Poésies (mont)parnassiennes

En vers ou en prose !
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Montparnasse
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Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Montparnasse »

J'ai déjà posté Aube et Fleurs, mes préférés parmi Les Illuminations, je poursuis ma relecture avec ce que j'aime et ce que je comprends le mieux. Le poète a écrit ce recueil entre 19 et 21 ans.


APRÈS LE DÉLUGE

Aussitôt que l’idée du Déluge se fut rassise, Un lièvre s’arrêta dans les sainfoins et les clochettes
 mouvantes, et dit sa prière à l’arc-en-ciel, à travers la
 toile de l’araignée.
Oh ! les pierres précieuses qui se cachaient, — les 
fleurs qui regardaient déjà.
Dans la grande rue sale, les étals se dressèrent, et
 l’on tira les barques vers la mer étagée là-haut comme 
sur les gravures.
Le sang coula, chez Barbe-Bleue, aux abattoirs, dans 
les cirques, où le sceau de Dieu blêmit les fenêtres. Le 
sang et le lait coulèrent.
Les castors bâtirent. Les « mazagrans » fumèrent dans 
les estaminets.
Dans la grande maison de vitres encore ruisselante, les enfants en deuil regardèrent les merveilleuses images.
Une porte claqua, et, sur la place du hameau, l’enfant tourna ses bras, compris des girouettes et des coqs des clochers de partout, sous l’éclatante giboulée.
Madame *** établit un piano dans les Alpes. La messe et les premières communions se célébrèrent aux cent mille autels de la cathédrale.
Les caravanes partirent. Et le Splendide-Hôtel fut bâti dans le chaos de glaces et de nuit du pôle.
Depuis lors, la Lune entendit les chacals piaulant par les déserts de thym, — et les églogues en sabots grognant dans le verger. Puis, dans la futaie violette, bourgeonnante, Eucharis me dit que c’était le printemps.
Sourds, étang, — écume, roule sur le pont, et passe par-dessus les bois ; — draps noirs et orgues, éclairs et tonnerre, montez et roulez ; — eaux et tristesses, montez et relevez les déluges.
Car depuis qu’ils se sont dissipés, — oh, les pierres précieuses s’enfouissant, et les fleurs ouvertes ! — c’est un ennui ! et la Reine, la Sorcière qui allume sa braise dans le pot de terre, ne voudra jamais nous raconter ce qu’elle sait, et que nous ignorons !

(A. Rimbaud, Les Illuminations, 1873-1875)


Notes

Sainfoin : Plante herbacée (Papilionacées) aux fleurs roses ou blanches et aux gousses duveteuses, cultivée comme fourrage.
Mazagran : Profonde tasse conique sans anse mais dotée d’un pied, souvent en terre cuite, en grès ou en porcelaine.
Piauler : Produire un bruit désagréable semblable à des cris d'enfants et des gémissements.
Eglogue : Petit poème pastoral ou champêtre.
Futaie : Groupe d'arbres de haut fût dans une forêt. Forêt d'arbres très élevés.
Eucharis : Personnage du « Télémaque » de Fénelon (1699). Nymphe dont Télémaque s'éprend dans l'île de la déesse Calypso.
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
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Liza
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Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Liza »

Ce poème est assez étonnant, il décrit la honte sans poésie avec des mots que je trouve déplacés dans une poésie.
Malgré cela, je l’apprécie.
Je ne le connaissais pas.
Néel m’a laissée manquer ce paradoxe, bizarre !
On ne me donne jamais rien, même pas mon âge !
 
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Montparnasse
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Message par Montparnasse »

MYSTIQUE

Sur la pente du talus, les anges tournent leurs robes de laine, dans les herbages d’acier et d’émeraude.

Des prés de flammes bondissent jusqu’au sommet du mamelon. À gauche, le terreau de l’arête est piétiné par tous les homicides et toutes les batailles, et tous les bruits désastreux filent leur courbe. Derrière l’arête de droite, la ligne des orients, des progrès.

Et, tandis que la bande, en haut du tableau, est formée de la rumeur tournante et bondissante des conques des mers et des nuits humaines,

La douceur fleurie des étoiles, et du ciel, et du reste descend en face du talus, comme un panier, contre notre face, et fait l’abîme fleurant et bleu là-dessous.

(A. Rimbaud, Illuminations, 1873-1875)


Ne me demandez pas de vous l'expliquer (j'en serais bien incapable), il faut juste sentir. Mais c'est déjà beaucoup.
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Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Montparnasse »

BEING BEAUTEOUS

Devant une neige, un Être de beauté de haute taille. Des sifflements de mort et des cercles de musique sourde font monter, s’élargir et trembler comme un spectre ce corps adoré ; des blessures écarlates et noires éclatent dans les chairs superbes. Les couleurs propres de la vie se foncent, dansent, et se dégagent autour de la vision, sur le chantier. Et les frissons s’élèvent et grondent, et la saveur forcenée de ces effets se chargeant avec les sifflements mortels et les rauques musiques que le monde, loin derrière nous, lance sur notre mère de beauté, — elle recule, elle se dresse. Oh ! nos os sont revêtus d’un nouveau corps amoureux.

