AGOTA KRISTOF

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Dona
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AGOTA KRISTOF

Message par Dona »

J'ai écrit cet article il y a un petit moment déjà... mais j'avais envie de le reposter ici.



Agota Krisof et la trilogie des frères jumeaux, constituée de : "Le Grand cahier", "La Preuve", "Le Troisième mensonge".

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Topographie très imprécise dans Agota Kristof, mais l'atmosphère ambiante ne laisse aucun doute : on retrouve l'atmosphère des dictatures communistes de l'Europe de l'est d'après-guerre. Les lieux, non nommés, sont encore plus suggestifs dans La Preuve où l'on mentionne deux états séparés.

Le Grand cahier c'est l'histoire de deux jumeaux, Claus et Lucas, dont les anagrammes respectifs évoquent déjà l'inéluctable lien identitaire qui les unira toujours malgré la séparation de plusieurs années.

La Preuve, suite du Grand cahier, narre la vie de Lucas, resté seul dans une petite ville alors que son frère, Claus, a trouvé moyen de franchir la frontière, enfant, par le biais d'un meurtre dont je garde le mystère pour ne pas dérober votre plaisir de lecture.

Ce n'est pas tant l'histoire qui attire l'attention, mais la manière dont elle est racontée d'une part, et la manière dont elle s'accomplit d'autre part.

Au menu, un style très elliptique et une plume très noire.

Dans La Preuve, le récit est fait d'une voix neutre, détachée, externe, une sorte d'oeil-témoin qui consigne les évènements. Dans Le Grand Cahier, les voix narratives sont celles des deux garçons, confiés par leur mère, le temps des bombardements en ville, à leur grand-mère, la Sorcière.

Aucun degré ne hiérarchise les évènements entre eux et c'est au travers de cette platitude, monotonie, vision externe que se déroulent les scènes les plus cruelles, les plus sombres et même les plus cyniques : scène pédophile avec un officier qu'on loge dans la maison, obscénités de la grand-mère mise au ban de la communauté villageoise, meurtres évasifs de citoyens, d'une banalité extrêmement déroutante... jusqu'au meurtre final, paroxysme de la déshumanisation des deux garçons, engendrée par la guerre, puis l'occupation, puis la dictacture, pastiche de toutes les autres, d'où l'inutilité de préciser topographiquement les lieux de l'intrigue.

La frontière, géographique, est aussi à prendre dans toute son ampleur métaphorique comme le symbole d'une rupture entre la dureté, l'âpreté, la cruauté du monde de Claus et Lucas et l'autre côté du monde, allégorie d'une certaine liberté.

Dans La Preuve, Claus a disparu depuis longtemps déjà. Seul demeure Lucas.
Bien que l'écriture soit tout autant économe, rude, violente par le non-dit que dans le premier ouvrage, le personnage y apparaît de manière plus sensible, à la recherche du sens filial qu'il tente d'accomplir autour de Mathias, l'enfant qu'il a adopté.

Le dénouement apporte son lot d'amertume : la déconstruction identitaire des deux protagonistes remet en balance le sens qu'on doit donner à sa vie quand on ne peut l'appréhender totalement en toute liberté d'expression et d'identité.

Agota Kristof, c'est vraiment un univers angoissant, angoissé, malade de la peste totalitaire et dans lequel chaque individu porte en lui la
gangrène d'un monde militarisé, passant de la guerre à l'occupation, survivant de nouveau aux spasmes révolutionnaires qui ne révolutionnent en fait rien..

Le dernier volet: "Le Troisième mensonge" ne laisse pas voir une fin heureuse... A vous de le découvrir...

En sus, un article au sujet de l'ouvrage totalement autobiographique cette fois d'Agota Kristof, "L'Analphabète" en relation avec l'exil forcé (originaire de Hongrie) et le déracinement national et linguistique que laisse entendre ce genre de départs..

http://www.lire.fr/portrait.asp/idC=47559/idR=201/idG=8
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