Edgar Allan Poe (1809-1849)

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Re: Edgar Allan Poe (1809-1849)

Message par Montparnasse »

Un trellis de métal, un grillage apposé sur les carreaux comme dans les cathédrales, les vieilles demeures.
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
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Re: Edgar Allan Poe (1809-1849)

Message par Montparnasse »

N°2

Je fus tout d’abord frappé d’une certaine incohérence, — d’une inconsistance dans les manières de mon ami, et je découvris bientôt que cela provenait d’un effort incessant, aussi faible que puéril, pour maîtriser une trépidation habituelle, — une excessive agitation nerveuse. Je m’attendais bien à quelque chose dans ce genre, et j’y avais été préparé non seulement par sa lettre, mais aussi par le souvenir de certains traits de son enfance, et par des conclusions déduites de sa singulière conformation physique et de son tempérament. Son action était alternativement vive et indolente. Sa voix passait rapidement d’une indécision tremblante, — quand les esprits vitaux semblaient entièrement absents, — à cette espèce de brièveté énergique, — à cette énonciation abrupte, solide, posée et sonnant le creux ; à ce parler guttural et rude, parfaitement balancé et modulé, qu’on peut observer chez le parfait ivrogne ou l’incorrigible mangeur d’opium pendant les périodes de leur plus intense excitation.

Ce fut dans ce ton qu’il parla de l’objet de ma visite, de son ardent désir de me voir, et de la consolation qu’il attendait de moi. Il s’étendit assez longuement et s’expliqua à sa manière sur le caractère de sa maladie. C’était, disait-il, un mal de famille, un mal constitutionnel, un mal pour lequel il désespérait de trouver un remède, — une simple affection nerveuse, — ajouta-t-il immédiatement, — dont, sans doute, il serait bientôt délivré. Elle se manifestait par une foule de sensations extranaturelles. Quelques-unes, pendant qu’il me les décrivait, m’intéressèrent et me confondirent ; il se peut cependant que les termes et le ton de son débit y aient été pour beaucoup. Il souffrait vivement d’une acuité morbide des sens ; les aliments les plus simples étaient pour lui les seuls tolérables ; il ne pouvait porter, en fait de vêtements, que certains tissus ; toutes les odeurs de fleurs le suffoquaient ; une lumière, même faible, lui torturait les yeux ; et il n’y avait que quelques sons particuliers, c’est-à-dire ceux des instruments à corde, qui ne lui inspirassent pas d’horreur.

Je vis qu’il était l’esclave subjugué d’une espèce de terreur tout à fait anormale.

« Je mourrai, — dit-il, — il faut que je meure de cette déplorable folie. C’est ainsi, ainsi, et non pas autrement, que je périrai. Je redoute les événements à venir, non en eux-mêmes, mais dans leurs résultats. Je frissonne à la pensée d’un incident quelconque, du genre le plus vulgaire, qui peut opérer sur cette intolérable agitation de mon âme. Je n’ai vraiment pas horreur du danger, excepté dans son effet positif, — la terreur. Dans cet état d’énervation, — état pitoyable, — je sens que tôt ou tard le moment viendra où la vie et la raison m’abandonneront à la fois, dans quelque lutte inégale avec le sinistre fantôme, — la peur ! »

J’appris aussi, par intervalles, et par des confidences hachées, des demi-mots et des sous-entendus, une autre particularité de sa situation morale. Il était dominé par certaines impressions superstitieuses relatives au manoir qu’il habitait, et d’où il n’avait pas osé sortir depuis plusieurs années, — relatives à une influence dont il traduisait la force supposée en des termes trop ténébreux pour être rapportés ici, — une influence que quelques particularités dans la forme même et dans la matière du manoir héréditaire avaient, par l’usage de la souffrance, disait-il, imprimée sur son esprit, — un effet que le physique des murs gris, des tourelles et de l’étang noirâtre où se mirait tout le bâtiment, avait à la longue créé sur le moral de son existence.

Il admettait toutefois, mais non sans hésitation, qu’une bonne part de la mélancolie singulière dont il était affligé pouvait être attribuée à une origine plus naturelle et beaucoup plus positive, — à la maladie cruelle et déjà ancienne, — enfin, à la mort évidemment prochaine d’une sœur tendrement aimée, — sa seule société depuis de longues années, — sa dernière et sa seule parente sur la terre.