Ô la face cendrée, l’écusson de crin, les bras de cristal ! le canon sur lequel je dois m’abattre à travers la mêlée des arbres et de l’air léger !

(A. Rimbaud, Illuminations, 1873-1875)


Même remarque que précédemment, jusqu'à la fin. C'est de la lâcheté ? Oui ! Mais je suis en vacances. ;)
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Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Montparnasse »

Je donne ici le second poème intitulé « Villes » dans l'ordre de l'édition de 1886 établie par Félix Fénéon.


VILLES

L’acropole officielle outre les conceptions de la barbarie moderne les plus colossales ; impossible d’exprimer le jour mat produit par le ciel, immuablement gris, l’éclat impérial des bâtisses, et la neige éternelle du sol. On a reproduit dans un goût d’énormité singulier, toutes les merveilles classiques de l’architecture, et j’assiste à des expositions de peinture dans des locaux vingt fois plus vastes qu’Hampton-Court. Quelle peinture ! Un Nabuchodonosor norwégien a fait construire les escaliers des ministères ; les subalternes que j’ai pu voir sont déjà plus fiers que des Brennus, et j’ai tremblé à l’aspect des gardiens de colosses et officiers de constructions. Par le groupement des bâtiments en squares, cours et terrasses fermées, on évince les cochers. Les parcs représentent la nature primitive travaillée par un art superbe, le haut quartier a des parties inexplicables : un bras de mer, sans bateaux, roule sa nappe de grésil bleu entre des quais chargés de candélabres géants. Un pont court conduit à une poterne immédiatement sous le dôme de la Sainte-Chapelle. Ce dôme est une armature d’acier artistique de quinze mille pieds de diamètre environ.

Sur quelques points des passerelles de cuivre, des plates-formes, des escaliers qui contournent les halles et les piliers, j’ai cru pouvoir juger la profondeur de la ville ! C’est le prodige dont je n’ai pu me rendre compte : quels sont les niveaux des autres quartiers sur ou sous l’acropole ? Pour l’étranger de notre temps la reconnaissance est impossible. Le quartier commerçant est un circus d’un seul style, avec galeries à arcades. On ne voit pas de boutiques, mais la neige de la chaussée est écrasée ; quelques nababs, aussi rares que les promeneurs d’un matin de dimanche à Londres, se dirigent vers une diligence de diamants. Quelques divans de velours rouge : on sert des boissons polaires dont le prix varie de huit cents à huit mille roupies. À l’idée de chercher des théâtres sur ce circus, je me réponds que les boutiques doivent contenir des drames assez sombres. Je pense qu’il y a une police ; mais la loi doit être tellement étrange, que je renonce à me faire une idée des aventuriers d’ici.

Le faubourg, aussi élégant qu’une belle rue de Paris, est favorisé d’un air de lumière, l’élément démocratique compte quelque cents âmes. Là encore, les maisons ne se suivent pas ; le faubourg se perd bizarrement dans la campagne, le « Comté » qui remplit l’occident éternel des forêts et des plantations prodigieuses où les gentilshommes sauvages chassent leurs chroniques sous la lumière qu’on a créée.

(A. Rimbaud, Illuminations, 1873-1875)


Notes

Hampton-Court : Le château de Hampton Court est un château situé dans le district de Richmond upon Thames, sur la rive gauche de la Tamise, au sud-ouest du Grand Londres et proche de la frontière avec le comté de Surrey en Angleterre, qui fut la résidence favorite du roi Henri VIII.

Brennus : Brennos (latinisé en Brennus) est un chef gaulois sénon (gaulois de la région de Sens) du IVème siècle avant J.-C.
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Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Montparnasse »

BOTTOM

La réalité étant trop épineuse pour mon grand caractère, — je me trouvai néanmoins chez ma dame, en gros oiseau gris bleu s’essorant vers les moulures du plafond et traînant l’aile dans les ombres de la soirée.

Je fus au pied du baldaquin supportant ses bijoux adorés et ses chefs-d’œuvre physiques, un gros ours aux gencives violettes et au poil chenu de chagrin, les yeux aux cristaux et aux argents des consoles.

Tout se fit ombre et aquarium ardent. Au matin, — aube de juin batailleuse, — je courus aux champs, âne, claironnant et brandissant mon grief, jusqu’à ce que les Sabines de la banlieue vinrent se jeter à mon poitrail.

