Les Années d'école.
Publié : 04 décembre 2019, 18:31
Que reste-t-il à ma mémoire de mes jeunes années, voire très jeunes années? Quelques débris d'images fugaces sur les prés et les champs, le décor d'une pièce à vivre encombrée de jouets et de papiers, un visage souriant se penchant sur nos têtes, des rires des chants autour d'une table; bref, tout ce qui fait d'une enfance, une enfance heureuse.
Je me souviens d'un haut escalier qui avait tendu ses marches en travers de mes pieds alors que j'avais entrepris, du haut de mes trois ans, la périlleuse aventure de le descendre à"reculons" Après une dégringolade, j'étais allé frapper de plein fouet dans une massive porte qui, récalcitrante, avait royalement refusé de s'ouvrir... J'en fut quitte pour quelques bosses et beaucoup de larmes.
Je me souviens aussi d'un déménagement après avoir vu, sans trop comprendre, se vider petit à petit l'appartement. Nous fumes calés sur des coussins entre les caisses et les cartons, nous tendions le cou au dessus des ridelles pour admirer le film du paysage qui se déroulait. Nous riions ballotés à chaque cahot de la route, en voyant les paquets bringueballer de gauche à droite comme des danseurs parfois accompagnés du concert des casserolles et batteries de cuicine s"entrechoquant... Une distance qui, courte qu'elle était, nous parut interminable. Enfin, vint la délivrance, nous pumes dégourdir nos gambettes et admirer le nouveau décor.
Je n'ai pas de mémoire du lieu où nous allions désormais giter, du village et de ses alentours, ce n'est que plus tard en arpentant les chemins d'écoles régulièrement, que les paysages se graveront en moi. Mais attardons-nous un instant sur ce qui était devenu notre nouveau toit... Sous un porche, s'ouvrait à droite, une porte donnant sur la cuisine, devant nous descendait un escalier désservant en face un autre appartement, que nous fréquentâmes plus tard quand un couple ayant une enfant de notre age vint s'y installer.
A droite encore des marches longeant un muret à gauche, tandis qu'à droite, sous la cuisine, s'ouvrait un cellier où bientôt mon père posera son établi et au fond duquel s'entasseront les conserves... Encore deux ou trois marches, nous voici dans la cour; sous notre logement, une grande étable, loin à gauche une grange pleine de fourage et de paille, puis un enclos avec son préau où les animaux pouvaient être parqués. En retour sur le fond, un portail ouvrait sur un chemin qui, par une abrupte pente, tournait autour des batiments et partait à l'assaut de la plaine. Il y avait encore, entre le portail et l'étable, trois petits locaux où s'empilera le bois pour le chauffage... Dans le trou au bas du chemin serpentait, traversant une mare, un petit ruisseau qu'enjambait un maigre pont... Plus loin, l'inconnu à découvrir plus tard.
Rentrons dans la cuisine, pièce carrée où s'ouvre sur le fond une porte donnant sur le séjour. Séjour traversé, deux portes d'accès aux chambres. Sur la perpendiculaire une ouverture déssert un débarras avec sur la droite un local wc où la température s'avérera glaciale: wc qui se révéleront d'une insalubrité encestrale. Entre le débarras et la cuisine, une autre petite chambre toute aussi froide... De cabinet de toilettes, d'eau chaude, il n'y avait pas; nous dûmes pendant les quatre années que nous passâmes entre ces murs, nous laver dans une cuvette sans avoir omis de faire chauffer de l'eau sur une cuisinière. Mais en ces fins d'années cinquante, les propriétaires et les patrons ne s'offusquaient pas de la propreté de leurs employés et de leurs familles.
Voila, nous sommes installés, un an c'est écoulé poussant ses journées l'une contre l'autre pour faire de la place aux suivantes, les saisons ont tour à tour sali et lavé le bleu du ciel, les vacances scolaires d'été sont venues et reparties et, en ce jour de septembre j'avais, en compagnie de mes soeurs ainées, petit cartable au bout du bras, pris moi aussi le chemin de l'école. Quelle Découverte que cette route où pour la première fois je prenais le temps d'ouvrir à mes yeux les pales décors d'un petit village de campagne.
