Anatole France (1844-1924)

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Re: Anatole France (1844-1924)

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CHAPITRE III

Comment la licorne vint en la maison de Thierry, autrement nommé Porphyrodime, et conduisit aupres de monsieur saint Bertauld les deux soeurs Oliverie et Liberette, et de diverses merveilles qui s’ensuivirent.

Or, un jour que, seule dans la cuisine, Oliverie filait la laine sous le manteau de la cheminée, elle vit venir à elle une bête toute blanche, qui avait le corps d’une chèvre et la tête d’un cheval et qui portait sur le front une épée étincelante. Oliverie reconnut aussitôt quel animal c’était, et, comme elle avait gardé son innocence, elle n’en fut pas effrayée, sachant que la licorne ne fait jamais de mal aux sages demoiselles. En effet, la licorne posa doucement sa tête sur les genoux d’Oliverie. Puis, retournant vers la porte, elle invita de l’œil la jeune fille à la suivre dehors.
Oliverie appela aussitôt sa sœur : mais, quand Liberette entra dans la chambre, la licorne avait disparu, et ainsi Liberette, selon son désir, connut le vrai Dieu sans y avoir été contrainte par un signe.

Elles allèrent toutes deux du côté de la forêt, et la licorne redevenue visible, marchait devant elles. Elles suivaient, pour tout chemin, la piste des bêtes féroces. Et il advint que, parvenues déjà très avant dans le bois, elles virent la bête traverser un torrent à la nage. Et quand elles parvinrent au bord, elles s’aperçurent qu’il était large et profond. Elles se penchèrent pour voir s’il ne se trouvait pas quelques pierres sur lesquelles elles pussent passer, et elles n’en découvraient aucune. Mais, tandis qu’en s’appuyant sur un saule elles contemplaient les eaux écumeuses, l’arbre s’inclina soudainement et les porta sans peine sur l’autre bord.

Elles parvinrent ainsi à l’ermitage où saint Bertauld leur fit entendre les paroles de vie. A leur retour, le saule, en se redressant, les porta sur l’autre rive.

Chaque jour, elles se rendaient auprès du saint homme et, quand elles rentraient à la maison, elles trouvaient qu’une main invisible avait filé tout le lin de leur quenouille. C’est pourquoi, ayant reçu le baptême, elles crurent en Jésus-Christ.

Elles recevaient depuis plus d’une année les leçons de saint Bertauld, quand Thierry, leur père, qu’on nomme aussi Porphyrodime, fut atteint d’une cruelle maladie. Connaissant que la fin de leur père était proche, ses filles l’instruisirent dans la foi chrétienne. Il connut la vérité. C’est pourquoi sa mort fut pleine de mérites. Il fut enseveli proche sa demeure mortelle, en un lieu dit la Montagne-du-Géant, et sa sépulture fut vénérée, par la suite, dans le pays Porcin.

Cependant les deux sœurs se rendaient chaque jour auprès du saint ermite Bertauld, et elles recueillaient sur ses lèvres les paroles de vie. Mais, un certain jour, comme la fonte des neiges avait beaucoup grossi les rivières, Oliverie, en traversant les vignes, prit un échalas afin de franchir plus sûrement le torrent dont les eaux élargies roulaient avec fureur.
Liberette, dédaignant tout secours humain, refusa de l’imiter. Elle s’approcha du torrent la première, les mains armées seulement du signe de la croix. Et le saule s’inclina comme de coutume. Puis il se redressa, et quand Oliverie voulut passer à son tour il resta droit. Et le courant brisa l’échalas comme un fétu de paille et l’emporta. Et Oliverie demeura sur le bord. Comme elle était sage, elle comprit qu’elle était justement punie pour avoir douté de la puissance céleste et pour n’être pas allée à la grâce de Dieu, comme avait fait sa sœur Liberette. Elle ne songea plus qu’à mériter son pardon par les travaux de la pénitence et de l’ascétisme. Résolue à mener, à l’exemple de saint Bertauld, la vie érémitique, qui est belle et singulière, elle resta en-deçà du torrent, dans la forêt, et se bâtit une cabane de branchages en un lieu où jaillit une source, qu’on a nommée depuis "la Source de Sainte-Olive".
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
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Re: Anatole France (1844-1924)

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CHAPITRE IV

Comment Monsieur saint Bertauld et Mesdames sainte Liberette et sainte Oliverie en vinrent à leur fin bienheureuse.

Liberette, s’étant rendue seule auprès du bienheureux Bertauld, le trouva mort, dans l’attitude de la contemplation. Son corps, exténué par le jeûne, répandait une odeur délicieuse. Elle l’ensevelit de ses mains. A compter de ce jour, la vierge Liberette, renonçant au monde, mena la vie érémitique au-delà du torrent, dans une cabane, au bord d’une source qui a été dite depuis la fontaine Sainte-Liberette ou Libérie, et dont les eaux miraculeuses guérissent la fièvre, ainsi que diverses maladies des bestiaux. Les deux sœurs ne se revirent plus jamais en ce monde. Or, par l’intercession du bienheureux Bertauld, Dieu envoya du pays des Lombards dans les Ardennes le diacre Vulfaï ou Valfroy, qui renversa l’idole de Diane et convertit à la foi chrétienne les habitants du pays Porcin. C’est pourquoi Oliverie et Liberette furent comblées de joie.

À peu de temps de là, le Seigneur rappela à lui sa servante Liberette, et il envoya la licorne pour creuser une fosse et ensevelir le corps de la sainte. Oliverie connut, par révélation, la mort bienheureuse de sa sœur Liberette, et une voix lui dit :

— Parce que tu as demandé un signe afin de croire et pris un bâton pour appui, l’heure de ta mort bienheureuse sera retardée et le jour de ta glorification reculé.

Et Oliverette répondit à la voix :

— Que la volonté du Seigneur soit faite sur la terre comme aux cieux !

Elle vécut dix ans encore dans l’attente de la félicité éternelle, qui commença pour elle le 9 d’octobre de l’an de N.-S. 364.

__ FIN __
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Message par Liza »

C'est quelle date en clair ?
On ne me donne jamais rien, même pas mon âge !
 
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Message par Montparnasse »

364 après J.-C., non ? N.-S. : Notre Seigneur (pour les chrétiens).
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Re: Anatole France (1844-1924)

Message par Montparnasse »

Sainte Euphrosine


LES ACTES DE LA VIE DE SAINTE EUPHROSINE D’ALEXANDRIE, EN RELIGION FRÈRE SMARAGDE, TELS QU’ILS FURENT RÉDIGÉS DANS LA LAURE DU MONT ATHOS, PAR GEORGES, DIACRE.

