Le Réservoir

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Dona
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The Bedbug

Message par Dona »

"Hier - il devait être aux alentours de 17h 45 – j'étais confortablement assise sur mon canapé, l'ordinateur sur les genoux. Je savourais ce début de week-end, bien mérité après une semaine harassante. C'était silence. Lumière d'une fin d'après-midi d'octobre, lorsque les premiers froids sont arrivés.

J'ai entendu un petit bruit mat et mon œil a été attiré vers le sol, près de la baie vitrée. C'était une punaise qui venait de tomber.
Je l'avais remarquée le matin, avant de partir. La bestiole était au plafond - trop haut pour m'en occuper au moment où je devais quitter la maison.

J'ai suivi le trot hâtif de l'insecte qui semblait se diriger tout droit vers la plinthe, derrière le canapé.
Je n'aime pas beaucoup les insectes.
Je n'ai pas eu peur mais j'ai ressenti une aversion immédiate, un dégoût manifeste.
Après quelque hésitation, je résolus de l'écraser. Mais maladroitement, je l'ai seulement renversée, osant, en réalité, à peine poser le pied dessus. La punaise s'est retrouvée sur le dos.
J'ai observé assez longuement les fantastiques soubresauts que la bestiole menait pour tenter de se retourner. Une énergie extraordinaire la faisait battre des pattes puis en prenant appui sur ses antennes, elle essayait de pousser sur son cul (si le terme est adéquat...) pour se relever. Ca a duré un bon moment. Puis, plus rien. J'ai pensé qu'elle était morte, épuisée par autant d'efforts de résistance. Mais non. Elle a recommencé quelques instant plus tard. Et entre fascination et répulsion, je l'ai regardé longtemps.
J'en étais là de mon observation quand ma femme est arrivée.
On ne peut pas rater l'entrée de ma femme lorsqu'elle revient à la maison après une journée de travail. D'abord, elle est heureuse de nous retrouver ; ensuite elle parle fort, brassant l'air avec de grands gestes, remplissant l'espace de rires et de bonne humeur - et elle entend bien que nous lui répondions avec la même intensité.
D'ordinaire, je l'accueille dans le couloir. Là, elle m'a trouvé debout, l'air circonspect, penchée vers le sol. En s'approchant, elle m'a dit :
- Qu'est-ce qui se passe ?
- Une punaise, ai-je répondu en le lui montrant de l'index.
- Et tu comptes en faire quoi ?
- Je voudrais la mettre dehors. J'ai essayé de l'écraser mais j'ai seulement réussi à la retourner.
- Il faut prendre la pelle à balai alors ! a-t-elle rétorqué avec le ton qu'elle emploie quand elle estime que je suis un être éthéré, irrationnel et dépourvu de sens commun.
- Tu t'en occupes donc ? a-t-elle rajouté sur un ton comminatoire, laissant penser par là que je ne faisais pas ce qu'on est censé faire dans ce genre de situation.

Il faut dire que ma femme est un être cartésien qui ne conçoit pas toujours les raisons que j'ai de tergiverser sur la conduite à tenir et sur les moyens bêtement matériels de réaliser un acte concret. Elle s'étonne de mes silences et de l'inertie que je peux avoir face à certains événements. Elle est tout feu tout flamme là où je suis hésitation et concentration, méditation et introspection. Prendre une pelle à balai pour jeter un insecte dehors n'est pas pour moi un acte anodin. Ceci nécessite une longue réflexion et beaucoup de discernement...
- Oui, ai-je répondu pour couper court à ses commentaires qui peuvent rapidement tourner aux petites satires qui courent sur mon sujet .On s'en gausse aux repas de famille. J'ai ma réputation, oui...
Et puis, comme elle ouvrait le courrier du jour et que nous avons observé de près la facture EDF qui augmente toujours plus d'année en année alors que j'essaie, vraiment, de faire des économies, j'ai oublié qu'un rampant menait une lutte fascinante, peut-être désespérée, et dont j'étais l'unique auteur, sur le lino de mon salon.