Partant du devant du porche, une cote caillouteuse bordait à gauche une futaie crasseuse dans laquelle, malgré les interdictions répétées, nous aimions aller nous salir; puis le chemin rattrappait la route. Quelle route! une longue pente mal empièrrée circulant entre les clotures de deux propriétés magnifiques pour nos yeux. Il fallait arriver en haut, passer le croisement pour trouver le bitume. A gauche partait une voie entre des maisons déja moins isolées, à droite une autre menait à l'usine à briques et au lavoir, tout droit nous allions vers le bourg et l'école. Après le croisement, longeant la route, un long terrain qui était devenu notre jardin familial. Nous arrivions aux premières maisons groupées, passions devant le corps de ferme où notre père travaillait six jours sur sept... N'oublions pas que le dimanche il fallait aller débarrasser les vaches de leur lait, nourrir veaux et cochons, lapins et poulets. Nous marchions sur le coté gauche car sur le droit, dans le parc d'une villa, un énorme chien loup se jetait sur les barreaux dès que passait un enfant. Je me suis toujours demandé, et je me demande encore maintenant en riant, comment ce monstre énorme pour notre petite taille, n'avait-il pas réussi à sauter les barreaux et à venir quérir sa pitance de chair fraîche.
Arrivait alors un virage très dangereux, parfait équerre aux trottoirs menus où nous rasions les murs car les camionneurs menant la terre à la briqueterie circulant à tombeau ouvert dans leurs vieux véhicules, (Je saurai plus tard que c'étaient d'anciens JMC datant de la dernière guerre) ne se gènaient pas de mordre sur le trottoir pour compenser leur faible rayon de braquage. Nous dépassions la boulangerie, l'épicerie, parfois nous traversions pour aller admirer la vitrine du bazar où l'étalage de richesses de jouets et autres articles, faisait baver nos yeux d'envies. N'oublions pas le bar tabac, une petite route à sauter et il était du devoir de retraverser pour toucher les grilles de l'école... Elle était austère, deux salles de classe séparées par un large couloir surmontées par l'appartement du couple d'instituteurs qui avaient aussi la charge de la mairie. Madame M... s'occupait des trois petits cours, tandis que Monsieur avait sous sa règle les trois cours suppérieurs.
Là, je peux sans honte le dire, j'ai passé les trois années les plus infâmes de ma vie... Madame M... n'avait pas de préféré, exepté le fils du coiffeur, coiffeur chez lequel elle passait le jeudi après-midi à se faire tripoter le cuir chevelu; à part le fils ou la fille du boucher ou de quelques gros propriétaire terrien qui lui remmettaient régulièrement: qui un bon gigot, qui un beau lapin ou un poulet... Elle n'était pas seulement sévère, elle était odieuse! Depuis qu'en grandissant j'ai appris à aimer la lecture, que j'ai lu Hervé Bazin, je ne peux m'empècher de la comparer à la "Folcoche"de vipère au point. Elle était aussi injuste, alors que pour écrire sur les cahiers quelques notes ou petits comptes-rendus, Madame changeait de plume régulièrement voire tous les matins, les notres, ballotées dans un plumier en bois devaient supporter l'écriture pendant un mois... Si par malheur nous en réclamions une neuve avant la date prévue, elle regardait l'objet usé du délit de ses yeux acerbes et évaluait selon les dégats le nombre de coups de règles qu'elle allait prendre plaisir à distribuer.
Oh! les bons moments pour elle, quand, encore transis du froid qui nous avait agressé tout au long du trajet, les doigts gourds où commençaient à piqueter des milliers de fourmis s'éveillant à la chaleur de la pièce que réchauffait un énorme poèle à bois, elle donnait de suite l'ordre de prendre plume et d'inscrire sur notre cahier le jour et la date... passant par les allées, pesant sur les frèles épaules de son regard de linx; malheur à vous si les pleins et les déliés n'étaient pas de son gout! Que de vols de gifles parfois entre les tables, de règle carrée sonnant sur les doigts!... Madame M..., retirait les bons point, vous savez ces petits carrés de cartons bleu rose vert, beaucoup plus vite qu'elle ne les distribuait; dix bons donnaient droit à une image, ces jours la, il fallait prendre sur soi s'appliquer à outrance de peur de voir, à la première saute d'humeur de la mégère, l'image choisie disparaître dans le fond de sa poche pour ne plus jamais ressortir. J'ai longtemps pensé, peut-être à tord, qu'elle possédait deux boites à images vu que ,certaines, distribuées à quelques élèves de choix, paraissaient beaucoup plus raffinées que les notres et ne nous étaient pas apparues lors de notre choix.
