Théophile Gautier (1811-1872)

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Montparnasse
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Théophile Gautier (1811-1872)

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Les larmes de Gretchen coulaient silencieusement le long de ses joues, sans contraction, sans efforts, comme des perles qui débordaient du calice trop plein de ses yeux, délicieuses fleurs d’azur d’une limpidité céleste : la douleur ne pouvait troubler l’harmonie de son visage, et ses larmes étaient plus gracieuses que le sourire des autres.

Gretchen essuya ses pleurs avec le dos de sa main, et, s’appuyant sur le bras d’un fauteuil, elle dit d’une voix amollie et trempée d’émotion :

« Oh ! Tiburce, que vous m’avez fait souffrir ! — Une jalousie d’une espèce nouvelle me torturait le cœur ; quoique je n’eusse pas de rivale, j’étais cependant trahie : vous aimiez une femme peinte, elle avait vos pensées, vos rêves, elle seule vous paraissait belle, vous ne voyiez qu’elle au monde ; abîmée dans cette folle contemplation, vous ne vous aperceviez seulement pas que j’avais pleuré. – Moi qui avais cru un instant être aimée de vous, tandis que je n’étais qu’une doublure, une contre-épreuve de votre passion ! Je sais bien qu’à vos yeux je ne suis qu’une petite fille ignorante qui parle français avec un accent allemand qui vous fait rire ; ma figure vous plaît comme souvenir de votre maîtresse idéale : vous voyez en moi un joli mannequin que vous drapez à votre fantaisie ; mais, je vous le dis, le mannequin souffre et vous aime… »

Tiburce essaya de l’attirer sur son cœur, mais elle se dégagea et continua :

« Vous m’avez tenu de ravissants propos d’amour, vous m’avez appris que j’étais belle et charmante à voir, vous avez loué mes mains et prétendu qu’une fée n’en avait pas de plus mignonnes, vous avez dit de mes cheveux qu’ils valaient mieux que le manteau d’or d’une princesse, et de mes yeux que les anges descendaient du ciel pour s’y mirer, et qu’ils y restaient si longtemps qu’ils s’attardaient et se faisaient gronder par le bon Dieu ; et tout cela avec une voix douce et pénétrante, un accent de vérité à tromper de plus expérimentées : — Hélas ! ma ressemblance avec la Madeleine du tableau vous allumait l’imagination et vous prêtait cette éloquence factice ; elle vous répondait par ma bouche ; je lui prêtais la vie qui lui manque, et je servais à compléter votre illusion. Si je vous ai donné quelques moments de bonheur, je vous pardonne le rôle que vous m’avez fait jouer. — Après tout, ce n’est pas votre faute si vous ne savez pas aimer, si l’impossible seul vous attire, si vous n’avez envie que de ce que vous ne pouvez atteindre. Vous avez l’ambition de l’amour, vous vous trompez sur vous-même, vous n’aimerez jamais. Il vous faut la perfection, l’idéal et la poésie : — tout ce qui n’existe pas. — Au lieu d’aimer dans une femme l’amour qu’elle a pour vous, de lui savoir gré de son dévouement et du don de son âme, vous cherchez si elle ressemble à cette Vénus de plâtre qui est dans votre cabinet. Malheur à elle, si la ligne de son front n’a pas la coupe désirée ! Vous vous inquiétez du grain de sa peau, du ton de ses cheveux, de la finesse de ses poignets et de ses chevilles, de son cœur jamais. — Vous n’êtes pas amoureux, mon pauvre Tiburce, vous n’êtes qu’un peintre. — Ce que vous avez pris pour de la passion n’était que de l’admiration pour la forme et la beauté ; vous étiez épris du talent de Rubens, et non de Madeleine ; votre vocation de peintre s’agitait confusément en vous et produisait ces élans désordonnés dont vous n’étiez pas le maître. De là viennent toutes les dépravations de votre fantaisie. — J’ai compris cela, parce que je vous aimais. — L’amour est le génie des femmes, — leur esprit ne s’absorbe pas dans une égoïste contemplation ! depuis que je suis ici j’ai feuilleté vos livres, j’ai relu vos poètes, je suis devenue presque savante. — Le voile m’est tombé des yeux. J’ai deviné bien des choses que je n’aurais jamais soupçonnées. Ainsi j’ai pu lire clairement dans votre cœur.

(La Toison d'or, 1839)
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
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