Marquise du Deffand (1697-1780)

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Montparnasse
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Marquise du Deffand (1697-1780)

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Lettre du 1er avril 1769, à Horace Walpole

(...)

Adieu, j'ai mal à la tête, des douleurs dans les entrailles, je me sens très échauffée, cela ne me fait rien ; il me semble que je suis toute prête à faire mon paquet et à partir. Cette disposition me vient peut-être de ce que j'en suis encore bien loin ; tout comme on voudra... Dites-moi pourquoi, détestant la vie, je redoute la mort. Rien ne m'indique que tout ne finira pas avec moi ; au contraire je m'aperçois du délabrement de mon esprit ainsi que de celui de mon corps. Tout ce qu'on dit pour ou contre ne me fait nulle impression. Je n'écoute que moi et je ne trouve que doute et obscurité. Croyez, dit-on, c'est le plus sûr, mais comment croit-on ce que l'on ne comprend pas ? Ce que l'on ne comprend pas peut exister sans doute ; aussi je ne le nie pas ; je suis comme un sourd et un aveugle-né ; il y a de sons, des couleurs, il en convient, mais sait-il de quoi il convient ? S'il suffit de ne point nier, à la bonne heure, mais cela ne suffit pas. Comment peut-on se décider entre un commencement et une éternité, entre le plein et le vide ? Aucun de mes sens ne peut me l'apprendre ; que peut-on apprendre sans eux ? Cependant, si je ne crois pas ce qu'il faut croire, je suis menacée d'être mille et mille fois plus malheureuse après ma mort que je ne le suis pendant ma vie. A quoi se déterminer, et est-il possible de se déterminer ? Je vous le demande à vous qui avez un caractère si vrai que vous devez par sympathie trouver la vérité, si elle est trouvable. C'est des nouvelles de l'autre monde qu'il faut m'apprendre, et me dire si nous sommes destinés à y jouer un rôle.
Je fais mon affaire de vous entretenir de ce monde-ci. D'abord je vous dis qu'il est détestable, abominable, etc. Il y a quelques gens vertueux, du moins qui peuvent le paraître, tant qu'on n'attaque point leur passion dominante qui est pour l'ordinaire, dans ces gens-là, l'amour de la gloire et de la réputation. Enivrés d'éloges, souvent ils paraissent modestes ; mais le soin qu'ils prennent pour les obtenir en décèle le motif, et laisse entrevoir la vanité et l'orgueil. Voilà le portrait des gens de bien. Dans les autres sont l'intérêt, l'envie, la jalousie, la cruauté, la méchanceté, la perfidie. Il n'y a pas une seule personne à qui on puisse confier ses peines, sans lui donner une maligne joie et sans s'avilir à ses yeux. Raconte-t-on ses plaisirs et ses succès ? on fait naître la haine. Faîtes-vous du bien ? la reconnaissance pèse, et l'on trouve des raisons pour s'en affranchir. Faites-vous quelques fautes ? jamais elles ne s'effacent ; rien ne peut les réparer. Voyez-vous des gens d'esprit ? ils ne seront occupés que d'eux-mêmes ; ils voudront vous éblouir, et ne se donneront pas la peine de vous éclairer. Avez-vous affaire à de petits esprits ? ils sont embarrassés de leur rôle : ils vous sauront mauvais gré de leur stérilité et de leur peu d'intelligence. Trouve-t-on, au défaut de l'esprit, des sentiments ? Aucuns, ni de sincères, ni de constants. L'amitié est une chimère ; on ne reconnaît que l'amour ; et quel amour ! Mais en voilà assez, je ne veux pas porter plus loin mes réflexions ; elles sont le produit de l'insomnie ; j'avoue qu'un rêve vaudrait mieux.
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
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