Il faut souligner à présent, que Madame M... était raciste, pas de ce racisme des couleurs ou des étrangers non... mais raciste tout de même!... Elle ne supportait pas les gauchers! C'est pourtant la que j'ai du apprendre à écrire, mal je le conçois car obligé de tenir le porte-plumes de la main droite. Je me souviens d'un jour où, profitant qu'elle tournait le dos occupée qu'elle était avec le cours des plus grands(CE2), je décidais de changer de main... A croire que la rouée avait des yeux derrière la tête, l'envolée de phrases hurlantes qui suivit accompagnée de quelques gifles gratinées nous le prouvèrent. Puis elle quitta la salle, non sans avoir gueulé qu'elle exigeait le silence, et revint quelques instants après munie d'une ficelle de lieuse qu'elle doubla, passa et noua autour de mon poignet et attacha au pied de la table m'interdisant ainsi de me servir de la main gauche... Oh! la fabuleuse page d'écriture où mes doigts encore incertains durent en tremblant faire glisser la plume tout en poussant le buvard. Il en résultat un infâme tapis encré, pas de pattes de mouches, comme elle se plaisait à moquer nos premiers mots, mais des pattes de rats suivies de nombres de taches grosses comme des grains de café; ce qui eut pour effet de me gratifier d'une distribution de multiples coups de règles.
Il arriva un matin une nouvelle élève, dont ma mémoire à totalement occulté le nom, dans la cour de l'école, vite prise sous la coupe de l'institutrice qui la cacha sous son aile comme une mère poule ses poussins. Une fois rejoint nos place dans la classe, tous nous n'avions d'yeux que pour la nouvelle, elle était devenue notre attraction du jour. Quel ne fut pas notre étonnement quand nous la vîmes saisir sa plume: de la main gauche, alors, méchant que nous étions, nous pensâmes que la pauvre enfant allait se faire vertement rappeler à l'ordre... A notre grande stupeur il n'en fut rien, Madame M... s'approcha, positionna corectement le cahier et le buvard et dit: "Tu es gauchère? soit, mais il te faudra apprendre seule à débrouiller tes lettres, je ne pourrai t'aider" Elle tourna les talons, et la petite nouvelle appris patiemment seule, à écrire de la main gauche!... J'ai omis de préciser que cette jeune personne, et Dieu sait si elle n'y était pour rien dans le comportement de "folcoche", était la fille du nouveau régisseur d'un chatelin voisin. Nous n'avions certes pas elle et moi les mêmes valeurs aux yeux de celle qui aurait du se montrer impartiale dans ses agissements.
Passèrent ainsi trois étés, autant d'hivers où, comme pour faire un clin d'oeil, la neige fut à chaque fois au rendez-vous des fins d'automne et des noëls. Sombres jours où nous avancions péniblement sur la cote pierreuse rendue glissante car rien à l'époque n'était prévu pour le déblaiement. Une fois passé le croisement, nous circulions mieux les rares voitures et les camions, tassant et chassant la neige, nous sculptaient des passages adéquats à notre petite taille... Mais la cote se révélait être un supplice; notre père avait avec quatre planches confectionné un traineau triangulaire, lié une longe en bout, il faisait s'y asseoir un de nous s'attelait à la longe et, tel une bête de somme tirait l'engin jusqu'au haut de la cote nous créant ainsi, comme les lames des chasse neige, un chemin praticable. Souvent, le lendemain, la neige récalcitrante étant retombée, il fallait recommencer... Et papa s'usait pour notre bien-être. Nous gardions les pieds au sec, labeur bien inutile puisque, une fois doublé le sommet de la cote, notre meilleur jeu était de danser sur les endroits où la blancheur était la plus épaisse, de sentir la neige entrer dans nos souliers, souiller nos pantalons et l'entendre une fois fondue, nous suivre de "floc floc" lugubres qui atisaient nos rires.
Malgré tout, il nous fallait faire attention car à tous moments nous pouvions croiser la route de notre père ou celle d'un de ses collègues du domaine ou quelques connaissances qui se seraient fait un plaisir malin pour décrire notre comportement. "Ah ces adultes, on ne peut jamais compter sur eux!" Etait à craindre, le soir à notre retour, la colère de maman si elle jugeait que les petits diables que nous étions, avions saccagé nos vêtements. Précisons qu'en ce temps proche et pourtant lointain déja, le lave-linge n'existait guère, peut-être était-il inventé mais sans doute y avait-il de nombreuses améliorations à lui apporter. Soit il fallait pousser la brouette jusqu'au lavoir en haut de la grande cote, soit il fallait se résoudre à la lessiveuse qui chauffait longuement sur un trépied à gaz. Ensuite il fallait sécher, alors pendaient devant les poèles et cuisinières des guirlandes de tissu colorés qui pleuraient lugubrement au sol. Mais quel travail pour les mains de maman qui en plus devait ravauder les habits, faire le ménage et la cuisine, s'occuper des plus petits et aller matin et soir aider aux animaux de la ferme.