Ma femme est repartie plus tard, toujours invitée dans quelque milieu où se montrent les personnalités du monde culturel de la ville où nous résidons
(elle travaille dans le milieu du théâtre) et reprenant ma pose tranquille sur le canapé, j'ai repensé à la punaise. Mais elle n'était plus là.
J'ai bien regardé partout.
L'insecte avait bel et bien disparu.
Ca n'a l'air de rien... mais quand on regarde bien, j'ai observé cette bestiole se débattre pendant plus de trente minutes consécutives, ne ménageant aucun effort pour se relever, puis faire le mort quelques secondes avant de recommencer prodigieusement sa technique de survie. Et elle a disparu de la maison.
Alors, je ne sais pas vous... mais moi...
La propension d'un auteur à écrire des histoires doit commencer là : entre interrogation et extrapolation d'un fait du réel, entre inquiétude moite et étincelle narrative.... Ce petit frisson qu'apporte un début de fiction possible... quand vous vous sentez près à débuter un récit, à broder tout autour, à tirer les fils de trame d'un détail anodin, à l'amplifier outre mesure, porté par un enthousiasme euphorisant, à côté du dictionnaire qui regorge de mots magiques et qu'en vous résonne : «  Je la tiens mon histoire ! Je la tiens mon histoire ! »...

Imaginons que la punaise, bien cachée, se reproduise dans la maison... Dans quelque semaines, elle déambulera avec ses petits, parcourant toutes les pièces, donnant, certainement, de tous ses signaux, des indications pour occuper les lieux, intimant déjà à toute sa horde, de pondre, de pondre, de pondre..
Imaginez dans quelques mois...
Dans quelques années...
Si aucun insecticide n'aura fait office d'exterminer des régiments entiers d'insectes soumis aux ordres d'une reine stratégique, ayant développé un système carnivore implacable (forcément ! ), rendus plus intelligents à mesure qu'ils se nourrissent de chair humaine, ingérant leurs facultés intellectuelles après avoir phagocyté puis intégré leurs capacités physiques...
Werber a écrit Les Fourmis, Kafka la Métamorphose...
Moi j'écrirai : « La Maison de la punaise », ce sera un succès ! Ou bien un titre en anglais, ça sonne mieux ! « The Bedbugs' house » !... et ça s'étale en lettres de feu, têtes de gondoles dans toutes les Fnac françaises...


Ce matin, au réveil, déjà exaltée, j'ai raconté à ma femme la trame de mon futur roman. Elle m'a répondu, dans un éclat de rire. Et levant le bras en avant comme armée d'une épée victorieuse, elle s'est écriée :

- Pffff ! Raid tue tous les insectes et même la littérature ! J'en ai vaporisé dans tout le salon hier soir en rentrant. Ca m'étonnerait que ta bestiole ait survécu ! Ah ces auteurs !...


Pfffff ! … Et alors … ? "



PS: je n'ai pas trouvé la traduction de "punaise" en anglais... juste "punaise de lit"
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romithefox
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Re: Le Réservoir

Message par romithefox »

entre interrogation et extrapolation d'un fait du réel, entre inquiétude moite et étincelle narrative.... Ce petit frisson qu'apporte un début de fiction possible... quand vous vous sentez près à débuter un récit, à broder tout autour, à tirer les fils de trame d'un détail anodin, à l'amplifier outre mesure, porté par un enthousiasme euphorisant, à côté du dictionnaire qui regorge de mots magiques et qu'en vous résonne : « Je la tiens mon histoire ! Je la tiens mon histoire ! »...
J'aime trop ce passage !! Cette sensation est merveilleuse :bouquet: La chute est géniale, ahlala ces auteurs, les incompris :hehe:
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Dona
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Re: Le Réservoir

Message par Dona »

AH AH !! Ca me fait plaisir ! :bouquet:

Oui, nous, auteurs incompris et seuls en Art... :mrgreen:
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Montparnasse
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Re: Le Réservoir

Message par Montparnasse »

@Dona : Tu as vu « La Mouche » de Cronenberg ? Si tu utilises ton micro-ondes dans une pièce où il y a une punaise, le pire peut arriver ! 8|
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
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Re: Le Réservoir

Message par Liza »

Drôle d'aventure : bouffée par un leucocyte !