Euphrosine était la fille unique d’un riche citoyen d’Alexandrie, nommé Romulus, qui prit soin de la faire instruire dans la musique, dans la danse et dans l’arithmétique, en telle manière qu’au sortir de l’enfance elle montrait un esprit subtil et curieusement orné. Elle n’avait pas encore accompli sa onzième année, quand les magistrats d’Alexandrie firent afficher dans les rues qu’une coupe d’or serait donnée en prix à quiconque trouverait une réponse exacte aux trois questions suivantes :

"Première question. Je suis l’enfant noir d’un père lumineux ; oiseau sans ailes, je m’élève jusqu’aux nuées. Je fais pleurer, sans motif de chagrin, les yeux que je rencontre. A peine né, je m’évanouis dans l’air, Ami, dis quel est mon nom ?

"Deuxième question. J’engendre ma mère et je suis par elle engendré, et tantôt je suis plus long et tantôt plus court. Ami, dis quel est mon nom ?

"Troisième question. Antipater possède ce que possède Nicomède et le tiers de la part de Thémistius. Nicomède a ce qu’a Thémistius et le tiers de ce qu’a Antipater. Thémistius a dix mines et le tiers de la part de Nicomède. Quelle somme appartient à chacun ? "

Or, au jour fixé pour le concours, plusieurs jeunes hommes se présentèrent devant les juges dans l’espoir de gagner la coupe d’or, mais aucun ne répondit exactement. Le président était près de lever la séance quand la jeune Euphrosine, s’approchant à son tour du tribunal, demanda à être entendue. Chacun admirait la modestie de son maintien et l’aimable pudeur qui colorait ses joues.

— Illustrissimes juges, dit-elle en baissant les yeux, après avoir rendu gloire à Notre-Seigneur Jésus-Christ, principe et fin de toute connaissance, j’essayerai de répondre aux questions que Vos Lumières ont posées, et je commencerai par la première. L’enfant noir, c’est la fumée qui naît du feu, s’élève dans les airs et, par son âcreté, fait pleurer les yeux. Voilà pour la première question.

"Je vais répondre à la deuxième. Celui qui engendre sa mère et qui est engendré par elle n’est autre que le jour, qui est tantôt long et tantôt court, selon les saisons. Voilà pour la deuxième question.

"Je vais répondre à la troisième. Antipater a quarante-cinq mines ; Nicomède en a trente-sept et demie ; Thémistius, vingt-deux et demie. Voilà pour la troisième question."

Les juges, admirant l’exactitude de ces réponses, donnèrent le prix à la jeune Euphrosine. En conséquence, le plus ancien d’entre eux, s’étant levé, lui présenta la coupe d’or et lui ceignit le front d’une couronne de papyrus, afin d’honorer en elle la subtilité de l’esprit. Et la vierge fut reconduite à la maison de son père, au son des flûtes, avec un grand concours de peuple.

Mais comme elle était chrétienne et d’une piété peu commune, loin de s’enorgueillir de ces honneurs, elle en conçut la vanité et se promit d’appliquer, à l’avenir, la pénétration de son intelligence à résoudre des problèmes plus dignes d’intérêt, comme, par exemple, à faire la somme des nombres représentés par les lettres du nom de Jésus et à considérer les propriétés merveilleuses de ces nombres.

Cependant, elle croissait en sagesse et en beauté, et elle était recherchée en mariage par beaucoup de jeunes hommes. L’un d’eux était le comte Longin, qui possédait de grandes richesses. Romulus accueillit ce prétendant avec faveur, espérant qu’une alliance avec cet homme puissant l’aiderait à rétablir ses propres affaires qu’il avait dérangées par le luxe de son palais, de sa vaisselle et de ses jardins. Romulus, qui était un des plus magnifiques parmi les habitants d’Alexandrie, avait surtout dépensé des sommes considérables pour réunir dans sa maison, sous une vaste coupole, les machines les plus admirables, telles qu’une sphère aussi brillante que le saphir avec les constellations du ciel exactement figurées par des pierres précieuses. On remarquait aussi dans cette salle une fontaine d’Héron, qui répandait des eaux parfumées, et deux miroirs si artistement faits qu’ils changeaient quiconque s’y mirait l’un en une personne longue et mince, l’autre en une personne courte et grosse. Mais ce qu’on voyait de plus merveilleux dans cette demeure était un buisson d’aubépine tout couvert d’oiseaux qui, par un mécanisme ingénieux, chantaient en battant des ailes comme s’ils eussent été vivants. Romulus avait dépensé le reste de son bien pour acquérir ces machines dont il était curieux. C’est pourquoi il accueillit avec faveur le comte Longin qui possédait de grandes richesses. Il pressait de toutes ses forces la conclusion d’un mariage dont il attendait le bonheur de sa fille et le repos de sa vieillesse. Mais chaque fois qu’il vantait à Euphrosine les mérites du comte Longin, elle détournait le regard et ne faisait point de réponse. Il lui dit un jour :

— Ne me concédez-vous point, ma fille, qu’il est le plus beau, le plus riche, et le plus noble des citoyens d’Alexandrie ?

La sage Euphrosine répondit :

— Je vous l’accorde volontiers, mon père, et je crois, en effet, que le comte Longin passe en noblesse, en opulence et en beauté tous les citoyens de cette ville. C’est pourquoi, si je le refuse pour époux, il y a peu d’apparence qu’un autre, faisant ce que celui-là n’a pu faire, m’amène à changer ma résolution, qui est de consacrer ma virginité à Jésus-Christ.

En entendant ce propos, Romulus entra dans une grande colère et jura qu’il saurait bien obliger Euphrosine à épouser le comte Longin, et, sans se répandre en vaines menaces, il ajouta que, ce mariage, étant résolu dans son cœur, s’accomplirait sans tarder et que, si l’autorité paternelle n’y suffisait point, il y ajouterait celle de l’Empereur, dont La Divinité ne souffrirait point qu’une fille désobéît à son père dans une chose qui, comme le mariage d’une patricienne, intéressait le public et l’État.

Euphrosine savait que son père avait beaucoup de crédit auprès de l’Empereur, dont La Divinité habitait Constantinople. Elle comprit qu’elle n’avait, en ce péril, de secours à espérer que du comte Longin lui-même. C’est pourquoi elle le manda près d’elle, dans la basilique, pour un entretien secret.

Ému d’espérance et de curiosité le comte Longin se rendit dans la basilique, tout couvert d’or et de pierreries. La vierge ne se fit point attendre. Mais quand il la vit paraître les cheveux dénoués et enveloppée d’un voile noir, comme une suppliante, il en conçut un fâcheux augure et son cœur s’en irrita.