Nous passions les vacances de fin d'année dans la chaude atmosphère humide des murs, orchestrée par les coups de sabots des vaches dormant au dessous de nous, par les cliquetis des chaines , les meuglements, les relents d'excréments, dans la poussière ouatée soulevée par les pales rayons d'un soleil frileux que la vieille demeure répercutait entre ses parois protectrices.
Parfois, des oncles des tantes et une armée de cousins, venaient nous visiter, le temps d'un dimanche la joie régnait sur les visages, une joie sincère sans artifice, puis la routine reprenait ses droits et nous le chemin de l'école.
Mais la route était longue depuis le porche de la maison jusqu'à la grille de l'école, longue et nos jambes courtes et fatiguées par les répétés voyages qu'il fallait accomplir quatre fois par jour. Nous trainions lamentablement nos sacs et nos pieds tantôt sur la neige, sur le verglas, tantôt sur la pierre poussièreuse du chemin; recherchant dans les yeux de l'autre la future petite bêtise à faire, insignifiante pitrerie que nous tentions de dissimuler aux regards pouvant s'avérer rapporteurs.
Chaque hiver, un peu avant Noël, le petit village organisait pour les enfants des écoles, son arbre avec remise à tous du cadeau communal Pour l'occasion, le garde-champêtre revêtait son costume rouge, sa longue barbe, sa hotte de carton... mais les yeux des enfants n'avaient d'éclats que pour les jouets s'étageant sur deux ou trois rayons, des gros ou des petits, des beaux ou de moins beaux que Madame M... savait savamment distribuer. La non plus ne régnait pas la justice, il était simplement aquis, que les plus beaux et plus gros jouets devaient revenir aux enfants des personnes aisées et bien en vue. Il aurait été impensable qu'un rutilant camion, qu'une belle poupée artistement chamarée et richement vêtue, échouent entre les mains de filles ou fils d'ouvriers agricole... Alors que l'enfant du riche, qui assuremment en possédait de pleins tiroirs, les convoitaient attendant de s'en saisir.
L'enfant pauvre dirigeait avidement ses mains vers le beau, le sublime, Madame M... déviait alors son geste et lui glissait à l'oreille: "Ce camion est bien trop lourd pour un petit comme toi, prends plutôt ce petit sac de billes" Elle disait "trop lourd" mais pensait "trop beau" L'enfant repartait tristement, ne comprenant pas pourquoi le fils d'un riche entrepreneur qui passait just'après lui, s'était saisi du magnifique camion sans s'attirer une remontrance de la dame... Voila comment au coeur de la brie, quatre personnes aisées et une institutrice faisaient vivre un semblant de petite dictature ne laissant aux manants, comme ils devaient nous nommer, que les broutilles.
A cette époque, la télévision n'en était qu'à ses balbutiements, les rares maisons la possédant ne recevaient l'image que sur une chaine, toujours en noir et blanc, entre une et deux heures le midi et autant le soir. Le reste du temps, tournaient les aiguilles d'un réveil silencieux qui avait, le cas échéant, l'avantage de servir de montre... Cela pour dire que les enfants que nous étions, n'avions pas le cerveau développé comme celui des enfants de nos jours qui se vautrent d'images de tous genres sur un nombre incalculable de chaines en couleurs, et ce presque vingt quatre heures sur vingt quatre. Nous n'osions pas demander pourquoi on nous ordonnait de choisir la poussière afin de laisser le soleil à la haute voltige communale.
J'ai appris depuis longtemps qu'il n'y a pas et il n'y aura jamais d'égalité... Le petit doit se contenter de petit, voire de moins, tandis que le gros voit toujours plus grand. Il serait donc bon que la devise qui trone sur le fronton de nos mairies : LIBERTE EGALITE FRATERNITE soit supprimer... La liberté diminue réduites par des lois qui nous enchainent et qui, généralement, ne servent à rien. L'égalité n'a jamais existée, quand à la fraternité, n'en parlons pas, elle roule toujours à sens unique... Mais je m'égare de mon sujet, ces pensées, et je reconnais les avoir eues et les posséder encore, me sont venues plus tard une fois aquise la vie active.
