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Les trompettes d'un guitariste

Publié : 19 septembre 2016, 19:30
par Aureplume
Je vivais à l'écart de la place publique,
Serein, contemplatif, ténébreux, bucolique...
Refusant d'acquitter la rançon de la gloire,
Sur mon brin de laurier je dormais comme un loir.
Les gens de bon conseil ont su me faire comprendre
Qu'à l'homme de la rue j'avais des comptes à rendre
Et que, sous peine de choir dans un oubli complet,
J' devais mettre au grand jour tous mes petits secrets.


Manquant à la pudeur la plus élémentaire,
Dois-je, pour les besoins de la cause publicitaire,
Divulguer avec qui, et dans quelle position
Je plonge dans le stupre et la fornication ?
Si je publie des noms, combien de Pénélopes
Passeront illico pour de fieffées salopes,

Combien de bons amis me regarderont de travers ?
Combien je recevrai de coups de revolver ?



A toute exhibition, ma nature est rétive,
Souffrant d'un' modestie quasiment maladive,
Je ne fais voir mes organes procréateurs
A personne, excepté mes femmes et mes docteurs.
Dois-je, pour défrayer la chronique des scandales,
Battre le tambour avec mes parties génitales,
Dois-je les arborer plus ostensiblement,
Comme un enfant de coeur porte un saint sacrement ?



Une femme du monde, et qui souvent me laisse
Faire mes quatre voluptés dans ses quartiers d' noblesse,
M'a sournoisement passé, sur son divan de soie,
Des parasites du plus bas étage qui soit...
Sous prétexte de bruit, sous couleur de réclame,
Ai-je le droit de ternir l'honneur de cette dame ?
En criant sur les toits, et sur l'air des lampions :
" Madame la marquise m'a foutu des morpions ! "



Le ciel en soit loué, je vis en bonne entente
Avec le Père Duval, la calotte chantante,
Lui, le catéchumène, et moi, l'énergumène,
Il me laisse dire merde, je lui laisse dire amen,
En accord avec lui, dois-je écrire dans la presse
Qu'un soir je l'ai surpris aux genoux d' ma maîtresse,
Chantant la mélopée d'une voix qui susurre,
Tandis qu'elle lui cherchait des poux dans la tonsure ?



Avec qui, ventrebleu ! faut-il don'que je couche
Pour faire parler un peu la déesse aux cent bouches ?
Faut-il qu'une femme célèbre, une étoile, une star,
Vienne prendre entre mes bras la place de ma guitare ?
Pour exciter le peuple et les folliculaires,
Qui est-ce qui veut me prêter sa croupe populaire,
Qui est-ce qui veut m' laisser faire, in naturalibus,
Un p'tit peu d'alpinisme sur son mont de Vénus ?



Sonneraient-elles plus fort, ces divines trompettes,
Si, comme tout un chacun, j'étais un peu tapette,
Si je me déhanchais comme une demoiselle
Et prenais tout à coup des allures de gazelle ?
Mais je ne sache pas qu'ça profite à ces drôles
De jouer le jeu d' l'amour en inversant les rôles,
Qu'ça confère à leur gloire un' once de plus-value,
Le crime pédérastique, aujourd'hui, ne paie plus.



Après ce tour d'horizon des mille et une recettes
Qui vous valent à coup sûr les honneurs des gazettes,
J'aime mieux m'en tenir à ma première façon
Et me gratter le ventre en chantant des chansons.
Si le public en veut, je les sors dare-dare,
S'il n'en veut pas je les remets dans ma guitare.
Refusant d'acquitter la rançon de la gloire,
Sur mon brin de laurier je m'endors comme un loir.

Trompettes
De la Renommée,
Vous êtes
Bien mal embouchées !



Edit : Le vers sur la "pédérastie" : L'homosexualité était pénalisé à l'époque ou Tonton Georges a sorti cette musique, et elle était couramment décriée. Personne n'avait été choqué, et ça n'a pas empêché Brassens d'apprécier Charles Trenet. Néanmoins ce vers me navre, il sonne trop vieillot et dénote une complexité du personnage de Brassens : malgré son anarchie et son évident humanisme dans certaines chansons, il parle ici comme le pire des sagouins. Carton Jaune foncé !

Re: Les trompettes d'un guitariste

Publié : 19 septembre 2016, 23:48
par Liza
Je lirai demain, je tire la couette.

Re: Les trompettes d'un guitariste

Publié : 20 septembre 2016, 20:08
par Liza
Charles Trenet, je connais mal, j'avoue, c'était une autre époque.

Comme moi, je suis du siècle dernier et je parle vieux.

Re: Les trompettes d'un guitariste

Publié : 20 septembre 2016, 20:18
par Aureplume
Je parle de Trenet car il était homosexuel. La chanson est de Brassens. Je l'ai mis dans poésie car c'est simplement son texte que j'ai posté, et qu'il est assez riche pour que je le considère personnellement comme un poème.

Re: Les trompettes d'un guitariste

Publié : 20 septembre 2016, 20:49
par Liza
Je soulignais Trenet.

Brassens, je connais mieux, j'aime certaines tournures de langage qu'il utilisait.

Ma préférée, si je devais choisir, pas facile, je dirais l'Auvergnat.

Re: Les trompettes d'un guitariste

Publié : 20 septembre 2016, 21:34
par Aureplume
Mon dieu ! Le nombre de fois où j'ai du faire la faute est incalculable !
C'est la première fois que je réalise que j'écris mal son nom !

Ma préférée est la "Supplique pour être enterré à la plage de Sète". En termes d'air ou de style musical, je ne suis pas spécialement admiratif, je trouve ça sympathique mais loin d'être extraordinaire. En revanche,le personnage et les textes me transportent. Sa diction presque parfaite aussi.
Peut-être aussi marqué par le fait que c'est un des rares vieux chanteurs français dont une dizaine de musique peuvent être immédiatement reconnues voir entonnées (à vrai dire, ça se perd de plus en plus, je dois bien être un des seuls de ma génération a être un grand amateur de Brassens).

Bref, ça a bercé mon enfance, je le revendique toujours fièrement, un des héritages musicaux de mes parents.

Re: Les trompettes d'un guitariste

Publié : 20 septembre 2016, 22:03
par Montparnasse
Liza a écrit :Charles Trenet, je connais mal, j'avoue, c'était une autre époque.
Ah, je te le recommande, il a un style unique. Son écriture est très mystérieuse, c'est parfois un « voyant » comme le sont les grands poètes.