Euphrosine parla la première :

— Clarissime Longin, lui dit-elle, si vous m’aimez autant que vous le dites, vous craindrez de me déplaire, et ce serait, en effet, me causer un mortel déplaisir que de me traîner dans votre maison et d’user à votre contentement d’un corps que j’ai donné avec mon âme à Notre-Seigneur Jésus-Christ, principe et fin de tout amour.
Mais le comte Longin lui répondit :

— Clarissime Euphrosine, l’amour est plus fort que la volonté ; c’est pourquoi il convient de lui obéir comme à un maître jaloux. Je ferai à votre égard ce qu’il m’ordonne, qui est de vous prendre pour ma femme.

— Convient-il à un homme, même illustre, de prendre la fiancée du Seigneur ?

— C’est ce que j’apprendrai des évêques, non de vous.

Ces propos jetèrent la jeune fille dans les plus vives alarmes ; elle comprit qu’elle n’avait aucune pitié à attendre de cet homme violent, gouverné par les sens, et que les évêques ne pourraient reconnaître les vœux secrets qu’elle avait faits devant Dieu seul. Et, dans l’excès de son inquiétude, elle eut recours à un artifice si singulier qu’on doit le tenir plus admirable qu’exemplaire.

Sa résolution étant prise, elle feignit de céder à la volonté de son père et aux assiduités de son amant. Elle souffrit même qu’on prît jour pour la cérémonie des fiançailles. Le comte Longin faisait déjà placer dans les coffres les joyaux et les parures destinés à l’épouse ; il avait commandé pour elle douze robes sur lesquelles étaient brodées les scènes de l’ancien et du nouveau Testament, les fables des Grecs, l’histoire des animaux ainsi que les Divinités de l’Empereur et de l’Impératrice, avec leur suite d’officiers et de dames. Et l’un de ces coffres contenait des livres de théologie et d’arithmétique, écrits en lettres d’or sur des feuilles de parchemin teint de pourpre, que protégeaient des plaques d’ivoire et d’or.

Cependant Euphrosine se tenait tout le jour enfermée seule dans sa chambre. Et elle donnait pour raison de sa retraite qu’il convenait qu’elle apprêtât ses habits de noces.

— Il ne serait pas convenable, disait-elle, que certains vêtements fussent taillés et cousus par d’autres mains que les miennes.

Et, en effet, elle maniait l’aiguille du matin au soir. Mais ce qu’elle préparait ainsi dans le secret, ce n’était ni le voile virginal, ni la robe blanche des fiancées. C’était le capuchon grossier, la tunique courte, et les caleçons qu’ont coutume de porter les jeunes artisans des villes pour vaquer à leurs travaux. Et elle accomplissait cet ouvrage en invoquant Jésus-Christ, principe et fin de toutes les entreprises des justes. C’est pourquoi elle acheva heureusement sa tâche clandestine le huitième jour avant celui qui avait été fixé pour la solennité du mariage. Elle demeura tout ce jour en prières ; puis, étant allée recevoir, selon sa coutume, le baiser de son père, elle rentra dans sa chambre, se coupa les cheveux, qui tombèrent à ses pieds comme des écheveaux d’or, revêtit la tunique courte, attacha les caleçons autour de ses jambes par des courroies de laine, baissa le capuchon sur ses yeux, et, la nuit étant venue, elle sortit sans bruit de la maison, tandis que tout dormait, maîtres et serviteurs. Seul, le chien veillait ; mais comme il la connaissait, il la suivit quelque temps en silence et rentra dans sa niche.

Elle traversa d’un pas rapide la ville déserte où l’on entendait seulement par intervalles les cris des matelots ivres et le pas lourd des soldats du guet qui poursuivaient des voleurs. Parce que Dieu était avec elle, elle ne reçut aucune offense des hommes. Et ayant franchi une des portes d’Alexandrie, elle s’en alla vers le désert, en suivant les canaux couverts de papyrus et de lotus bleus. Au lever du jour, elle passa par un pauvre village d’artisans. Un vieillard chantait devant sa porte en polissant un cercueil de bois de sycomore. Quand elle fut devant lui, il leva sa face camuse et velue et s’écria :

— Par Jupiter ! Voici l’enfant Éros qui porte un petit pot d’onguent à sa mère. Qu’il est tendre et beau ! Comme il brille de vénusté ! Ils mentent ceux qui disent que les dieux s’en sont allés. Car ce jeune homme est un vrai petit dieu.

Et la sage Euphrosine, connaissant à ce propos que ce vieillard était païen, prit pitié de son ignorance et pria Dieu pour son salut. Cette prière fut exaucée. Ce vieillard, qui était un fabricant de cercueils, du nom de Porou, se convertit par la suite et prit le nom de Philothée.

Or, après un jour de marche, Euphrosine parvint au monastère où six cents moines observaient, sous le gouvernement de l’abbé Onuphre, la règle admirable de saint Pacôme. Elle se fit conduire auprès d’Onuphre et lui dit :

— Mon père, je me nomme Smaragde et je suis orphelin. Je vous prie de me recevoir dans votre sainte demeure, afin que j’y goûte les délices du jeûne et de la pénitence.

L’abbé Onuphre, qui était alors âgé de cent six ans, répondit :

Enfant Smaragde, tes pieds sont beaux, puisqu’ils t’ont conduit dans cette maison ; tes mains sont belles, puisqu’elles ont frappé à cette porte. Tu as faim et soif de jeûne et d’abstinence. Viens et tu seras rassasié. Heureux l’enfant qui fuit le siècle dans sa robe d’innocence ! Les âmes des hommes sont exposées à de grands périls dans les villes, et particulièrement à Alexandrie, à cause des femmes qui y sont en grand nombre. La femme est un tel danger pour l’homme, que la seule pensée m’en donne encore à mon âge un frisson qui secoue toute ma chair. S’il s’en trouvait une assez effrontée pour entrer dans cette sainte maison, mon bras retrouverait soudain sa vigueur pour la chasser à grands coups de cette crosse pastorale. Nous devons adorer Dieu, mon fils, dans tous ses ouvrages ; mais c’est un grand mystère de sa providence qu’il ait créé la femme. Demeure, enfant Smaragde, car c’est Dieu qui t’a conduit.

Ayant été reçue en cette manière parmi les enfants du saint homme Onuphre, Euphrosine revêtit l’habit monastique.

Dans sa cellule, elle louait le Seigneur et se réjouissait de sa fraude pieuse, par cette considération que son père et son fiancé ne manqueraient pas de l’aller rechercher dans tous les monastères de femmes afin de la reprendre par ordre de l’Empereur, et qu’ils ne parviendraient jamais à la découvrir en cet asile où Jésus-Christ, lui-même, l’avait amoureusement cachée.

Pendant trois ans, elle mena dans sa cellule la vie la plus édifiante et les vertus de l’enfant Smaragde embaumaient le monastère. C’est pourquoi l’abbé Onuphre lui confia les fonctions d’ostiaire ou de portier, comptant sur la sagesse du jeune moine pour recevoir les étrangers et surtout pour repousser les femmes qui tenteraient d’entrer dans le monastère. Car, disait le saint homme, la femme est impure, et la seule trace de ses pas est une souillure infecte.