------------------------------------------------------------------------------- A SUIVRE
Je me souviens d'un haut escalier qui avait tendu ses marches en travers de mes pieds alors que j'avais entrepris, du haut de mes trois ans, la périlleuse aventure de le descendre à"reculons" Après une dégringolade, j'étais allé frapper de plein fouet dans une massive porte qui, récalcitrante, avait royalement refusé de s'ouvrir... J'en fut quitte pour quelques bosses et beaucoup de larmes.
Je me souviens aussi d'un déménagement après avoir vu, sans trop comprendre, se vider petit à petit l'appartement. Nous fumes calés sur des coussins entre les caisses et les cartons, nous tendions le cou au dessus des ridelles pour admirer le film du paysage qui se déroulait. Nous riions ballotés à chaque cahot de la route, en voyant les paquets bringueballer de gauche à droite comme des danseurs parfois accompagnés du concert des casserolles et batteries de cuicine s"entrechoquant... Une distance qui, courte qu'elle était, nous parut interminable. Enfin, vint la délivrance, nous pumes dégourdir nos gambettes et admirer le nouveau décor.
Je n'ai pas de mémoire du lieu où nous allions désormais giter, du village et de ses alentours, ce n'est que plus tard en arpentant les chemins d'écoles régulièrement, que les paysages se graveront en moi. Mais attardons-nous un instant sur ce qui était devenu notre nouveau toit... Sous un porche, s'ouvrait à droite, une porte donnant sur la cuisine, devant nous descendait un escalier désservant en face un autre appartement, que nous fréquentâmes plus tard quand un couple ayant une enfant de notre age vint s'y installer.
A droite encore des marches longeant un muret à gauche, tandis qu'à droite, sous la cuisine, s'ouvrait un cellier où bientôt mon père posera son établi et au fond duquel s'entasseront les conserves... Encore deux ou trois marches, nous voici dans la cour; sous notre logement, une grande étable, loin à gauche une grange pleine de fourage et de paille, puis un enclos avec son préau où les animaux pouvaient être parqués. En retour sur le fond, un portail ouvrait sur un chemin qui, par une abrupte pente, tournait autour des batiments et partait à l'assaut de la plaine. Il y avait encore, entre le portail et l'étable, trois petits locaux où s'empilera le bois pour le chauffage... Dans le trou au bas du chemin serpentait, traversant une mare, un petit ruisseau qu'enjambait un maigre pont... Plus loin, l'inconnu à découvrir plus tard.
Rentrons dans la cuisine, pièce carrée où s'ouvre sur le fond une porte donnant sur le séjour. Séjour traversé, deux portes d'accès aux chambres. Sur la perpendiculaire une ouverture déssert un débarras avec sur la droite un local wc où la température s'avérera glaciale: wc qui se révéleront d'une insalubrité encestrale. Entre le débarras et la cuisine, une autre petite chambre toute aussi froide... De cabinet de toilettes, d'eau chaude, il n'y avait pas; nous dûmes pendant les quatre années que nous passâmes entre ces murs, nous laver dans une cuvette sans avoir omis de faire chauffer de l'eau sur une cuisinière. Mais en ces fins d'années cinquante, les propriétaires et les patrons ne s'offusquaient pas de la propreté de leurs employés et de leurs familles.
Voila, nous sommes installés, un an c'est écoulé poussant ses journées l'une contre l'autre pour faire de la place aux suivantes, les saisons ont tour à tour sali et lavé le bleu du ciel, les vacances scolaires d'été sont venues et reparties et, en ce jour de septembre j'avais, en compagnie de mes soeurs ainées, petit cartable au bout du bras, pris moi aussi le chemin de l'école. Quelle Découverte que cette route où pour la première fois je prenais le temps d'ouvrir à mes yeux les pales décors d'un petit village de campagne.
