Les Mémoires de Casanova

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Montparnasse
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Les Mémoires de Casanova

Message par Montparnasse »

« Que de réflexions je fis en sortant de cette maison ! Quelle
école ! Je comparai la réalité et l’imagination, et je fus forcé de
donner la préférence à la dernière, puisque c’est toujours d’elle
que la réalité dépend. Je commençai à pressentir alors, ce qui
m’a été clairement démontré par la suite, que l’amour n’est
qu’une curiosité plus ou moins vive jointe au penchant que la
nature a mis en nous de veiller à la conservation de l’espèce. Et
en effet, la femme est comme un livre qui, bon ou mauvais, doit
commencer par plaire par le frontispice ; s’il n’est pas
intéressant, il n’inspire pas le désir d’être lu, et ce désir est en
rapport direct avec l’intérêt qu’il inspire. Le frontispice de la
femme va de haut en bas comme celui d’un livre ; et ses pieds,
qui intéressent tous les hommes qui partagent mes goûts
offrent le même attrait que l’édition de l’ouvrage. Si le plus
grand nombre d’amateurs ne font que peu ou point d’attention
aux pieds d’une femme, la plupart des lecteurs aussi ne font
aucun cas de l’édition. Dans tous les cas, les femmes ont raison
d’avoir grand soin de leur figure, de leur mise et de leur tenue ;
car ce n’est que par là qu’elles peuvent faire naître la curiosité de
les lire à ceux à qui la nature n’a pas accordé à leur naissance le
privilège de la cécité. Or, de même que les hommes qui ont lu
beaucoup de livres finissent par vouloir lire les livres nouveaux,
fussent-ils mauvais, un homme qui a connu beaucoup de
femmes, toutes belles, finit par être curieux des laides lorsqu’il
les trouve neuves. Son œil a beau voir le fard qui lui cache la
réalité, sa passion devenue vice lui suggère un argument
favorable au faux frontispice. Il se peut, dit-il, que l’ouvrage
vaille mieux que le titre, et la réalité mieux que le fard qui la
cache. Il tente alors de parcourir le livre, mais il n’a point encore
été feuilleté, il trouve de la résistance ; le livre vivant veut être lu
en règle, et le légomane devient victime de la coquetterie,
monstre persécuteur de tous ceux qui font le métier d’aimer.
Homme d’esprit qui as lu ces dernières lignes, souffre que je te
dise que, si elles ne contribuent pas à te désabuser, tu es perdu ;
c’est-à-dire que tu seras la victime du beau sexe jusqu’aux
derniers instants de ta vie. Si ma franchise n’a rien qui te
déplaise, je t’en fais mon compliment.

(Mémoires, Tome 1, 1826-1832)


Note

Légomane : Passionné de lecture.
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
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