Un navire dans les îles

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Aureplume
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Un navire dans les îles

Message par Aureplume »

Qu'importe l'immensité de l'univers, la diversité de ses galaxies, étoiles ou comètes ; l'utilité éloquente de son vide absent partout. Le tout porte aujourd'hui le nom d'Armorique et d'un voyage marin entre ses îles et le continent.
Le soleil, suivant sa lente vie si monotone et prévisible qu'à l'échelle de l'Histoire de l'humanité sa composition chimique n'a pas varié d'une virgule, semble aujourd'hui sursauter. Réveillé par l'été, il assène un presque 40°C aux fourmis touristiques cachées dans la vedette de l'Odet.

Sur le bateau, un sourire se dessina entre les traits d'un visage jeune sous une barbe naissante. Un visage jeune et rouge d'avoir subi les humeurs solaires. Au-dessus des joues colorées et en dessous d'un front tourmenté par des boucles châtaines se lovaient deux yeux clairs, gris-bleu ; deux yeux dont la rivière enfantine plongeait déjà dans l'océan adulte et absurde.

Ce sourire franc et pas caché, sûr, amusé, était né suite à la scène à laquelle le jeune homme assistait.
La grande salle centrale du ferry était semblable à une nef et l'allée qui coupait l'armée de bancs se prolongeait jusqu'à un autel curieux, lieu de rangements des poussettes et autres objets volumineux. Les vitres sur les côtés de la pièce n'étaient pas le fruit du travail minutieux d'un artisan, elles ne représentaient aucune scène sainte. Elles étaient transparentes et projetaient la beauté de dame nature : une mer claire, un ciel azur et l'archipel des Glénan ; un bout de Lagon exotique implanté dans le Finistère.
Sur les premiers bancs à la gauche de la salle, il se tenait là et observait ses compagnons de voyage. Ce qui retenait son attention était niché sur la rangée d'en face. Une famille.
Celle-ci, impie, n'avait pas fait don de son berceau mobile et un petit diable se démenait à troubler la messe touristique. Au-dessus du bébé, la copie plus âgée et plus fille se tenait assise tranquillement. Les deux partageaient la même bouille d'ange, une tignasse blonde et des yeux bleus, insondables puits à innocence, bleus à en faire rougir les nones. Ce qui amusait l'observateur, c'était le manège que menaient le bambin et sa sœur. Il hurlait dans sa poussette. Sa sœur mettait sa tête au-dessus de la sienne et lui glissait des murmures, petite fée de trois ans voulant imiter sa maman. Le bébé, lui, était maître de la situation. Rieur et joueur dans les bras de son papa, il pleurait dès qu'on le remettait dans sa voiture miniature, astucieux caprice. La maman se lassa de cette situation et avait d'abord demandé à sa fille d'arrêter d'aller exciter son petit frère avant d'envoyer au final et son mari et son diable de fils aller faire un tour sur le ponton.

Le prétexte qui permettait à l'homme d'une vingtaine d'années d'observer discrètement une jeune femme, une rangée derrière lui, s'était volatilisé. Cette situation l'amusait également.
Plus tôt, quand ils s'étaient installés dans le navire, il l'avait vue se placer là, derrière lui. Elle avait les cheveux coupés à la garçonne, une couleur tirant vers le roux et le brun, et malgré son évidente jeunesse elle affichait une insolente féminité que ses traits d'aventurière peinaient à cacher. Elle ne devait guère avoir plus de dix-sept ans et son visage était resté perdu dans l'enfance avec des joues pleines, des yeux trop grands couleur noisette, un menton rond et une peau qu'aucune imperfection ne venait chagriner. Elle était à peine maquillée et au milieu d'un monde où l'image de la femme est dictée, sa singularité rayonnait : elle était belle. Au moment de s'asseoir, les deux yeux noisette s'étaient posé sur le jeune homme et, se retournant vers la fille, il avait pu voler son regard. Elle l'avait détourné rapidement et il avait alors compris : il n'était pas le seul à détailler les passagers, il était observé. C'est ce qui lui avait décoché un sourire sans retenue.

Durant le voyage, il la voyait lire du coin du l'œil. Elle ne pouvait pas s'empêcher de changer de position, de poser son livre toutes les cinq minutes et de tourner sa tête vers lui. Par moments, alors qu'il regardait la famille d'en face et les deux petits monstres, toute sa concentration était fixée sur l'extrémité droite du champ de sa vision, vers celle qui l'espionnait. Le voyage fila entre ces deux centres d'attention. Il s'amusa à lui voler deux autres regards avant que le bateau ne vienne jeter ses amarres sur le petit port de Fouesnant.

Il se leva. Il suivait la file et son pèlerinage pour mettre pied sur la terre ferme. Il nota que la belle espionne avait attendu qu'il passe devant elle pour se mettre debout. Elle vint se glisser dans la queue, juste derrière lui.
Ce n'était plus elle qui l'intéressait à présent.

Devant lui, deux yeux clairs le fixaient et ceux-là ne se dérobaient pas. Deux yeux gris-bleus en dessous d'un front taquiné par des boucles blondes, un regard qui appartenait à son homologue, de vingt ans sa cadette. C'était une petite fille, il le réalisa en apercevant la robe jaune miniature qui descendait sur ses mollets. Elle aussi devait trouver matière à se réjouir dans la scène qu'elle avait devant elle car elle affichait une mine rieuse. Par-dessus l'épaule de sa mère qui la portait, elle avait le loisir de le fixer. Il lui fit des grimaces et elle se mit à rire plus fort. Il levait les yeux au ciel, tirait la langue et se joignait à l'hilarité infantile pour le plus grand bonheur de la fillette. La mère lança un regard complice à la scène.

Son pied toucha la jetée. Il s'éloigna de la mer et des autres touristes. Du voyage, il lui restait un sourire et deux iris retombés en enfance.
"Peindre en pleine forêt, c'est le rêve de n'importe quel fumeur de pétards !" T.
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