Raid tue-t-il la littérature ou l'inspiration ?

L'histoire se lit bien en tout cas ! Je file au travail !
On ne me donne jamais rien, même pas mon âge !
 
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Dona
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Re: Le Réservoir

Message par Dona »

Hier, je suis entrée dans une pharmacie.

Le temps de sortir mon porte-monnaie, enseveli sous un carnet d'écriture, un agenda, ma trousse de maquillage et un pain au chocolat que j'avais oublié de manger- c'est-à-dire en rageant d'avoir à chercher dans un tel bazar- j'ai ensuite attendu, assez impatiemment, que le client devant moi règle ses achats. C'était long et un peu compliqué. Le pharmacien n'avait pas l'air de comprendre. J'étais en retard à un rendez-vous et peu disposée à perdre du temps. Je me suis intérieurement énervée dans le dos de l'énergumène dont je ne voyais qu'un grand treillis crasseux, des boots en mauvais état et surtout des locks d'une longueur effarante d'autant qu'elles étaient sales. Et ça sentait mauvais.
Quand le type devant moi s'est retourné, je l'ai reconnu. C'est un SDF du centre-ville.

Il doit être dans la rue depuis une bonne dizaine d'années. Je l'avais remarqué à cette époque parce qu'il était frappant de constater l'allure sportive, jeune et décontractée de ce gars-là, charmant au demeurant lorsqu'il faisait la manche. On lui donnait souvent quelque chose.

Il a plusieurs fois déménagé, changé de territoire. Au début, il se cantonnait à Commerce, entre la boulangerie et l'angle de la rue d'en face. Plus tard, on l'a retrouvé à deux cents mètres, vers la rue Crucy. Aujourd'hui, il zone plutôt vers la gare Nord.
Son visage est ravagé, marqué par l'alcool et la rue. Du beau garçon, il ne reste rien. Lorsqu'il s'est retourné, il m'a heurté, ne s'est pas excusé, ne m'a pas regardé. Il est parti les yeux baissés, le treillis lâche et troué, les bottes crottées, les cheveux sales.

Ca nous a fait quelque chose à en croire les regards croisés entre le pharmacien, l'assistante-pharmacienne et moi-même.
Et mon premier geste a été de sortir mon liquide aseptisant pour me laver les mains avant de mettre mon billet à l'endroit où le clochard avait dû poser son argent.
C'est bête mais je m'en suis voulue de ne penser qu'à me désinfecter. Qu'aurais-je pu faire d'autre ? Que peut-on faire d'autre ?

J'ai pensé qu'un type comme ça valait un roman, une bio, un écrit qui lui rende ce qu'il a été, qui explique. Un récit qui montre autre chose que ce regard baissé comme un animal qui a peur, quelqu'un qui a honte.
Il en existe pas mal des écrits sur ce genre d'individus tombés en déchéance, des gens dont les rêves se sont anéantis, fracassés par le quotidien, des gens en déroute, perdus dans l'existence et dont plus personne ne veut vraiment. Ca fait mal au coeur.
La nature de la fiction, on peut tellement la trouver dans la rue, juste à côté de soi... Je m'interroge.
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Dona
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Re: Le Réservoir

Message par Dona »

C'est arrivé près de chez nous...


Ce matin, une collègue m'a raconté quelque chose de vraiment stupéfiant...

Samedi après-midi, il y a donc 9 jours, ma collègue est allée rendre visite à une amie, chez elle. Elle y a passé tout l'après-midi. C'est une amie de longue date. Elle devaient discuter de leur prochain voyage, à Dubaï, je crois. Son amie était donc présente, à son domicile avec son mari et son fils, leurs deux autres grands enfants ont quitté le nid pour leur études.