(A. Rimbaud, Illuminations, 1873-1875)
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Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Montparnasse »

MATINÉE D’IVRESSE

Ô mon Bien ! Ô mon Beau ! Fanfare atroce où je ne trébuche point ! Chevalet féerique ! Hourra pour l’œuvre inouïe et pour le corps merveilleux, pour la première fois ! Cela commença sous les rires des enfants, cela finira par eux. Ce poison va rester dans toutes nos veines même quand, la fanfare tournant, nous serons rendu à l’ancienne inharmonie. Ô maintenant, nous si digne de ces tortures ! rassemblons fervemment cette promesse surhumaine faite à notre corps et à notre âme créés : cette promesse, cette démence ! L’élégance, la science, la violence ! On nous a promis d’enterrer dans l’ombre l’arbre du bien et du mal, de déporter les honnêtetés tyranniques, afin que nous amenions notre très pur amour. Cela commença par quelques dégoûts et cela finit, — ne pouvant nous saisir sur-le-champ de cette éternité, — cela finit par une débandade de parfums.

Rire des enfants, discrétion des esclaves, austérité des vierges, horreur des figures et des objets d’ici, sacrés soyez-vous par le souvenir de cette veille. Cela commençait par toute la rustrerie, voici que cela finit par des anges de flamme et de glace.

Petite veille d’ivresse, sainte ! quand ce ne serait que pour le masque dont tu nous as gratifié. Nous t’affirmons, méthode ! Nous n’oublions pas que tu as glorifié hier chacun de nos âges. Nous avons foi au poison. Nous savons donner notre vie tout entière tous les jours.

Voici le temps des Assassins.

(A. Rimbaud, Illuminations, 1873-1875)
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Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Montparnasse »

PHRASES

Quand le monde sera réduit en un seul bois noir pour nos quatre yeux étonnés, — en une plage pour deux enfants fidèles, — en une maison musicale pour notre claire sympathie, — je vous trouverai.

Qu’il n’y ait ici-bas qu’un vieillard seul, calme et beau, entouré d’un luxe inouï, — et je suis à vos genoux.

Que j’aie réalisé tous vos souvenirs, — que je sois celle qui sait vous garrotter, — je vous étoufferai.


Quand nous sommes très forts, — qui recule ? très gais, — qui tombe de ridicule ? Quand nous sommes très méchants, — que ferait-on de nous ?

Parez-vous, dansez, riez. Je ne pourrai jamais envoyer l’Amour par la fenêtre.

Ma camarade, mendiante, enfant monstre ! comme ça t’est égal, ces malheureuses et ces manœuvres, et mes embarras. Attache-toi à nous avec ta voix impossible, ta voix ! unique flatteur de ce vil désespoir.


Une matinée couverte, en Juillet. Un goût de cendres vole dans l’air ; — une odeur de bois suant dans l’âtre, — les fleurs rouies, — le saccage des promenades, — la bruine des canaux par les champs, — pourquoi pas déjà les joujoux et l’encens ?


J’ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse.


Le haut étang fume continuellement. Quelle sorcière va se dresser sur le couchant blanc ? Quelles violettes frondaisons vont descendre ?


Pendant que les fonds publics s’écoulent en fêtes de fraternité, il sonne une cloche de feu rose dans les nuages.

Avivant un agréable goût d’encre de Chine, une poudre noire pleut doucement sur ma veillée. — Je baisse les feux du lustre, je me jette sur le lit, et, tourné du côté de l’ombre, je vous vois, mes filles ! mes reines !

(A. Rimbaud, Illuminations, 1873-1875)


Notes

Rouir : Se dit en parlant de plante (comme le lin, le chanvre ou le manioc) que l’on fait tremper dans l’eau, afin que les fibres textiles puissent aisément se séparer de la partie ligneuse.
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Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Liza »

Il y a des définitions moins « dirigées »

Rouir : verbe
Utilisation transitive. Séparer les fibres utilisables des plantes textiles en dissolvant la masse gommo-résineuse les liants entre elles. La plus courante reste la macération dans l'eau, il existe d’autres procédés.
Utilisation intransitive. Subir une opéra de rouissage, de trempage destinée à la séparation (peut être une image, séparation, divorce)).
Utilisation populaire de l’image : Être dans un mauvais bain. Se faire rouir : se lasser d’être maintenu dans une situation pénible, ou pas, demandant de la patience.
Avec les rimes que l’on peut tirer, rouir est dans le lizien !
On ne me donne jamais rien, même pas mon âge !
 
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Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Montparnasse »

…Alors que Vesper vient embrunir nos yeux,
Tout épris d’avenir, je contemple les cieux,
En qui Dieu nous escrit, par notes non obscures,
Les sorts et les destins de toutes créatures.
Car lui, du fond des cieux regardant un humain,
Parfois mu de pitié, lui montre le chemin ;
Par les astres du ciel qui sont ses caractères,
Les choses nous prédit et bonnes et contraires ;
Mais les hommes chargés de terre et de trépas,
Méprisent tel écrit, et ne le lisent pas.

(Ronsard)
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