Or, Smaragde était ostiaire depuis cinq ans, lorsqu’un étranger frappa à la porte du monastère. C’était un homme encore jeune, magnifique dans ses habillements et gardant un reste de fierté, mais pâle, décharné, l’œil enflammé par une fureur mélancolique.

— Frère ostiaire, dit cet homme, conduisez-moi auprès du saint abbé Onuphre, afin qu’il me guérisse, car je suis en proie à un mal mortel.

Smaragde ayant prié l’étranger de s’asseoir sur un escabeau, l’avertit qu’Onuphre, parvenu à sa cent quatorzième année, était allé visiter, en vue de sa fin prochaine, les grottes des saints anachorètes Amon et Orcise.

À cette nouvelle, le visiteur se laissa tomber sur l’escabeau et se cacha la tête dans les mains.

— Je n’espère donc plus guérir, murmura-t-il.

Et, relevant la tête, il ajouta :

— C’est l’amour d’une femme qui m’a réduit à cet état misérable.
Seulement alors, Euphrosine reconnut le comte Longin ; elle craignit qu’il ne la reconnût de même. Mais elle se rassura bientôt et fut prise de pitié à le voir si triste et dans un tel égarement.

Après un long silence le comte Longin s’écria :

— Je voudrais me faire moine pour échapper au désespoir.

Et il lui conta son amour et comment sa fiancée Euphrosine avait disparu soudainement, et qu’il la cherchait depuis huit ans sans pouvoir la trouver, et qu’il était brûlé, desséché d’amour et de douleur.

Elle lui répondit avec une douceur céleste :

— Seigneur, cette Euphrosine dont vous pleurez si amèrement la perte ne méritait pas tant d’amour. Sa beauté n’est précieuse que par l’idée que vous vous en faites ; elle est vile et méprisable en réalité. Elle était périssable et ce qui en reste ne vaut pas un regret. Vous ne croyez pas pouvoir vivre sans Euphrosine et, s’il vous arrivait de la rencontrer, vous pourriez ne pas même la reconnaître.

Le comte Longin ne répondit point, mais ces paroles ou peut-être la voix qui les prononçait fit une heureuse impression sur son âme. Il partit plus tranquille et promit de revenir.

Il revint en effet ; et, désireux d’embrasser l’état monastique, il demanda une cellule au saint abbé Onuphre et fit don au monastère de ses biens qui étaient immenses. Euphrosine en éprouva une grande satisfaction. Mais, à quelque temps de là, son cœur fut comblé d’une joie encore plus grande.

En effet, un mendiant, courbé sous sa besace et n’ayant pour couvrir sa nudité que des lambeaux sordides, étant venu demander aux moines secourables un morceau de pain, Euphrosine reconnut Romulus, son père ; mais, feignant de ne pas savoir qui il était, elle le fit asseoir, lui lava les pieds et lui donna à manger.

— Fils de Dieu, lui dit le mendiant, je ne fus pas toujours un pauvre vagabond tel que tu me vois. J’ai possédé de grandes richesses et une fille très belle, très sage, très savante, qui devinait les énigmes proposées dans les concours publics et qui même reçut un jour des magistrats une couronne de papyrus. Je l’ai perdue ; j’ai perdu tous mes biens. Je suis dévoré du regret de ma fille et de mes richesses. J’avais surtout un buisson d’oiseaux chanteurs d’un artifice merveilleux. Et maintenant je n’ai pas un manteau pour me couvrir. Pourtant je serais consolé si je pouvais, avant de mourir, revoir ma fille bien-aimée.

Comme il achevait ces mots, Euphrosine se jeta à ses pieds, et lui dit en pleurant :

— Mon père, je suis Euphrosine, votre fille, qui s’est enfuie une nuit de votre maison. Et le chien n’a point aboyé. Pardonnez-moi, mon père. Car je n’ai pas accompli ces choses sans la permission de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Et, après avoir conté au vieillard comment elle s’en était allée, déguisée en artisan, jusqu’à cette maison où elle avait vécu depuis paisible et cachée, elle lui montra un signe qu’elle avait au cou. Et Romulus reconnut sa fille à ce signe. Il l’embrassa tendrement et la baigna de ses larmes, admirant les desseins mystérieux du Seigneur.

C’est pourquoi il résolut de se faire moine et de demeurer dans le monastère du saint abbé Onuphre. Il se bâtit de ses mains une cellule de roseaux auprès de celle du comte Longin. Ils chantaient des psaumes et bêchaient la terre. Pendant les heures de repos, ils s’entretenaient de la vanité des amours terrestres et des biens de ce monde. Mais jamais Romulus ne révéla rien à personne touchant la reconnaissance merveilleuse de sa fille Euphrosine, estimant qu’il valait mieux que le comte Longin et que l’abbé Onuphre apprissent toute cette aventure dans le Paradis, quand ils auraient une pleine intelligence des voies de Dieu. Longin ne sut point que sa fiancée était près de lui. Ils vécurent tous trois, quelques années encore, dans la pratique de toutes les vertus et, par une faveur spéciale de la Providence, ils s’endormirent dans le Seigneur tous trois presque en même temps ; le comte Longin trépassa le premier, Romulus mourut deux mois plus tard et sainte Euphrosine, après lui avoir fermé les yeux, fut appelée au ciel dans la même semaine par Jésus-Christ qui lui dit : "Viens, ma colombe ! " Saint Onuphre les suivit dans la tombe où il descendit, plein de mérites, dans la cent trente-deuxième année de son âge, le saint jour de Pâques de l’année 395 depuis l’Incarnation du Fils de Dieu. Que l’intercession de l’archange saint Michel soit pour nous ! Ici finissent les actes de sainte Euphrosine Amen.

