et à se demander de quelle manière on a pu l'oublier. D'ores et déjà trop tard : un chemin perdu, une porte fermée et plus de clé.
C'est une lettre signée d'un jeune ami de voyage.


Une lettre banale timbrée d'il y a longtemps, une fleur dessinée à côté d'un nom et un nom qui réveille tout entier, un âge, une rupture dans le temps, des rites de passage pour devenir grand. Et tout de suite c'est... Saisissants de candeur, des mots qui se jettent et abondent de fraîcheur, un élan de bonheur, un torrent de joie qui déboule un ravin, une montagne qui pousse...
Des traces de forêts, mentales, d'évasions dans les bois, un enfant déguisé en indien, un compagnon de jeu râleur et riant, un ami, un petit garçon...

Un rapace, dans un ciel nuancé trace un sillon, cri rocailleux, généreuses rémiges... et sa vélocité céleste est comme un éclair fulgurant et blessant qui dessine en un mot ce que fut cet « avant ». Des bruissements de rivières, des parfums boisés, le vertige qui vient de l'air, des hauteurs, l'odeur résinée du vent et s'accrochant au bas des montagnes, des forêts de sapins, des vallées de verdure.

Diligemment de mémoire et gambadant vite à présent, deux évadés joyeux dévalent une pente et leurs roulades arrachent au passage des touffes de fleurs, des rires en cascade font écho aux couleurs, asters odorantes et ruisseaux étincelants. Des canards barbotent sur un plan d'eau tranquille ; on crache sur un caillou glissé dans une main et on tente de le lancer aussi loin qu'on peut pour le faire ricocher...

C'est comme un sortilège jeté par l'Oréade, une obsédante image sous paresthésie, un rêve éveillé, des souvenirs de jeux et des lambeaux d'enfance reviennent en bouffées.


De retour en hauteur, en arrière, il vient comme ces airs de vielle, de barde, une musique archaïque et champêtre, les clochettes des vaches – ces grelots des champs – l'air de la montagne mêlé à l'enfant...
Et relisant cette lettre, oubliée, retrouvée, un silence obsédant imprègne la pensée, anxiogène, d'avoir laissé partir, sans les retenir, un nom, un âge. »

Re: HOMEOTELEUTES Dona

Publié : 16 février 2016, 09:43
par Montparnasse
Merci M'dame ! C'est très émouvant. :super:

J'aime particulièrement :
des rires en cascade font écho aux couleurs
La synesthésie baudelairienne peut-être ?

Re: HOMEOTELEUTES Dona

Publié : 16 février 2016, 10:35
par Dona
Montparnasse a écrit :Merci M'dame ! C'est très émouvant. :super:

J'aime particulièrement :
des rires en cascade font écho aux couleurs
La synesthésie baudelairienne peut-être ?
Oui ! :)

A h merci Montp', ça me fait plaisir que tu apprécies! C'est juste que je vois le mot "saisissant" répété... J'enrage ! Mais pour l'instant, je n'ai rien d'autre...

Re: HOMEOTELEUTES Dona

Publié : 16 février 2016, 14:55
par Montparnasse
Il n'apparaît que deux fois. Mais je le trouve moins approprié dans "ruisseaux saisissants". Essaye "ruisseaux étincelants". C'est plus fort (trop ?) et plus visuel.

Re: HOMEOTELEUTES Dona

Publié : 16 février 2016, 15:00
par Dona
Merci Monpt', je l'ai modifié. Il faut que je m'y habitue. Je l'ai souligné pour mieux m'y habituer. :)

Re: HOMEOTELEUTES Dona

Publié : 16 février 2016, 15:31
par Montparnasse
Moi, j'ai (encore) bricolé "Le Delph", ce matin. Dire que c'est fini, c'est faire un serment d'ivrogne. Publication, jeudi.

Qu'est-ce que c'est l'Oréade ?

Re: HOMEOTELEUTES Dona

Publié : 16 février 2016, 15:44
par Montparnasse
"et des lambeaux d'enfance [qui] reviennent en bouffées.

Juste ça qui coince.

"et des lambeaux d'enfance qui reviennent par vagues." ?

Dans un autre ordre d'idées :

"et des lambeaux d'enfance qui roulent comme des vagues." ?

Re: HOMEOTELEUTES Dona

Publié : 16 février 2016, 17:41
par Dona
Montparnasse a écrit :"et des lambeaux d'enfance [qui] reviennent en bouffées.

non... c'est quand quelque chose t'angoisse, ça donne comme des bouffées de chaleur... c'est un malaise... Je ne me sens pas prête à le changer...

Et "lambeaux" c'est pour ce qu'il en reste, ça fait peu et ça fait pitié aussi, tu vois? Ce n'est pas facile à expliquer, c'est tellement subjectif l'écriture...