« Sa mort, — dit-il avec une amertume que je n’oublierai jamais, — me laissera moi, le frêle et le désespéré, dernier de l’antique race des Usher. »

Pendant qu’il parlait, lady Madeline, — c’est ainsi qu’elle se nommait, — passa lentement dans une partie reculée de la chambre, et disparut sans avoir pris garde à ma présence. Je la regardai avec un immense étonnement, où se mêlait quelque terreur ; mais il me sembla impossible de me rendre compte de mes sentiments. Une sensation de stupeur m’oppressait, pendant que mes yeux suivaient ses pas qui s’éloignaient. Lorsque enfin une porte se fut fermée sur elle, mon regard chercha instinctivement et curieusement la physionomie de son frère ; mais il avait plongé sa face dans ses mains, et je pus voir seulement qu’une pâleur plus qu’ordinaire s’était répandue sur les doigts amaigris, à travers lesquels filtrait une pluie de larmes passionnées.

La maladie de lady Madeline avait longtemps bafoué la science de ses médecins. Une apathie fixe, un épuisement graduel de sa personne, et des crises fréquentes, quoique passagères, d’un caractère presque cataleptique, en étaient les diagnostics très singuliers. Jusque-là, elle avait bravement porté le poids de la maladie et ne s’était pas encore résignée à se mettre au lit ; mais, sur la fin du soir de mon arrivée au château, elle cédait — comme son frère me le dit dans la nuit avec une inexprimable agitation — à la puissance écrasante du fléau, et j’appris que le coup d’œil que j’avais jeté sur elle serait probablement le dernier, — que je ne verrais plus la dame, vivante du moins.

Pendant les quelques jours qui suivirent, son nom ne fut prononcé ni par Usher ni par moi ; et durant cette période je m’épuisai en efforts pour alléger la mélancolie de mon ami. Nous peignîmes et nous lûmes ensemble ; ou bien j’écoutais, comme dans un rêve, ses étranges improvisations sur son éloquente guitare. Et ainsi, à mesure qu’une intimité de plus en plus étroite m’ouvrait plus familièrement les profondeurs de son âme, je reconnaissais plus amèrement la vanité de tous mes efforts pour ranimer un esprit, d’où la nuit, comme une propriété qui lui aurait été inhérente, déversait sur tous les objets de l’univers physique et moral une irradiation incessante de ténèbres.

Je garderai toujours le souvenir de maintes heures solennelles que j’ai passées seul avec le maître de la Maison Usher. Mais j’essayerais vainement de définir le caractère exact des études ou des occupations dans lesquelles il m’entraînait ou me montrait le chemin. Une idéalité ardente, excessive, morbide, projetait sur toutes choses sa lumière sulfureuse. Ses longues et funèbres improvisations résonneront éternellement dans mes oreilles. Entre autres choses, je me rappelle douloureusement une certaine paraphrase singulière, — une perversion de l’air, déjà fort étrange, de la dernière valse de Von Weber. Quant aux peintures que couvait sa laborieuse fantaisie, et qui arrivaient, touche par touche, à un vague qui me donnait le frisson, un frisson d’autant plus pénétrant que je frissonnais sans savoir pourquoi, — quant à ces peintures, si vivantes pour moi, que j’ai encore leurs images dans mes yeux, — j’essayerais vainement d’en extraire un échantillon suffisant, qui pût tenir dans le compas de la parole écrite. Par l’absolue simplicité, par la nudité de ses dessins, il arrêtait, il subjuguait l’attention. Si jamais mortel peignit une idée, ce mortel fut Roderick Usher. Pour moi, du moins, — dans les circonstances qui m’entouraient, — il s’élevait, des pures abstractions que l’hypocondriaque s’ingéniait à jeter sur sa toile, une terreur intense, irrésistible, dont je n’ai jamais senti l’ombre dans la contemplation des rêveries de Fuseli lui-même, éclatantes sans doute, mais encore trop concrètes.

J’ai dit un mot de l’état morbide du nerf acoustique, qui rendait pour le malheureux toute musique intolérable, excepté certains effets des instruments à corde. C’étaient peut-être les étroites limites dans lesquelles il avait confiné son talent sur la guitare qui avaient, en grande partie, imposé à ses compositions leur caractère fantastique. Mais, quant à la brûlante facilité de ses improvisations, on ne pouvait s’en rendre compte de la même manière. Il fallait évidemment qu’elles fussent et elles étaient, en effet, dans les notes aussi bien que dans les paroles de ses étranges fantaisies, — car il accompagnait souvent sa musique de paroles improvisées et rimées, — le résultat de cet intense recueillement et de cette concentration des forces mentales, qui ne se manifestent, comme je l’ai déjà dit, que dans les cas particuliers de la plus haute excitation artificielle. D’une de ces rapsodies je me suis rappelé facilement les paroles. Peut-être m’impressionna-t-elle plus fortement, quand il me la montra, parce que, dans le sens intérieur et mystérieux de l’œuvre, je découvris pour la première fois qu’Usher avait pleine conscience de son état, — qu’il sentait que sa sublime raison chancelait sur son trône. Ces vers, qui avaient pour titre le Palais hanté, étaient, à très peu de chose près, tels que je les cite :

