Le pied

[Liza]

        Le pied

Ce soir-là, c’était la fête au collège, nous avions écrit un sketch un peu dingue sur le thème du mariage. J’étais la mariée.

J’étais habillée d’une tenue inventive et superficielle. Le haut, à épaules nues, était retenu par un élastique, il s’arrêtait juste au-dessus de ma poitrine. Les deux mandarines collées sur mes poumons ne représentaient pas un obstacle suffisant pour s’opposer à la glissade du corsage.

Dans ces situations, l’invention est de mise. Les costumes ont une vie éphémère et les fixations les plus fantaisistes sont utilisées. Une maman a eu une idée. Me mettre un shorty enveloppant à taille haute et tout fixer dessus. Sauvée ! Quatre épingles de nourrice attachaient le haut au bas. On avait cousu les jupons au shorty. Tout le bas et les frou-frous fixés avec des agrafes de bureau. Mon costume de scène prenait forme.
La traîne était collée dans mon dos sur le shorty, avec un pistolet de colle à chaud. La jarretière à la cuisse.
Tout était réglé, il ne restait qu’à retirer tout cet assemblage de guenilles, sans démolir cette belle œuvre de haute couture..

Le jour J, j’avais tout repassé sans dégâts et sans fer de plis. J'allais au maquillage, une mariée doit être maquillée, un joli chignon en pomme de pin sur la tête. Des fleurs dans les cheveux et un joli voile, un l’ensemble, très réussi. Me voilà bien emballée pour me prêter à un mari. Me souvenant de la fille à la fontaine de Brassens, pour gagner les planches, j’évitais les courants d’air.

Dans le jeu, je devais être furieuse contre mon futur mari et faire une entrée fracassante. J’ai bondi en scène poussée par quelques copains craignant un retour en force inopportun de ma timidité maladive. Crispée de trouille, hypnotisée par le public, bercée d’applaudissements, j’ai à peine senti un froissement sur ma peau.

Tout était parti, j’étais à poil devant le rassemblement de parents et d’élèves du collège. Seule la jarretelle a résisté au tsunami. Un faible rempart pour sauvegarder l’intimité d’une jeune fille, même si ses arrondissements ne sont pas encore très peuplés. Le vent ? Pensez-vous, Marc, le gaffeur, me catapultait devant le public alors qu’il était en stationnement illégal, les deux pieds sur ma traîne. Si le gamin ne manquait pas de culot, moi, je n’avais plus de culotte…

Une main sur la poitrine, l’autre sur l’entrejambe j’appelais le miracle qui me ferait disparaître. Les miracles, il n’y en a plus depuis deux mille ans. Marc s’est jeté sur moi, tenant le tas de chiffons devant ma nudité, il me serrait contre lui, sans doute repentant.

Un gaffeur compatissant, n’y croyez surtout pas, ils sont pires que les autres. Machinalement, il a posé les mains dans mon dos, puis sur mes fesses mimant une danse imaginaire. Vous voyez le tableau. Affolée, j’ai posé la tête sur son épaule pour cacher mon incontinence lacrymale, ce qui passait pour une complicité.

Finalement, serrés l’un contre l’autre, nous avons remonté deux mille ans d’ingratitude divine, le miracle a eu lieu, le rideau est tombé, lâché par les machinistes en herbe pas pressés de nous envoyer jouer dans la cour ou dans le jardin.

— Bonjour, tu te souviens de moi ? Marc, précise le garçon.
Tu parles si je me souviens de cet imbécile congénital qui ne regarde jamais où il met les pieds, le plus souvent dans le plat des autres.

       Liza

[Montparnasse]

Bien écrit, bravo ! Le style Liza est reconnaissable. smile

J'ai corrigé « fer de plis » par « faire de plis ».

[Liza]

Eh non, c'est sans fer, mais sans pli, c'est volontaire, je n'aurai peut-être pas dû le mettre, tout le monde va croire à une erreur. À par ceux qui savent que j'écris sans faute.