Partant du devant du porche, une cote caillouteuse bordait à gauche une futaie crasseuse dans laquelle, malgré les interdictions répétées, nous aimions aller nous salir; puis le chemin rattrappait la route. Quelle route! une longue pente mal empièrrée circulant entre les clotures de deux propriétés magnifiques pour nos yeux. Il fallait arriver en haut, passer le croisement pour trouver le bitume. A gauche partait une voie entre des maisons déja moins isolées, à droite une autre menait à l'usine à briques et au lavoir, tout droit nous allions vers le bourg et l'école. Après le croisement, longeant la route, un long terrain qui était devenu notre jardin familial. Nous arrivions aux premières maisons groupées, passions devant le corps de ferme où notre père travaillait six jours sur sept... N'oublions pas que le dimanche il fallait aller débarrasser les vaches de leur lait, nourrir veaux et cochons, lapins et poulets. Nous marchions sur le coté gauche car sur le droit, dans le parc d'une villa, un énorme chien loup se jetait sur les barreaux dès que passait un enfant. Je me suis toujours demandé, et je me demande encore maintenant en riant, comment ce monstre énorme pour notre petite taille, n'avait-il pas réussi à sauter les barreaux et à venir quérir sa pitance de chair fraîche.
Arrivait alors un virage très dangereux, parfait équerre aux trottoirs menus où nous rasions les murs car les camionneurs menant la terre à la briqueterie circulant à tombeau ouvert dans leurs vieux véhicules, (Je saurai plus tard que c'étaient d'anciens JMC datant de la dernière guerre) ne se gènaient pas de mordre sur le trottoir pour compenser leur faible rayon de braquage. Nous dépassions la boulangerie, l'épicerie, parfois nous traversions pour aller admirer la vitrine du bazar où l'étalage de richesses de jouets et autres articles, faisait baver nos yeux d'envies. N'oublions pas le bar tabac, une petite route à sauter et il était du devoir de retraverser pour toucher les grilles de l'école... Elle était austère, deux salles de classe séparées par un large couloir surmontées par l'appartement du couple d'instituteurs qui avaient aussi la charge de la mairie. Madame M... s'occupait des trois petits cours, tandis que Monsieur avait sous sa règle les trois cours suppérieurs.
Là, je peux sans honte le dire, j'ai passé les trois années les plus infâmes de ma vie... Madame M... n'avait pas de préféré, exepté le fils du coiffeur, coiffeur chez lequel elle passait le jeudi après-midi à se faire tripoter le cuir chevelu; à part le fils ou la fille du boucher ou de quelques gros propriétaire terrien qui lui remmettaient régulièrement: qui un bon gigot, qui un beau lapin ou un poulet... Elle n'était pas seulement sévère, elle était odieuse! Depuis qu'en grandissant j'ai appris à aimer la lecture, que j'ai lu Hervé Bazin, je ne peux m'empècher de la comparer à la "Folcoche"de vipère au point. Elle était aussi injuste, alors que pour écrire sur les cahiers quelques notes ou petits comptes-rendus, Madame changeait de plume régulièrement voire tous les matins, les notres, ballotées dans un plumier en bois devaient supporter l'écriture pendant un mois... Si par malheur nous en réclamions une neuve avant la date prévue, elle regardait l'objet usé du délit de ses yeux acerbes et évaluait selon les dégats le nombre de coups de règles qu'elle allait prendre plaisir à distribuer.
Oh! les bons moments pour elle, quand, encore transis du froid qui nous avait agressé tout au long du trajet, les doigts gourds où commençaient à piqueter des milliers de fourmis s'éveillant à la chaleur de la pièce que réchauffait un énorme poèle à bois, elle donnait de suite l'ordre de prendre plume et d'inscrire sur notre cahier le jour et la date... passant par les allées, pesant sur les frèles épaules de son regard de linx; malheur à vous si les pleins et les déliés n'étaient pas de son gout! Que de vols de gifles parfois entre les tables, de règle carrée sonnant sur les doigts!... Madame M..., retirait les bons point, vous savez ces petits carrés de cartons bleu rose vert, beaucoup plus vite qu'elle ne les distribuait; dix bons donnaient droit à une image, ces jours la, il fallait prendre sur soi s'appliquer à outrance de peur de voir, à la première saute d'humeur de la mégère, l'image choisie disparaître dans le fond de sa poche pour ne plus jamais ressortir. J'ai longtemps pensé, peut-être à tord, qu'elle possédait deux boites à images vu que ,certaines, distribuées à quelques élèves de choix, paraissaient beaucoup plus raffinées que les notres et ne nous étaient pas apparues lors de notre choix.