I

Dans la plus verte de nos vallées,
Par les bons anges habitée,
Autrefois un beau et majestueux palais,
— Un rayonnant palais, — dressait son front.
C’était dans le domaine du monarque Pensée,
C’était là qu’il s’élevait.
Jamais séraphin ne déploya son aile
Sur un édifice à moitié aussi beau.

II

Des bannières blondes, superbes, dorées,
À son dôme flottaient et ondulaient ;
(C’était, — tout cela, c’était dans le vieux,
Dans le très vieux temps)
Et, à chaque douce brise qui se jouait
Dans ces suaves journées,
Le long des remparts chevelus et pâles,
S’échappait un parfum ailé.

III

Les voyageurs dans cette heureuse vallée,
À travers deux fenêtres lumineuses, voyaient
Des esprits qui se mouvaient harmonieusement
Au commandement d’un luth bien accordé.
Tout autour d’un trône, où, siégeant
— Un vrai Porphyrogénète, celui-là ! —
Dans un apparat digne de sa gloire,
Apparaissait le maître du royaume.

IV

Et tout étincelante de nacre et de rubis
Était la porte du beau palais,
Par laquelle coulait à flots, à flots, à flots,
Et pétillait incessamment
Une troupe d’Echos dont l’agréable fonction
Était simplement de chanter,
Avec des accents d’une exquise beauté,
L’esprit et la sagesse de leur roi.

V

Mais des êtres de malheur, en robes de deuil,
Ont assailli la haute autorité du monarque.
— Ah ! pleurons ! car jamais l’aube d’un lendemain
Ne brillera sur lui, le désolé ! —
Et, tout autour de sa demeure, la gloire
Qui s’empourprait et florissait,
N’est plus qu’une histoire, souvenir ténébreux
Des vieux âges défunts.

VI

Et maintenant les voyageurs, dans cette vallée,
À travers les fenêtres rougeâtres, voient
De vastes formes qui se meuvent fantastiquement
Aux sons d’une musique discordante ;
Pendant que, comme une rivière rapide et lugubre,
À travers la porte pâle,
Une hideuse multitude se rue éternellement,
Qui va éclatant de rire, — ne pouvant plus sourire.

(...)


Notes

Catalepsie : Suspension complète des sensations et des mouvements volontaires, avec aptitude des membres et du tronc à conserver la position qu’on leur donne.
Porphyrogénète : Qui a été élevé dans le luxe impérial.
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Re: Edgar Allan Poe (1809-1849)

Message par Liza »

Porphyrogénète : je ne connaissais pas ce terme.

Mon perso.dic : Employé comme adjectif singulier invariant en genre.
Dans l'Antiquité, né sous le règne de son père, empereur byzantin.

Nom propre : Personnage historique. Pays : Région antique. Date de naissance : 980. Date de décès : 1056
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Re: Edgar Allan Poe (1809-1849)

Message par Montparnasse »

Oui, c'est le sens premier, mais pas dans ce texte du XIXème.
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Re: Edgar Allan Poe (1809-1849)

Message par Montparnasse »

