Madagascar (II)
Au milieu d'un brouillard cendré,
Je vis de longs enfoncements de chairs calcinées
(des chairs tenaillées par le désir et la foi,
joueuses comme des mains d'enfants,
Qui goûtaient, au même instant, le salut et la fin,
Ancrés dans leurs ruines fumantes),
Des nuits menacées par l'œil rond des clochers,
Des pierres au granit rugueux, des murs froids,
Où le minéral se fissure,
Rompt et craque en libérant sa pulpe.
Plus loin, une trompette de jazz
Egrenait ses notes coulissantes
(fluides comme du papier froissé)
Et s'enfonçait lentement dans la nuit.
Au bord d'un maigre cours d'eau, un oiseau se baignait.
Il plongeait sa tête, battait des ailes pour s'asperger.
Une lumière nacrée illuminait cette scène :
Des gouttes ruisselaient sur son plumage sombre,
Son œil brillait d'une émotion
Que seule la nature peut donner.
Plus tard, je me voyais marcher
Sur une route goudronnée.
L'écho de mes pas retentissait.
J'entendais battre un cœur ;
Son rythme était sourd et précipité.
La voûte céleste était constellée d'étoiles ;
Ces étoiles ressemblaient à de fins chalumeaux
Qui perçaient la toile mate tendue au-dessus d'eux.
Devant moi, un visage se dressait.
Une moitié de ce visage était celui d'une femme.
L'autre moitié était végétale, composée de feuilles argentées,
Veinées de noir, avec une fleur jaune à la place de l'œil,
Un pétale nacré au coin de la bouche,
Et un escargot très pâle près du menton.
Une autre femme m'apparaissait :
elle était allongée, avait la bouche ouverte
et sa tête pendait vers le bas.
Ses lèvres rouges vif,
laissaient voir l'arc supérieur de ses dents.
Elle portait une robe blanche, amplement festonnée,
avec un corset de soie verte, bordé d'une frise blanche.
Sa poitrine, généreuse, couleur de l'albâtre,
Etait presque visible,
Car sa main, s'appuyant juste au dessous,
La chassait voluptueusement sous la pression.
Ses yeux fermés, ses longs cheveux bruns,
Etalés transversalement,
Sa main gauche se portant nerveusement à sa clavicule,
Toute son attitude, exprimait une crispation et une souffrance.
Soudain, je sentis naître dans le creux de mes mains,
Une présence chaude et soyeuse ;
La douceur d'un plumage, un duvet, au milieu duquel,
Nerveuses, des pattes s'agitaient !
Alors que je regardais une blessure que j'avais à la main,
Je vis s'écarter les bords de la plaie.
Des lèvres charnues comme la pulpe d'un fruit,
En sortaient et m'appelaient !