Il faut souligner à présent, que Madame M... était raciste, pas de ce racisme des couleurs ou des étrangers non... mais raciste tout de même!... Elle ne supportait pas les gauchers! C'est pourtant la que j'ai du apprendre à écrire, mal je le conçois car obligé de tenir le porte-plumes de la main droite. Je me souviens d'un jour où, profitant qu'elle tournait le dos occupée qu'elle était avec le cours des plus grands(CE2), je décidais de changer de main... A croire que la rouée avait des yeux derrière la tête, l'envolée de phrases hurlantes qui suivit accompagnée de quelques gifles gratinées nous le prouvèrent. Puis elle quitta la salle, non sans avoir gueulé qu'elle exigeait le silence, et revint quelques instants après munie d'une ficelle de lieuse qu'elle doubla, passa et noua autour de mon poignet et attacha au pied de la table m'interdisant ainsi de me servir de la main gauche... Oh! la fabuleuse page d'écriture où mes doigts encore incertains durent en tremblant faire glisser la plume tout en poussant le buvard. Il en résultat un infâme tapis encré, pas de pattes de mouches, comme elle se plaisait à moquer nos premiers mots, mais des pattes de rats suivies de nombres de taches grosses comme des grains de café; ce qui eut pour effet de me gratifier d'une distribution de multiples coups de règles.
Il arriva un matin une nouvelle élève, dont ma mémoire à totalement occulté le nom, dans la cour de l'école, vite prise sous la coupe de l'institutrice qui la cacha sous son aile comme une mère poule ses poussins. Une fois rejoint nos place dans la classe, tous nous n'avions d'yeux que pour la nouvelle, elle était devenue notre attraction du jour. Quel ne fut pas notre étonnement quand nous la vîmes saisir sa plume: de la main gauche, alors, méchant que nous étions, nous pensâmes que la pauvre enfant allait se faire vertement rappeler à l'ordre... A notre grande stupeur il n'en fut rien, Madame M... s'approcha, positionna corectement le cahier et le buvard et dit: "Tu es gauchère? soit, mais il te faudra apprendre seule à débrouiller tes lettres, je ne pourrai t'aider" Elle tourna les talons, et la petite nouvelle appris patiemment seule, à écrire de la main gauche!... J'ai omis de préciser que cette jeune personne, et Dieu sait si elle n'y était pour rien dans le comportement de "folcoche", était la fille du nouveau régisseur d'un chatelin voisin. Nous n'avions certes pas elle et moi les mêmes valeurs aux yeux de celle qui aurait du se montrer impartiale dans ses agissements.
Passèrent ainsi trois étés, autant d'hivers où, comme pour faire un clin d'oeil, la neige fut à chaque fois au rendez-vous des fins d'automne et des noëls. Sombres jours où nous avancions péniblement sur la cote pierreuse rendue glissante car rien à l'époque n'était prévu pour le déblaiement. Une fois passé le croisement, nous circulions mieux les rares voitures et les camions, tassant et chassant la neige, nous sculptaient des passages adéquats à notre petite taille... Mais la cote se révélait être un supplice; notre père avait avec quatre planches confectionné un traineau triangulaire, lié une longe en bout, il faisait s'y asseoir un de nous s'attelait à la longe et, tel une bête de somme tirait l'engin jusqu'au haut de la cote nous créant ainsi, comme les lames des chasse neige, un chemin praticable. Souvent, le lendemain, la neige récalcitrante étant retombée, il fallait recommencer... Et papa s'usait pour notre bien-être. Nous gardions les pieds au sec, labeur bien inutile puisque, une fois doublé le sommet de la cote, notre meilleur jeu était de danser sur les endroits où la blancheur était la plus épaisse, de sentir la neige entrer dans nos souliers, souiller nos pantalons et l'entendre une fois fondue, nous suivre de "floc floc" lugubres qui atisaient nos rires.
Malgré tout, il nous fallait faire attention car à tous moments nous pouvions croiser la route de notre père ou celle d'un de ses collègues du domaine ou quelques connaissances qui se seraient fait un plaisir malin pour décrire notre comportement. "Ah ces adultes, on ne peut jamais compter sur eux!" Etait à craindre, le soir à notre retour, la colère de maman si elle jugeait que les petits diables que nous étions, avions saccagé nos vêtements. Précisons qu'en ce temps proche et pourtant lointain déja, le lave-linge n'existait guère, peut-être était-il inventé mais sans doute y avait-il de nombreuses améliorations à lui apporter. Soit il fallait pousser la brouette jusqu'au lavoir en haut de la grande cote, soit il fallait se résoudre à la lessiveuse qui chauffait longuement sur un trépied à gaz. Ensuite il fallait sécher, alors pendaient devant les poèles et cuisinières des guirlandes de tissu colorés qui pleuraient lugubrement au sol. Mais quel travail pour les mains de maman qui en plus devait ravauder les habits, faire le ménage et la cuisine, s'occuper des plus petits et aller matin et soir aider aux animaux de la ferme.