A ce que dit ma collègue, ce sont des gens charmants, drôles, friqués – ce qui leur laisse l'opportunité de loisirs importants et de voyages lointains, fort onéreux. Grosse maison, grosses voitures etc... Ma collègue vit un peu sur le même pied, pas moi. Je n'irai jamais à Dubaï au moins parce que ma bourse ne le permettrait et que je me contente assurément d'une tente cinq places dans un camping français du sud-ouest. Mais … passons.

Ainsi donc, ma collègue et ses amis ont beaucoup ri et conjecturé de leur future destination de vacances avec force projets de se détendre et de s'amuser.

Ma collègue a dû les quitter vers 18 heures.

Le lundi matin, à 8 heures, la sœur de son amie l'a appelé. Et lui a raconté ceci :

A cinq heures du matin environ, le mari et la femme ont été réveillés par un fracas de fenêtre brisée et des voix fortes qui montaient l'escalier. A peine levés du lit, ils se sont retrouvés pris en otages par quatre jeunes hommes, avinés et particulièrement nerveux, agressifs. Un cambriolage.

Le mari et la femme ont été ligotés, sur leur lit et trois jeunes hommes sur les quatre les ont exhorté, avec force d'insultes, à donner leurs numéros de carte bleue, respectifs. Le mari s'est fait gifler.
Je vous laisse imagier la panique et le désarroi qui se sont emparés de ce couple.
Mais ce n'est pas fini.
Le quatrième jeune homme est arrivé dans la chambre. Il s'est avancé avec l'enfant de douze ans, tiré de son lit, en pointant un revolver sur sa tempe, menaçant de l'exécuter si les parents ne confessaient pas leurs numéros de comptes et cartes bancaires.

Ils ont fini par obtenir ce qu'ils voulaient, ont tout viré dans la maison, pris quelques objets et accessoires et bijoux précieux puis sont partis. Il était cinq heures trente du matin.

Le lundi matin, tout le monde s'est inquiété de ne pas voir le couple à leur travail. Leur fils n'était pas au collège non plus.
Il y avait de quoi...
Et c'est arrivé à deux pas de chez moi, non pas dans la rubrique des Faits divers de Ouest-France...
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Liza
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Re: Le Réservoir

Message par Liza »

C'est vrai,, il n'y a pas besoin d'aller dans les banlieues chaudes pour trouver la violence.
L'expérience doit être terrifiante.
Les tortionnaires, s'ils sont retrouvés, feront un peu de prison.
Cela n'effacera pas le traumatisme des victimes qui ne dormiront plus que d'un œil.
Sursautant au moindre bruit, sans parler de l'enfant !

Elle y passé tout l'après-midi. Elle y passait, je suppose.
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Le Merle Blanc
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Re: Le Réservoir

Message par Le Merle Blanc »

Comme dit Liza, il n''est nul besoin d'aller loin pour trouver la violence.
Même dans nos rases campagnes les vols et agressions sont monnaies courantes,
mais que peut-on y faire? malheureusement rien. C'est un calvaire pour les agressés
qui souffrent dans leur tête, qui peineront à s'en remettre... Mais tout aussi cruelle est
la situation de la précédente histoire, l'homme que l'on trouvait charmant dans le temps,
et auquel on tourne le dos par dégout parce que le malheur l'a poussé dans l'enfer glauque de la rue.

Ce que j'admire, c'est cette faculté de faire tenir une histoire cohérente en si peu de lignes...
Pour dire la même chose, il me faudrait pas moins de trois pages.
Le poète est un mensonge qui dit toujours la vérité: Jean Cocteau
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Liza
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Re: Le Réservoir

Message par Liza »

Écrire de courtes histoires c'est difficile.

Je ne sais plus quel auteur a dit « je vous écris long parce que je n'ai pas le temps de vous écrire court »

... si mes fiches sont bien rangée ce serait Blaise Pascal.
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