Addiction

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Liza
Grand condor
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Addiction

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       Addiction

   L’amour ne sonne pas à la porte, ce n’est pas son genre, il se présente brutalement, sans prévenir, il s’installe en force.
   Il y a bien longtemps que nous nous sommes rencontrés, j’avais quoi ? quatorze ans ! C’est perdu dans le passé, au point que j’ai l’impression que nous avons été élevés dans le même berceau. Notre histoire prend un air de rabâchages d’anciens combattants, voire un goût d’avant-guerre. Peu importe, il est toujours là.

   Je me plais à le souligner, il a six mois de moins que moi, ce qui me permet d’affirmer sérieusement, avec une nuance de vérité, que je suis une cougar !
   En ce temps-là, nous étions des fadas de la piscine. Évidemment, nous n’étions pas dans la même équipe, les féminines d’un côté et les garçons de l’autre. Un jour, notre entraîneur a décidé de nous réunir pour nous faire travailler ensemble, afin de doubler notre temps d’entraînement.

   Quatorze, quinze ans, c’est l’époque où la femme, encore à moitié faite à la vie, enjolive tout, elle rêve aux grands sentiments. C’est facile à imaginer, je me voyais foudroyée d’amour par un beau jeune homme blond aux yeux clairs portant un sourire enjôleur.

   Il faut le dire, la natation commençait à me gaver. Je me battais, comme une dingue pour gagner la course contre l’aiguille d’un impitoyable chrono. Pendant ce temps, mes copines se baladaient avec les garçons et passaient le week-end en famille. Le coach, nous l’avions affublé du joli surnom de la Marmite, à cause de son sifflet, était accro aux centièmes, et hurlait comme un loup affamé et féroce lorsqu’il en manquait un. Il était toujours après moi, brandissant cette diabolique machine à compter les performances.
   Je comparais mes épaules musclées de catcheuse à celles, toutes fines, de mes amies, j’avais l’air difforme. Ma peau baignant dans l’eau chlorée restait pâle, je passais la moitié de ma vie en maillot de bain sans que celui-ci ne laisse aucune marque sur ma peau claire. Toujours pressée, toujours à l’écart, toujours à courir entre le collège, la piscine et la maison, à la fin, j’en avais marre.

   — L’œuf à la coque en a marre du compte minutes, se moquait, sans vergogne, mon compagnon de galère, mettant en boîte notre entraîneur en même temps.
   — À la fin de la saison, j’arrête tout, j’affirmais haut et fort.
   — Tu ne vas pas faire ça, tu me vois seul, dans le bouillon, avec la Marmite ? Je suis cuit d’avance.
   Beaucoup trop timide et discret, son physique commun n’attirait pas le regard. Mince, assez grand, châtain, les yeux presque noirs, il était loin d’être le prince charmant attendu par mon idéal féminin. Je n’ai jamais envisagé de sortir avec lui. Pas mon type, j’affirmais à qui prêtait l’oreille à mes confidences.

   — Ne t’inquiète pas, c’est une baisse passagère, disait-il en me serrant contre lui, les jours de défaite ou de mauvais chrono.
   D’un sourire à l’autre, j’ai grappillé les grains directement sur la treille de cet entourage protecteur qui tenait à l’ombre mes velléités sentimentales. Je repense à ces moments avec nostalgie. Parfois, la vie prend un chemin empli de virage afin de nous conduire tout droit à un endroit où nous ne souhaitons pas aller.
   — Je te préviens, ce n’est pas un gars pour toi, vous avez des caractères trop différents, me répétaient mes amis, à chaque instant.
   Certes, je savais que je ne passerais pas ma vie avec Théo, j’éclatais de rire en l’envisageant et n’aurais pas parié un centime sur un tel avenir. Comment aurais-je pu penser que c’était le bon ? tant cela paraissait invraisemblable, nous sommes tellement différents. Peut-être est-ce ce qui fait notre force, qui sait ? Il pondère ma révolte de retenue et de générosité mon égoïsme.

   Je n’ai pas cherché plus loin, les pièces de notre puzzle ne s’emboîtaient pas si mal. Ce jour-là, il y avait moins trois degrés, sous cet abribus glacial, j’avais froid au sortir de la piscine chauffée. C’était l’occasion toute trouvée pour nous serrer l’un contre l’autre. Après tout le temps que nous passions en maillot de bain à nous frôler la peau, c’est ici que tout a commencé, alors que nous étions emmitouflés dans nos joggings bien clos. Nous n’avions pas de gants, une excuse pour nous prendre la main. Ce fut le début de tout.

   Je devine son sourire le jour où il lira cet aveu. Je suis comme cela, je garde en mémoire un tas de détails parfaitement inutiles. Sur ma veste à capuche, je portais le pin’s du club à droite, c’était un signe convenu avec l’entraîneur, j’étais dans mes mauvais jours et le plus souvent j’avais l’humeur délicate. Lorsque l’on est timide et discrète, on invente des subterfuges. Évidemment, Théo était informé de ce petit secret.

   Sans un mot, sans chichis, il prenait ma main tous les jours à l’arrêt de bus. Je la lui laissais négligemment, elle ne représentait aucun lien, aucune chaîne. Après un mois j’étais bien avec lui, je ne l’aurais jamais cru. Je suis entrée dans cette histoire discrètement, par la petite porte, sans m’en rendre compte. Sur le moment, je n’ai pas réalisé que ces ouvertures de secours n’étaient pas à sens unique, elles ne s’ouvraient qu’avec l’aide d’un complice à l’intérieur. Impossible de me douter qu’après un an mon accoutumance serait évidente pour tout le monde. Je ne le réalisais même pas moi-même. Après trois années nous étions prêts à renoncer à nos choses les plus chères pour être ensemble.

   N’était-ce pas dingue ? Avec Théo,nous nous connaissions par cœur depuis toujours. Il savait lorsque mon cœur se serrait. Il me prenait la main au cinéma lorsque le film d’horreur me faisait peur, il sentait monter mes larmes lors des remontrances du coach. Il pouvait traduire chacune de mes pensées et deviner mes tourments. Comme je pouvais anticiper à peu près tous les siens et imaginer chacune de ses réactions. Je le connaissais de mémoire, comme un livre, lu et relu.par cœur.
   Et pourtant, j’avais l’impression de continuer à le découvrir chaque jour, au fur et à mesure que l’on grandissait, que l’on changeait, que l’on évoluait. M’a-t-il trompé ? l’ai-je trompé ? nous sommes-nous trompés ? Nous ne le saurons jamais ! On avait des bouderies, des engueulades, des coups durs, comme tous les couples, nous les avons surmontés.
   Notre vie côte à côte devrait prendre un nouveau tournant. Nous attendons un enfant. Théo a demandé ma main, c’est affreux.
   — Enfin une bonne nouvelle, clame mon père. Vous allez vous marier ?
   — Je ne sais pas, avec mon prénom et le nom de Théo, je deviendrais : Clitorine Téton, je foncerais vers la censure.

               Liza
On ne me donne jamais rien, même pas mon âge !
 
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