La logeuse

[EricSimon]

Je n'arrive plus à savoir si c'est en cours d'allemand au lycée, ou bien à l'occasion d'une de mes propres découvertes au hasard des mes lectures d'adolescent, j'ai eu sous les yeux un petit texte d'un écrivain des régions de l'Est. Russe ? Polonais ? Germanique ? Je ne me souviens plus. Ni même du titre de cet extrait. Je garde juste en moi un vague souvenir il y a très longtemps d'avoir été arrêté par un texte apparemment innocent et assez banal. Mais qui après plusieurs relectures devient de plus en plus étrange et incongru, magnétisant et grimaçant. Un récit qui s'immisce peu à peu dans la conscience, pour s'agripper en nous à autre chose de plus difficilement définissable, et finit par s'installer à tout jamais dans l'idée de faire son nid quelque part dans les méandres de notre mémoire, hors d'atteinte. Avec la menace possible de donner naissance à des petits qui un jour sortiront de leur trou sans me demander mon avis...


Il va à la recherche d'une chambre. Il lui semble que toute sa vie n'a été que la recherche d'une chambre. Il suit le chemin qu'on lui a indiqué en quête du lieu où habite sa logeuse ; c'est elle qui le mettra à l'abri des intempéries de cette météo capricieuse qui caractérise si fortement
l'entrée dans ce nouveau monde.

La population d'avant est maintenant presque complètement disparue, et les paysages ne sont plus tout à fait les mêmes. L'air semble avoir un goût inconnu jusqu'alors lorsqu'il pénètre dans les poumons. Respirer sans permis peut coûter cher si la police vous attrape dans ces conditions. Même chose pour l'eau : le liquide indispensable se monnaie des sommes astronomiques. De sorte que petit à petit des échoppes secrètes sont nées pour vous proposer de fausses autorisations à prix d'or. Ou bien en échange de contreparties inimaginables de la part d'individus initiés peu recommandables.

Il semblerait, à ce qu'on lui a dit, que sa logeuse fasse partie de ces gens. Faire partie n'est qu'une façon commode de les décrire, mais pas de les situer : peu d'entre eux ont envie de connaître leur confrère ou consoeur de contrebande. Il y a plutôt en sous-jacence une inclination à dénoncer auprès des autorités celui qui propose de l'air ou de l'eau. Ou à faire courir des bruits : en faisant croire (mais c'est peut-être vrai dans certains cas) que l'eau ou l'air ne sont en réalité que des substances imaginaires, qui n'existent en fait que dans l'esprit de celui qui a soif, pour mieux leur proposer d'autres solutions, fallacieuses et tout aussi fictives. Les superstitions suintent par tous les pores de cette cité où le voyageur se perd à la recherche de ce qui n'existe probablement pas.

La logeuse habite derrière une série de pans de murs plus ou moins délabrés, usés par les vents et les pluies chimiques, après un entrelacs de cours vides au sol d'eau stagnante et noire. Il a beaucoup marché depuis ce matin, après s'être levé très tôt pour quitter son hôtel sans se faire voir : il n'avait plus beaucoup d'argent, plus assez pour payer les derniers jours de la chambre qu'il occupait. En arrivant sa logeuse lui présente les lieux et l'appareil à respirer. Quand on a besoin d'air on met des pièces. De la monnaie qui a remplacé les anciens paiements dématérialisés, qui ont maintenant presque complètement disparu, faute de serveurs informatiques capables de faire face à la situation. Les serveurs classiques sont vite devenus insuffisants et débordés, et même les installations souterraines ont été bombardées. Les nouveaux réseaux quantiques, eux, se révèlent en fait trop sensibles aux perturbations electro-magnétiques qui altèrent de plus en plus souvent la bonne marche des nouveaux ordinateurs.

Quelques heures à peine après son arrivée chez sa logeuse, il avale une soupe qu'elle lui sert gratuitement, et la soupe avalée, lui parle des moyens qui sont à sa disposition pour le convaincre d'abandonner ses fichus exercices de respiration artificielle. Tout en parlant elle se rapproche de lui, arrive à son contact. Il commence à sentir son haleine froide mêlée d'ammoniac et de fumée de tabac. Elle l'embrasse. Pendant qu'il se fait des idées sur la suite des événements et un éventuel bonheur de vie à deux, elle serre de plus en plus fort de costaudes mains baguées autour de son cou et le fait étouffer petit à petit. En cherchant son air il entend les mots de la logeuse :

- Tu vois, que ta respiration est comme un poisson hors de l'eau. Les poissons ne respirent pas l'air. Tu te fais des idées sur tes vraies capacités. Le monde a changé, et ceux qui le peuplent aussi. Sache que si un tel incident t'arrivait à nouveau en mon absence, il faudrait que tu aies quelques pièces pour te sauver de ce mauvais pas, sinon...

[Liza]

Effectivement étrange, on se croit dans un autre monde.

Bizarre, une taxe sur l'air.

Tu devrais éviter de donner des idées au Trésor public qui a la manie de taxer tout et n'importe quoi.

[Liza]

On imagine l’écriture d’une histoire facile pour moi. Cela l’est le plus souvent. Manier les mots ne me pose pas de soucis, toutefois ce n’est pas toujours suffisant, parfois je dois me documenter sur des choses que tous les voyants connaissent de visu.

Les écrits publiés par les Spleeniens m’apportent de précieux renseignements sur la vie courante. Pour cette raison, je préfère les histoires contemporaines qui me décrivent le monde réel. J’apprécie aussi les histoires bien tournées dans tous les autres thèmes.

[Montparnasse]

Beaucoup de pistes sous ta plume qui pourraient déboucher sur des nouvelles ou des romans

[Dona]

Vraiment pas mal ! Science-fiction ? Inspiration kafkaïenne ? Entre l'absurde et le cauchemar... en tout cas, ça donne faim !