N°3

Je me rappelle fort bien que les inspirations naissant de cette ballade nous jetèrent dans un courant d’idées, au milieu duquel se manifesta une opinion d’Usher que je cite, non pas tant en raison de sa nouveauté, — car d’autres hommes ont pensé de même, — qu’à cause de l’opiniâtreté avec laquelle il la soutenait. Cette opinion, dans sa forme générale, n’était autre que la croyance à la sensitivité de tous les êtres végétaux. Mais, dans son imagination déréglée, l’idée avait pris un caractère encore plus audacieux, et qui empiétait, dans de certaines conditions, jusque sur le règne inorganique. Les mots me manquent pour exprimer toute l’étendue, tout le sérieux, tout l’abandon de sa foi. Cette croyance toutefois se rattachait — comme je l’ai déjà donné à entendre — aux pierres grises du manoir de ses ancêtres. Ici, les conditions de sensitivité étaient remplies, à ce qu’il imaginait, par la méthode qui avait présidé à la construction, — par la disposition respective des pierres, aussi bien que de toutes les fongosités dont elles étaient revêtues, et des arbres ruinés qui s’élevaient à l’entour, — mais surtout par l’immutabilité de cet arrangement et par sa répercussion dans les eaux dormantes de l’étang. La preuve, la preuve de cette sensitivité se faisait voir, — disait-il, et je l’écoutais alors avec inquiétude, — dans la condensation graduelle, mais positive, au-dessus des eaux, autour des murs, d’une atmosphère qui leur était propre. Le résultat, — ajoutait-il, — se déclarait dans cette influence muette, mais importune et terrible, qui depuis des siècles avait pour ainsi dire moulé les destinées de sa famille, et qui le faisait, lui, tel que je le voyais maintenant, — tel qu’il était. De pareilles opinions n’ont pas besoin de commentaires, et je n’en ferai pas.

Nos livres, — les livres qui depuis des années constituaient une grande partie de l’existence spirituelle du malade, — étaient, comme on le suppose bien, en accord parfait avec ce caractère de visionnaire. Nous analysions ensemble des ouvrages tels que le Vert-Vert et la Chartreuse, de Gresset ; le Belphégor, de Machiavel ; les Merveilles du Ciel et de l’Enfer, de Swedenborg ; le Voyage souterrain de Nicholas Klimm, par Holberg ; la Chiromancie, de Robert Flud, de Jean d’Indaginé et de De la Chambre ; le Voyage dans le Bleu, de Tiech, et la Cité du Soleil, de Campanella. Un de ses volumes favoris était une petite édition in-octavo du Directorium inquisitorium, par le dominicain Eymeric de Gironne ; et il y avait des passages dans Pomponius Méla, à propos des anciens satyres africains et des ægipans, sur lesquels Usher rêvassait pendant des heures. Il faisait néanmoins ses principales délices de la lecture d’un in-quarto gothique excessivement rare et curieux, — le manuel d’une église oubliée, — les Vigiliæ Mortuorum secundum Chorum Ecclesiæ Maguntinæ.

Je songeais malgré moi à l’étrange rituel contenu dans ce livre et à son influence probable sur l’hypocondriaque, quand, un soir, m’ayant informé brusquement que lady Madeline n’existait plus, il annonça l’intention de conserver le corps pendant une quinzaine, — en attendant l’enterrement définitif, — dans un des nombreux caveaux situés sous les gros murs du château. La raison humaine qu’il donnait de cette singulière manière d’agir était une de ces raisons que je ne me sentais pas le droit de contredire. Comme frère, — me disait-il, — il avait pris cette résolution en considération du caractère insolite de la maladie de la défunte, d’une certaine curiosité importune et indiscrète de la part des hommes de science, et de la situation éloignée et fort exposée du caveau de famille. J’avouerai que, quand je me rappelai la physionomie sinistre de l’individu que j’avais rencontré sur l’escalier, le soir de mon arrivée au château, je n’eus pas envie de m’opposer à ce que je regardais comme une précaution bien innocente, sans doute, mais certainement fort naturelle.

À la prière d’Usher, je l’aidai personnellement dans les préparatifs de cette sépulture temporaire. Nous mîmes le corps dans la bière, et, à nous deux, nous le portâmes à son lieu de repos. Le caveau dans lequel nous le déposâmes, — et qui était resté fermé depuis si longtemps que nos torches, à moitié étouffées dans cette atmosphère suffocante, ne nous permettaient guère d’examiner les lieux, — était petit, humide, et n’offrait aucune voie à la lumière du jour ; il était situé à une grande profondeur, juste au-dessous de cette partie du bâtiment où se trouvait ma chambre à coucher. Il avait rempli probablement, dans les vieux temps féodaux, l’horrible office d’oubliettes, et, dans les temps postérieurs, de cave à serrer la poudre ou toute autre matière facilement inflammable ; car une partie du sol et toutes les parois d’un long vestibule que nous traversâmes pour y arriver étaient soigneusement revêtues de cuivre. La porte, de fer massif, avait été l’objet des mêmes précautions. Quand ce poids immense roulait sur ses gonds, il rendait un son singulièrement aigu et discordant.