Nous passions les vacances de fin d'année dans la chaude atmosphère humide des murs, orchestrée par les coups de sabots des vaches dormant au dessous de nous, par les cliquetis des chaines , les meuglements, les relents d'excréments, dans la poussière ouatée soulevée par les pales rayons d'un soleil frileux que la vieille demeure répercutait entre ses parois protectrices.
Parfois, des oncles des tantes et une armée de cousins, venaient nous visiter, le temps d'un dimanche la joie régnait sur les visages, une joie sincère sans artifice, puis la routine reprenait ses droits et nous le chemin de l'école.
Mais la route était longue depuis le porche de la maison jusqu'à la grille de l'école, longue et nos jambes courtes et fatiguées par les répétés voyages qu'il fallait accomplir quatre fois par jour. Nous trainions lamentablement nos sacs et nos pieds tantôt sur la neige, sur le verglas, tantôt sur la pierre poussièreuse du chemin; recherchant dans les yeux de l'autre la future petite bêtise à faire, insignifiante pitrerie que nous tentions de dissimuler aux regards pouvant s'avérer rapporteurs.
Chaque hiver, un peu avant Noël, le petit village organisait pour les enfants des écoles, son arbre avec remise à tous du cadeau communal Pour l'occasion, le garde-champêtre revêtait son costume rouge, sa longue barbe, sa hotte de carton... mais les yeux des enfants n'avaient d'éclats que pour les jouets s'étageant sur deux ou trois rayons, des gros ou des petits, des beaux ou de moins beaux que Madame M... savait savamment distribuer. La non plus ne régnait pas la justice, il était simplement aquis, que les plus beaux et plus gros jouets devaient revenir aux enfants des personnes aisées et bien en vue. Il aurait été impensable qu'un rutilant camion, qu'une belle poupée artistement chamarée et richement vêtue, échouent entre les mains de filles ou fils d'ouvriers agricole... Alors que l'enfant du riche, qui assuremment en possédait de pleins tiroirs, les convoitaient attendant de s'en saisir.
L'enfant pauvre dirigeait avidement ses mains vers le beau, le sublime, Madame M... déviait alors son geste et lui glissait à l'oreille: "Ce camion est bien trop lourd pour un petit comme toi, prends plutôt ce petit sac de billes" Elle disait "trop lourd" mais pensait "trop beau" L'enfant repartait tristement, ne comprenant pas pourquoi le fils d'un riche entrepreneur qui passait just'après lui, s'était saisi du magnifique camion sans s'attirer une remontrance de la dame... Voila comment au coeur de la brie, quatre personnes aisées et une institutrice faisaient vivre un semblant de petite dictature ne laissant aux manants, comme ils devaient nous nommer, que les broutilles.
A cette époque, la télévision n'en était qu'à ses balbutiements, les rares maisons la possédant ne recevaient l'image que sur une chaine, toujours en noir et blanc, entre une et deux heures le midi et autant le soir. Le reste du temps, tournaient les aiguilles d'un réveil silencieux qui avait, le cas échéant, l'avantage de servir de montre... Cela pour dire que les enfants que nous étions, n'avions pas le cerveau développé comme celui des enfants de nos jours qui se vautrent d'images de tous genres sur un nombre incalculable de chaines en couleurs, et ce presque vingt quatre heures sur vingt quatre. Nous n'osions pas demander pourquoi on nous ordonnait de choisir la poussière afin de laisser le soleil à la haute voltige communale.
J'ai appris depuis longtemps qu'il n'y a pas et il n'y aura jamais d'égalité... Le petit doit se contenter de petit, voire de moins, tandis que le gros voit toujours plus grand. Il serait donc bon que la devise qui trone sur le fronton de nos mairies : LIBERTE EGALITE FRATERNITE soit supprimer... La liberté diminue réduites par des lois qui nous enchainent et qui, généralement, ne servent à rien. L'égalité n'a jamais existée, quand à la fraternité, n'en parlons pas, elle roule toujours à sens unique... Mais je m'égare de mon sujet, ces pensées, et je reconnais les avoir eues et les posséder encore, me sont venues plus tard une fois aquise la vie active.
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