Telle est la relation que le diacre Georges écrivit dans la laure du mont Athos, à une époque qui peut aller du VIIème au XIVème siècle de l’ère chrétienne ; je flotte à cet égard dans une grande incertitude. Cette relation est tout à fait inédite : j’ai les meilleures raisons pour le croire. Je voudrais en avoir d’aussi bonnes pour penser qu’elle méritait d’être connue. Je l’ai traduite avec une fidélité qui n’a, sans doute, été que trop sensible, en communiquant à mon style une raideur byzantine dont l’incommodité me semble à moi-même presque intolérable. Le diacre Georges contait avec moins de grâce qu’Hérodote et même que Plutarque. Et l’on voit, par son exemple, que les décadences ont parfois moins de charme et de délicatesse qu’on ne se le figure communément aujourd’hui. Cette démonstration est peut-être le principal mérite de mon travail. Ce travail sera vivement critiqué, et l’on me fera sans doute des questions auxquelles il me sera difficile de répondre. Le texte que j’ai suivi n’est pas de la main du diacre Georges. Je ne sais s’il est complet. Je prévois qu’on signalera des lacunes et des interpolations. M. Schlumberger tiendra pour suspects divers protocoles employés au cours du récit, et M. Alfred Rambaud contestera l’épisode du vieillard Porou. Je réponds d’avance que, n’ayant qu’un seul texte, c’est celui-là que j’ai dû suivre. Il est en fort mauvais état et peu lisible. Mais il faut dire que tous les chefs-d’œuvre de l’antiquité classique, dont nous faisons nos délices, nous sont parvenus dans cet état. J’ai de bonnes raisons de croire qu’en lisant le texte de mon diacre j’ai fait d’énormes bévues et que ma traduction fourmille de contresens. Elle n’est même, peut-être, qu’un contresens perpétuel. Si cela n’y paraît pas autant qu’on pouvait le craindre, c’est qu’il est constant que le texte le plus inintelligible a toujours un sens pour celui qui le traduit. Sans cela l’érudition n’aurait point de raison d’être. J’ai conféré la relation du diacre Georges avec les endroits de Rufin et de saint Jérôme relatifs à sainte Euphrosine. Je dois dire qu’elle ne concorde pas tout à fait. C’est sans doute pour cela que mon éditeur a inséré ce docte travail dans un léger recueil de contes.

__ FIN __


Notes

Echeveau : Assemblage de fils (échevettes) repliés et réunis par un fil de liage.
Camus : Qui a le nez court et plat.
Onguent : Produit aromatique, essence dont on se parfumait et dont on embaumait les corps.
Vénusté : Grâce, beauté, charme digne de Vénus.
Ostiaire : (Antiquité romaine) Portier.
Anachorète : Religieux contemplatif qui se retire dans la solitude.
Intercession : Action de prier, de solliciter pour quelqu’un, afin de lui procurer quelque bien ou de le garantir de quelque mal.
Diacre : Clerc qui a reçu le diaconat mais n'a pas encore été admis à la prêtrise.
Laure : Monastère orthodoxe.
Interpolation : Action d'insérer par erreur ou par fraude un mot, une phrase dans le texte d’un acte, d’un manuscrit, etc.
Conférer : Comparer deux choses pour juger en quoi elles s’accordent et en quoi elles diffèrent.
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Re: Anatole France (1844-1924)

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Interpolation : Fait de disposer des approximations non vérifiées dans une chaîne de valeurs qui relie des éléments calculés ou observés.
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Re: Anatole France (1844-1924)

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Oui mais dans le contexte de la nouvelle et du commentaire de l'auteur : « Ce travail sera vivement critiqué, et l’on me fera sans doute des questions auxquelles il me sera difficile de répondre. Le texte que j’ai suivi n’est pas de la main du diacre Georges. Je ne sais s’il est complet. Je prévois qu’on signalera des lacunes et des interpolations. », je prendrai plutôt la définition que j'ai donnée : Action d'insérer par erreur un mot, une phrase dans le texte d’un manuscrit,
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
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Liza
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Re: Anatole France (1844-1924)

Message par Liza »

Je l'ai aussi en définition de base...
On ne me donne jamais rien, même pas mon âge !
 
Ma page Spleen...
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Montparnasse
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Re: Anatole France (1844-1924)

Message par Montparnasse »

Le Jongleur de Notre-Dame



I


Au temps du roi Louis, il y avait en France un pauvre jongleur, natif de Compiègne, nommé Barnabé, qui allait par les villes, faisant des tours de force et d’adresse.

Les jours de foire, il étendait sur la place publique un vieux tapis tout usé, et, après avoir attiré les enfants et les badauds par des propos plaisants qu’il tenait d’un très vieux jongleur et auxquels il ne changeait jamais rien, il prenait des attitudes qui n’étaient pas naturelles et il mettait une assiette d’étain en équilibre sur son nez. La foule le regardait d’abord avec indifférence.
Mais quand, se tenant sur les mains la tête en bas, il jetait en l’air et rattrapait avec ses pieds six boules de cuivre qui brillaient au soleil, ou quand, se renversant jusqu’à ce que sa nuque touchât ses talons, il donnait à son corps la forme d’une roue parfaite et jonglait, dans cette posture, avec douze couteaux, un murmure d’admiration s’élevait dans l’assistance et les pièces de monnaie pleuvaient sur le tapis.

Pourtant, comme la plupart de ceux qui vivent de leurs talents, Barnabé de Compiègne avait grand-peine à vivre.

Gagnant son pain à la sueur de son front, il portait plus que sa part des misères attachées à la faute d’Adam, notre père.

Encore, ne pouvait-il travailler autant qu’il aurait voulu. Pour montrer son beau savoir, comme aux arbres pour donner des fleurs et des fruits, il lui fallait la chaleur du soleil et la lumière du jour. Dans l’hiver, il n’était plus qu’un arbre dépouillé de ses feuilles et quasi mort. La terre gelée était dure au jongleur. Et, comme la cigale dont parle Marie de France, il souffrait du froid et de la faim dans la mauvaise saison. Mais, comme il avait le cœur simple, il prenait ses maux en patience.

Il n’avait jamais réfléchi à l’origine des richesses, ni à l’inégalité des conditions humaines. Il comptait fermement que, si ce monde est mauvais, l’autre ne pourrait manquer d’être bon, et cette espérance le soutenait. Il n’imitait pas les baladins larrons et mécréants, qui ont vendu leur âme au diable. Il ne blasphémait jamais le nom de Dieu ; il vivait honnêtement, et, bien qu’il n’eût pas de femme, il ne convoitait pas celle du voisin, parce que la femme est l’ennemie des hommes forts, comme il apparaît par l’histoire de Samson, qui est rapportée dans l’Écriture.

A la vérité, il n’avait pas l’esprit tourné aux désirs charnels, et il lui en coûtait plus de renoncer aux brocs qu’aux dames. Car, sans manquer à la sobriété, il aimait à boire quand il faisait chaud. C’était un homme de bien, craignant Dieu, et très dévot à la Sainte Vierge.

Il ne manquait jamais, quand il entrait dans une église, de s’agenouiller devant l’image de la Mère de Dieu, et de lui adresser cette prière :

"Madame, prenez soin de ma vie jusqu’à ce qu’il plaise à Dieu que je meure, et quand je serai mort, faites-moi avoir les joies du paradis."


II


Or, un certain soir, après une journée de pluie, tandis qu’il s’en allait, triste et courbé, portant sous son bras ses boules et ses couteaux cachés dans son vieux tapis, et cherchant quelque grange pour s’y coucher sans souper, il vit sur la route un moine qui suivait le même chemin, et le salua honnêtement. Comme ils marchaient du même pas, ils se mirent à échanger des propos.