Nous déposâmes donc notre fardeau funèbre sur des tréteaux dans cette région d’horreur ; nous tournâmes un peu de côté le couvercle de la bière qui n’était pas encore vissé, et nous regardâmes la face du cadavre. Une ressemblance frappante entre le frère et la sœur fixa tout d’abord mon attention ; et Usher, devinant peut-être mes pensées, murmura quelques paroles qui m’apprirent que la défunte et lui étaient jumeaux, et que des sympathies d’une nature presque inexplicable avaient toujours existé entre eux. Nos regards, néanmoins, ne restèrent pas longtemps fixés sur la morte, — car nous ne pouvions pas la contempler sans effroi. Le mal qui avait mis au tombeau lady Madeline dans la plénitude de sa jeunesse avait laissé, comme cela arrive ordinairement dans toutes les maladies d’un caractère strictement cataleptique, l’ironie d’une faible coloration sur le sein et sur la face, et sur la lèvre ce sourire équivoque et languissant qui est si terrible dans la mort. Nous replaçâmes et nous vissâmes le couvercle, et, après avoir assujetti la porte de fer, nous reprîmes avec lassitude notre chemin vers les appartements supérieurs, qui n’étaient guère moins mélancoliques.

Et alors, après un laps de quelques jours pleins du chagrin le plus amer, il s’opéra un changement visible dans les symptômes de la maladie morale de mon ami. Ses manières ordinaires avaient disparu. Ses occupations habituelles étaient négligées, oubliées. Il errait de chambre en chambre d’un pas précipité, inégal et sans but. La pâleur de sa physionomie avait revêtu une couleur peut-être encore plus spectrale ; — mais la propriété lumineuse de son œil avait entièrement disparu. Je n’entendais plus ce ton de voix âpre qu’il prenait autrefois à l’occasion ; et un tremblement qu’on eût dit causé par une extrême terreur caractérisait habituellement sa prononciation. Il m’arrivait quelquefois, en vérité, de me figurer que son esprit, incessamment agité, était travaillé par quelque suffocant secret, et qu’il ne pouvait trouver le courage nécessaire pour le révéler. D’autres fois, j’étais obligé de conclure simplement aux bizarreries inexplicables de la folie ; car je le voyais regardant dans le vide pendant de longues heures, dans l’attitude de la plus profonde attention, comme s’il écoutait un bruit imaginaire. Il ne faut pas s’étonner que son état m’effrayât, qu’il m’infectât même. Je sentais se glisser en moi, par une gradation lente mais sûre, l’étrange influence de ses superstitions fantastiques et contagieuses.

Ce fut particulièrement une nuit, — la septième ou la huitième depuis que nous avions déposé lady Madeline dans le caveau, — fort tard, avant de me mettre au lit, que j’éprouvai toute la puissance de ses sensations. Le sommeil ne voulait pas approcher de ma couche ; — les heures, une à une, tombaient, tombaient toujours. Je m’efforçai de raisonner l’agitation nerveuse qui me dominait. J’essayai de me persuader que je devais ce que j’éprouvais, en partie, sinon absolument, à l’influence prestigieuse du mélancolique ameublement de la chambre, — des sombres draperies déchirées, qui, tourmentées par le souffle d’un orage naissant, vacillaient çà et là sur les murs, comme par accès, et bruissaient douloureusement autour des ornements du lit.

(...)


Notes

Immutabilité : Caractère de ce qui est immuable.
Ægipan : Faune, divinité champêtre à cornes et sabots de chèvre.
Sympathie : L’accord avec le sentiment d’autrui, le pouvoir que nous avons de participer aux peines et aux plaisirs les uns des autres.
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Re: Edgar Allan Poe (1809-1849)

Message par Liza »

Un mot de plus : fongosité.

Végétation charnue, mollasse, en forme de champignon.
Au pluriel en médecine : excroissances d'aspect fongueux qui apparaissent sur la peau ou les plaies.
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Re: Edgar Allan Poe (1809-1849)

Message par Montparnasse »

Je l'avais déjà donné dans la 1ère partie. Vous ne suivez pas élève Liza (smile)...
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Re: Edgar Allan Poe (1809-1849)

Message par Liza »

En ce moment je me décompose...
Je dois déjà promener l'odeur du sapin...
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Re: Edgar Allan Poe (1809-1849)

Message par Montparnasse »

Comment ? A 18 ans, tu n'es pas au sommet de ta forme physique ? Je plaisante mais je me souviens qu'à ton âge j'étais tout le temps fatigué. Depuis que j'ai passé la quarantaine ça s'est nettement amélioré ! Et j'envie presque les sexagénaires...
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Re: Edgar Allan Poe (1809-1849)

Message par Liza »

Je vais me coucher, je ne tiens plus debout. Demain sera un nouveau jour !
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