— Compagnon, dit le moine, d’où vient que vous êtes habillé tout de vert ? Ne serait-ce point pour faire le personnage d’un fol dans quelque mystère ?
— Non point, mon Père, répondit Barnabé. Tel que vous me voyez, je me nomme Barnabé,et je suis jongleur de mon état. Ce serait le plus bel état du monde si on y mangeait tous les jours.

— Ami Barnabé, reprit le moine, prenez garde à ce que vous dites. Il n’y a pas de plus bel état que l’état monastique. On y célèbre les louanges de Dieu, de la Vierge et des saints, et la vie du religieux est un perpétuel cantique au Seigneur.

Barnabé répondit :

— Mon Père, je confesse que j’ai parlé comme un ignorant. Votre état ne se peut comparer au mien et, quoiqu’il y ait du mérite à danser en tenant au bout du nez un denier en équilibre sur un bâton, ce mérite n’approche pas du vôtre. Je voudrais bien comme vous, mon Père, chanter tous les jours l’office, et spécialement l’office de la très sainte Vierge, à qui j’ai voué une dévotion particulière. Je renoncerais bien volontiers à l’art dans lequel je suis connu, de Soissons à Beauvais, dans plus de six cents villes et villages, pour embrasser la vie monastique.
Le moine fut touché de la simplicité du jongleur, et, comme il ne manquait pas de discernement, il reconnut en Barnabé un de ces hommes de bonne volonté de qui Notre-Seigneur a dit : "Que la paix soit avec eux sur la terre ! " C’est pourquoi il lui répondit :

— Ami Barnabé, venez avec moi, et je vous ferai entrer dans le couvent dont je suis prieur. Celui qui conduisit Marie l’Égyptienne dans le désert m’a mis sur votre chemin pour vous mener dans la voie du salut.

C’est ainsi que Barnabé devint moine. Dans le couvent où il fut reçu, les religieux célébraient à l’envi le culte de la sainte Vierge, et chacun employait à la servir tout le savoir et toute l’habileté que Dieu lui avait donnés.

Le prieur, pour sa part, composait des livres qui traitaient, selon les règles de la scolastique, des vertus de la Mère de Dieu.

Le Frère Maurice copiait, d’une main savante, ces traités sur des feuilles de vélin.

Le Frère Alexandre y peignait de fines miniatures. On y voyait la Reine du ciel, assise sur le trône de Salomon, au pied duquel veillent quatre lions ; autour de sa tête nimbée voltigeaient sept colombes, qui sont les sept dons du Saint-Esprit : dons de crainte, de piété, de science, de force, de conseil, d’intelligence et de sagesse. Elle avait pour compagnes six vierges aux cheveux d’or : l’Humilité, la Prudence, la Retraite, le Respect, la Virginité et l’Obéissance.

A ses pieds, deux petites figures nues et toutes blanches se tenaient dans une attitude suppliante. C’étaient des âmes qui imploraient, pour leur salut et non, certes, en vain, sa toute-puissante intercession.

Le Frère Alexandre représentait sur une autre page Ève au regard de Marie, afin qu’on vît en même temps la faute et la rédemption, la femme humiliée et la vierge exaltée. On admirait encore dans ce livre le Puits des eaux vives, la Fontaine, le Lis, la Lune, le Soleil et le jardin clos dont il est parlé dans le cantique, la Porte du Ciel et la Cité de Dieu, et c’étaient là des images de la Vierge.

Le Frère Marbode était semblablement un des plus tendres enfants de Marie.

Il taillait sans cesse des images de pierre, en sorte qu’il avait la barbe, les sourcils et les cheveux blancs de poussière, et que ses yeux étaient perpétuellement gonflés et larmoyants ; mais il était plein de force et de joie dans un âge avancé et, visiblement, la Reine du paradis protégeait la vieillesse de son enfant. Marbode la représentait assise dans une chaire, le front ceint d’un nimbe à orbe perlé, Et il avait soin que les plis de la robe couvrissent les pieds de celle dont le prophète a dit : "Ma bien-aimée est comme un jardin clos."

Parfois aussi il la figurait sous les traits d’un enfant plein de grâce, et elle semblait dire : "Seigneur, vous êtes mon Seigneur ! - Dixi de ventre matris meae : Deus meus es tu. " (Psalm. XXI, II.)

Il y avait aussi, dans le couvent, des poètes, qui composaient, en latin, des proses et des hymnes en l’honneur de la bienheureuse vierge Marie, et même il s’y trouvait un Picard qui mettait les miracles de Notre-Dame en langue vulgaire et en vers rimés.


III


Voyant un tel concours de louanges et une si belle moisson d’œuvres, Barnabé se lamentait de son ignorance et de sa simplicité.

— Hélas, soupirait-il en se promenant seul dans le petit jardin sans ombre du couvent, je suis bien malheureux de ne pouvoir, comme mes frères, louer dignement la sainte Mère de Dieu à laquelle j’ai voué la tendresse de mon cœur. Hélas ! hélas ! je suis un homme rude et sans art, et je n’ai pour votre service, madame la Vierge, ni sermons édifiants, ni traités bien divisés selon les règles, ni fines peintures, ni statues exactement taillées, ni vers comptés par pieds et marchant en mesure. Je n’ai rien, hélas !

Il gémissait de la sorte et s’abandonnait à la tristesse. Un soir que les moines se récréaient en conversant, il entendit l’un d’eux conter l’histoire d’un religieux qui ne savait réciter autre chose qu’Ave Maria. Ce religieux était méprisé pour son ignorance ; mais, étant mort, il lui sortit de la bouche cinq roses en l’honneur des cinq lettres du nom de Marie, et sa sainteté fut ainsi manifestée.

En écoutant ce récit, Barnabé admira une fois de plus la bonté de la Vierge ; mais il ne fut pas consolé par l’exemple de cette mort bienheureuse, car son cœur était plein de zèle et il voulait servir la gloire de sa dame qui est aux cieux.

Il en cherchait le moyen sans pouvoir le trouver et il s’affligeait chaque jour davantage, quand un matin, s’étant réveillé tout joyeux, il courut à la chapelle et y demeura seul pendant plus d’une heure. Il y retourna l’après-dîner.

Et, à compter de ce moment, il allait chaque jour dans cette chapelle, à l’heure où elle était déserte, et il y passait une grande partie du temps que les autres moines consacraient aux arts libéraux et aux arts mécaniques. Il n’était plus triste et il ne gémissait plus.

Une conduite si singulière éveilla la curiosité des moines.

On se demandait, dans la communauté, pourquoi le frère Barnabé faisait des retraites si fréquentes.

Le prieur, dont le devoir est de ne rien ignorer de la conduite de ses religieux, résolut d’observer Barnabé pendant ses solitudes. Un jour donc que celui-ci était renfermé, comme à son ordinaire, dans la chapelle, dom prieur vint, accompagné de deux anciens du couvent, observer, à travers les fentes de la porte, ce qui se passait à l’intérieur. Ils virent Barnabé qui, devant l’autel de la sainte Vierge, la tête en bas, les pieds en l’air, jonglait avec six boules de cuivre et douze couteaux. Il faisait, en l’honneur de la sainte Mère de Dieu, les tours qui lui avaient valu le plus de louanges. Ne comprenant pas que cet homme simple mettait ainsi son talent et son savoir au service de la sainte Vierge, les deux anciens criaient au sacrilège.
Le prieur savait que Barnabé avait l’âme innocente ; mais il le croyait tombé en démence. Ils s’apprêtaient tous trois à le tirer vivement de la chapelle, quand ils virent la sainte Vierge descendre les degrés de l’autel pour venir essuyer d’un pan de son manteau bleu la sueur qui dégouttait du front de son jongleur.

Alors le prieur, se prosternant le visage contre la dalle, récita ces paroles :

— Heureux les simples, car ils verront Dieu !

— Amen ! répondirent les anciens en baisant la terre.

(L'Etui de nacre, A. France)


Notes

Scolastique : Philosophie et théologie enseignée au moyen âge par l'Université. Enseignement et méthode qui s'y rapportent.
Denier : Ancienne monnaie française de cuivre, qui valait la douzième partie d’un sou tournois ou le tiers d’un liard.
Nimbe : Cercle ou auréole que les peintres ou les sculpteurs mettent autour de la tête des saints.
Orbe : Cercle.
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Re: Anatole France (1844-1924)

Message par Montparnasse »

LA MESSE DES OMBRES



À M. Jean-François Bladé, d’Agen,
le « scribe pieux », qui a recueilli
les contes populaires de la Gascogne.



Voici ce que le sacristain de l’église Sainte-Eulalie, à la Neuville-d’Aumont, m’a conté sous la treille du Cheval-Blanc, par une belle soirée d’été, en buvant une bouteille de vin vieux à la santé d’un mort très à son aise, qu’il avait le matin même porté en terre avec honneur, sous un drap semé de belles larmes d’argent.

— Feu mon pauvre père (c’est le sacristain qui parle) était de son vivant fossoyeur. Il avait l’esprit agréable, et c’était sans doute un effet de son état, car on a remarqué que les personnes qui travaillent dans les cimetières sont d’humeur joviale. La mort ne les effraie point : ils n’y pensent jamais. Moi qui vous parle, monsieur, j’entre dans un cimetière, la nuit, aussi tranquillement que sous la tonnelle du Cheval-Blanc. Et si, d’aventure, je rencontre un revenant, je ne m’en inquiète point, par cette considération qu’il peut bien aller à ses affaires comme je vais aux miennes. Je connais les habitudes des morts et leur caractère. Je sais à ce sujet des choses que les prêtres eux-mêmes ne savent pas. Et si je contais tout ce que j’ai vu, vous seriez étonné. Mais toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire, et mon père, qui pourtant aimait à conter des histoires, n’a pas révélé la vingtième partie de ce qu’il savait. En revanche, il répétait souvent les mêmes récits, et il a bien narré cent fois, à ma connaissance, l’aventure de Catherine Fontaine.

Catherine Fontaine était une vieille demoiselle qu’il lui souvenait d’avoir vue quand il était enfant. Je ne serais point étonné qu’il y eût encore dans le pays jusqu’à trois vieillards qui se rappellent avoir ouï parler d’elle, car elle était très connue et de bon renom, quoique pauvre. Elle habitait, au coin de la rue aux Nonnes, la tourelle que vous pouvez voir encore et qui dépend d’un vieil hôtel à demi détruit qui regarde sur le jardin des Ursulines. Il y a sur cette tourelle des figures et des inscriptions à demi effacées. Le défunt curé de Sainte-Eulalie, M. Levasseur, assurait qu’il y est dit en latin que l’amour est plus fort que la mort. Ce qui s’entend, ajoutait-il, de l’amour divin.

Catherine Fontaine vivait seule dans ce petit logis. Elle était dentellière. Vous savez que les dentelles de nos pays étaient autrefois très renommées. On ne lui connaissait ni parents ni amis. On disait qu’à dix-huit ans elle avait aimé le jeune chevalier d’Aumont-Cléry, à qui elle avait été secrètement fiancée. Mais les gens de bien n’en voulaient rien croire et ils disaient que c’était un conte qui avait été imaginé parce que Catherine Fontaine avait plutôt l’air d’une dame que d’une ouvrière, qu’elle gardait sous ses cheveux blancs les restes d’une grande beauté, qu’elle avait l’air triste et qu’on lui voyait au doigt une de ces bagues sur lesquelles l’orfèvre a mis deux petites mains unies, et qu’on avait coutume, dans l’ancien temps, d’échanger pour les fiançailles. Vous saurez tout à l’heure ce qu’il en était.

Catherine Fontaine vivait saintement. Elle fréquentait les églises, et chaque matin, quelque temps qu’il fît, elle allait entendre la messe de six heures à Sainte-Eulalie.

Or, une nuit de décembre, tandis qu’elle était couchée dans sa chambrette, elle fut réveillée par le son des cloches ; ne doutant point qu’elles sonnassent la messe première, la pieuse fille s’habilla et descendit dans la rue, où la nuit était si sombre qu’on ne voyait point les maisons et que pas une lueur ne se montrait dans le ciel noir. Et il y avait un tel silence dans ces ténèbres que pas seulement un chien n’aboyait au loin et qu’on s’y sentait séparé de toute créature vivante. Mais Catherine Fontaine, qui connaissait chaque pierre où elle posait le pied et qui aurait pu aller à l’église les yeux fermés, atteignit sans peine l’angle de la rue des Nonnes et de la rue de la Paroisse, là où s’élève la maison de bois qui porte un arbre de Jessé, sculpté sur une poutre. Arrivée à cet endroit, elle vit que les portes de l’église étaient ouvertes et qu’il en sortait une grande clarté de cierges. Elle continua de marcher et, ayant franchi le porche, elle se trouva dans une assemblée nombreuse qui emplissait l’église. Mais elle ne reconnaissait aucun des assistants, et elle était surprise de voir tous ces gens vêtus de velours et de brocart, avec des plumes au chapeau et portant l’épée à la mode des anciens temps. Il y avait là des seigneurs qui tenaient de hautes cannes à pommes d’or et des dames avec une coiffe de dentelle attachée par un peigne en diadème. Des chevaliers de Saint-Louis donnaient la main à ces dames qui cachaient sous l’éventail un visage peint, dont on ne voyait que la tempe poudrée et une mouche au coin de l’œil ! Et tous, ils allaient se ranger à leur place sans aucun bruit, et l’on n’entendait, tandis qu’ils marchaient, ni le son des pas sur les dalles ni le frôlement des étoffes. Les bas-côtés s’emplissaient d’une foule de jeunes artisans, en veste brune, culotte de basin et bas bleus, qui tenaient par la taille des jeunes filles très jolies, roses, les yeux baissés. Et, près des bénitiers, des paysannes en jupe rouge, le corsage lacé, s’asseyaient par terre avec la tranquillité des animaux domestiques, tandis que des jeunes gars, debout derrière elles, ouvraient de gros yeux en tournant entre leurs doigts leur chapeau. Et tous ces visages silencieux semblaient éternisés dans la même pensée, douce et triste. Agenouillée à sa place coutumière, Catherine Fontaine vit le prêtre s’avancer vers l’autel, précédé de deux desservants. Elle ne reconnut ni le prêtre, ni les clercs. La messe commença. C’était une messe silencieuse, où l’on n’entendait point le son des lèvres qui remuaient, ni le tintement de la sonnette vainement agitée. Catherine Fontaine se sentait sous la vue et sous l’influence de son voisin mystérieux, et, l’ayant regardé sans presque tourner la tête, elle reconnut le jeune chevalier d’Aumont-Cléry, qui l’avait aimée et qui était mort depuis quarante-cinq ans. Elle le reconnut à un petit signe qu’il avait sous l’oreille gauche et surtout à l’ombre que ses longs cils noirs faisaient sur ses joues. Il était vêtu de l’habit de chasse, rouge, à galons d’or, qu’il portait le jour où, l’ayant rencontrée dans le bois de Saint-Léonard, il lui avait demandé à boire et pris un baiser. Il avait gardé sa jeunesse et sa bonne mine. Son sourire montrait encore des dents de jeune loup. Catherine lui dit tout bas :

— Monseigneur, qui fûtes mon ami et à qui je donnai jadis ce qu’une fille a de plus cher, Dieu vous ait en sa grâce ! Puisse-t-il m’inspirer enfin le regret du péché que j’ai commis avec vous ; car il est vrai qu’en cheveux blancs et près de mourir, je ne me repens pas encore de vous avoir aimé. Mais, ami défunt, mon beau seigneur, dites-moi qui sont ces gens à la mode du vieux temps qui entendent ici cette messe silencieuse.

Le chevalier d’Aumont-Cléry répondit d’une voix plus faible qu’un souffle et pourtant plus claire que le cristal :

— Catherine, ces hommes et ces femmes sont des âmes du purgatoire qui ont offensé Dieu en péchant comme nous par l’amour des créatures, mais qui ne sont point pour cela retranchées de Dieu, parce que leur péché fut, comme le nôtre, sans malice.

« Tandis que, séparés de ce qu’ils aimaient sur la terre, ils se purifient dans le feu lustral du purgatoire, ils souffrent les maux de l’absence, et cette souffrance est pour eux la plus cruelle. Ils sont si malheureux qu’un ange du ciel prend pitié de leur peine d’amour. Avec la permission de Dieu, il réunit chaque année, pendant une heure de nuit, l’ami à l’amie dans leur église paroissiale, où il leur est permis d’entendre la messe des ombres en se tenant par la main. Telle est la vérité. S’il m’est donné de te voir ici avant ta mort, Catherine, c’est une chose qui ne s’est pas accomplie sans la permission de Dieu.

Et Catherine Fontaine lui répondit :

— Je voudrais bien mourir pour redevenir belle comme aux jours, mon défunt seigneur, où je te donnais à boire dans la forêt.

Pendant qu’ils parlaient ainsi tout bas, un chanoine très vieux faisait la quête et présentait un grand plat de cuivre aux assistants qui y laissaient tomber tour à tour d’anciennes monnaies qui n’ont plus cours depuis longtemps : écus de six livres, florins, ducats et ducatons, jacobus, nobles à la rose, et les pièces tombaient en silence. Quand le plat de cuivre lui fut présenté, le chevalier mit un louis qui ne sonna pas plus que les autres pièces d’or ou d’argent.

Puis le vieux chanoine s’arrêta devant Catherine Fontaine, qui fouilla dans sa poche sans y trouver un liard. Alors, ne voulant refuser son offrande, elle détacha de son doigt l’anneau que le chevalier lui avait donné la veille de sa mort, et le jeta dans le bassin de cuivre. L’anneau d’or, en tombant, sonna comme un lourd battant de cloche et, au bruit retentissant qu’il fit, le chevalier, le chanoine, le célébrant, les clercs, les dames, les cavaliers, l’assistance entière s’évanouit ; les cierges s’éteignirent et Catherine Fontaine demeura seule dans les ténèbres.


Ayant achevé de la sorte son récit, le sacristain but un grand coup de vin, resta un moment songeur et puis reprit en ces termes :

— Je vous ai conté cette histoire telle que mon père me l’a contée maintes fois, et je crois qu’elle est véritable parce qu’elle est conforme à tout ce que j’ai observé des mœurs et des coutumes particulières aux trépassés. J’ai beaucoup pratiqué les morts depuis mon enfance et je sais que leur usage est de revenir à leurs amours.

C’est ainsi que les morts avaricieux errent, la nuit, près des trésors qu’ils ont cachés de leur vivant. Ils font bonne garde autour de leur or ; mais les soins qu’ils se donnent, loin de leur servir, tournent à leur dommage, et il n’est pas rare de découvrir de l’argent enfoui dans la terre en fouillant la place hantée par un fantôme. De même les maris défunts viennent tourmenter, la nuit, leurs femmes mariées en secondes noces, et j’en pourrais nommer plusieurs qui, morts, ont mieux gardé leurs épouses qu’ils n’avaient fait vivants.

Ceux-là sont blâmables, car, en bonne justice, les défunts ne devraient point faire les jaloux. Mais je vous rapporte ce que j’ai observé. C’est à quoi il faut prendre garde quand on épouse une veuve. D’ailleurs, l’histoire que je vous ai contée est prouvée dans la manière que voici :

Le matin, après cette nuit extraordinaire, Catherine Fontaine fut trouvée morte dans sa chambre. Et le suisse de Sainte-Eulalie trouva dans le plat de cuivre qui servait aux quêtes une bague d’or avec deux mains unies. D’ailleurs, je ne suis pas homme à faire des contes pour rire. Si nous demandions une autre bouteille de vin !…


Notes

Basin : Etoffe croisée dont la chaîne est de fil et la trame de coton.
Lustral : Qui sert à purifier.
Ducaton : Ancienne monnaie d'argent.
Jacobus : Ancienne monnaie d'or anglaise.
Noble : Nom d’une ancienne monnaie d’or anglaise qui eut cours en France aux quatorzième et quinzième siècles.
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
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