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Re: Poésies (mont)parnassiennes

Publié : 30 avril 2017, 19:12
par Montparnasse
LE BUFFET

C’est un large buffet sculpté ; le chêne sombre,
Très vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens ;
Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre
Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants ;

Tout plein, c’est un fouillis de vieilles vieilleries,
De linges odorants et jaunes, de chiffons
De femmes ou d’enfants, de dentelles flétries,
De fichus de grand’mère où sont peints des griffons ;

— C’est là qu’on trouverait les médaillons, les mèches
De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèches
Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits.

— Ô buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,
Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis
Quand s’ouvrent lentement tes grandes portes noires.

(A. Rimbaud, Poésies, 1870)


Note

Griffon : Animal fabuleux, monstre à corps de lion, à tête et à ailes d'aigle.

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Publié : 30 avril 2017, 19:21
par Montparnasse
ENTENDS COMME BRAME

Entends comme brame
près des acacias
en avril la rame
viride du pois !

Dans sa vapeur nette,
vers Phœbé ! tu vois
s’agiter la tête
de saints d’autrefois…

Loin des claires meules
des caps, des beaux toits,
ces chers Anciens veulent
ce philtre sournois…

Or ni fériale
ni astrale ! n’est
la brume qu’exhale
ce nocturne effet.

Néanmoins ils restent,
— Sicile, Allemagne,
dans ce brouillard triste
et blêmi, justement !


Note

Férie : Jour de la semaine religieuse.

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Publié : 30 avril 2017, 20:28
par Liza
Ben les chasseurs des marais vont à la chasse avec de drôles de chiens !

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Publié : 05 mai 2017, 16:34
par Montparnasse
MES PETITES AMOUREUSES

Un hydrolat lacrymal lave
Les cieux vert-chou :
Sous l’arbre tendronnier qui bave,
Vos caoutchoucs.

Blancs de lunes particulières
Aux pialats ronds,
Entrechoquez vos genouillères,
Mes laiderons !

Nous nous aimions à cette époque,
Bleu laideron :
On mangeait des œufs à la coque
Et du mouron !

Un soir, tu me sacras poète,
Blond laideron.
Descends ici que je te fouette
En mon giron ;

J’ai dégueulé ta bandoline
Noir laideron ;
Tu couperais ma mandoline
Au fil du front.

Pouah ! mes salives desséchées
Roux laideron,
Infectent encor les tranchées
De ton sein rond !

Ô mes petites amoureuses,
Que je vous hais !
Plaquez de fouffes douloureuses,
Vos tétons laids !

Piétinez mes vieilles terrines
De sentiment ;
Hop donc soyez-moi ballerines
Pour un moment !…

Vos omoplates se déboîtent,
Ô mes amours !
Une étoile à vos reins qui boitent
Tournez vos tours.

Et c’est pourtant pour ces éclanches
Que j’ai rimé !
Je voudrais vous casser les hanches
D’avoir aimé !

Fade amas d’étoiles ratées,
Comblez les coins
— Vous creverez en Dieu, bâtées
D’ignobles soins !

Sous les lunes particulières
Aux pialats ronds
Entrechoquez vos genouillères,
Mes laiderons !

(A. Rimbaud, Poésies)


Notes

Hydrolat : Eau chargée, par distillation, de principes végétaux volatils.
Tendronnier : Qui porte des bourgeons ou de jeunes pousses.
Pialat : ?
Mouron : Plante herbacée (Caryophyllacées) des régions tempérées d'Europe, à fleurs rouges ou bleues.
Giron : Partie du corps allant de la ceinture aux genoux, chez une personne assise.
Bandoline : Brillantine à base de pépins de coing.
Fouffe : Chiffon, haillon, vieux vêtement.
Terrine : ?
Eclanche : Épaule de mouton séparée du corps de l’animal.
Bât : Dispositif que l'on place sur le dos des bêtes de somme pour le transport de leur charge.

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Publié : 05 mai 2017, 18:56
par Liza
Belle poésie, les mots anciens dans leur plein charme.

Mon perso.dic est assez avare, normal pour un auvergnat ! je n'ai pas trouvé grand chose.

Terrines : pâté, tête, face, crâne, tronche, cafetière

Pialat : une pile, un tas de foin, origine auvergnate.

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Publié : 09 mai 2017, 19:14
par Montparnasse
LE CŒUR VOLÉ

Mon pauvre cœur bave à la poupe,
Mon cœur est plein de caporal ;
Ils lui lancent des jets de soupe,
Mon triste cœur bave à la poupe :
Sous les quolibets de la troupe
Qui pousse un rire général,
Mon triste cœur bave à la poupe
Mon cœur est plein de caporal !

Ithyphalliques et pioupiesques,
Leurs insultes l’ont dépravé.
À la vesprée, ils font des fresques
Ithyphalliques et pioupiesques,
Ô flots abracadabrantesques
Prenez mon cœur, qu’il soit sauvé !
Ithyphalliques et pioupiesques
Leurs insultes l’ont dépravé !

Quand ils auront tari leurs chiques,
Comment agir, ô cœur volé ?
Ce seront des refrains bachiques
Quand ils auront tari leurs chiques :
J’aurai des sursauts stomachiques
Si mon cœur triste est ravalé :
Quand ils auront tari leurs chiques,
Comment agir, ô cœur volé ?


Notes

Caporal : Tabac à fumer d’une espèce supérieure au tabac de troupe et devenu en France d’un usage général.
Ithyphallique : relatif au phallus, au pénis en érection.
Pioupesque : qui relève des jeunes soldats (pioupious).
Abracadabrant : complètement incroyable, qu’une personne sensée ne peut pas croire.
Vesprée : Crépuscule, chute du jour.
Stomachique : ici, relatif à l'estomac.
Ravaler : Rabaisser.

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Publié : 09 mai 2017, 20:29
par Liza
Les soldats chiquent encore ?

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Publié : 16 mai 2017, 10:20
par Montparnasse
TÊTE DE FAUNE

Dans la feuillée, écrin vert taché d’or,
Dans la feuillée incertaine et fleurie,
D’énormes fleurs où l’âcre baiser dort
Vif et devant l’exquise broderie,

Le Faune affolé montre ses grands yeux
Et mord la fleur rouge avec ses dents blanches
Brunie et sanglante ainsi qu’un vin vieux,
Sa lèvre éclate en rires par les branches ;

Et quand il a fui, tel un écureuil,
Son rire perle encore à chaque feuille
Et l’on croit épeuré par un bouvreuil
Le baiser d’or du bois qui se recueille.

(A. Rimbaud, Poésies)


Note

Bouvreuil : une des espèces de petits oiseaux passereaux, d'Eurasie ou des Açores, voisins des pinsons, au bec gros et court, dont le plumage est de plusieurs couleurs (ailes et queue noires, croupion blanc), et qui chantent assez agréablement.

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Publié : 16 mai 2017, 10:28
par Montparnasse
LES CORBEAUX

Seigneur, quand froide est la prairie,
Quand dans les hameaux abattus,
Les longs angelus se sont tus
Sur la nature défleurie,
Faites s’abattre des grands cieux
Les chers corbeaux délicieux.

Armée étrange aux cris sévères,
Les vents froids attaquent vos nids !
Vous, le long des fleuves jaunis,
Sur les routes aux vieux calvaires,
Sur les fossés et sur les trous,
Dispersez-vous, ralliez-vous !

Par milliers, sur les champs de France,
Où dorment les morts d’avant-hier,
Tournoyez, n’est-ce pas, l’hiver,
Pour que chaque passant repense !
Sois donc le crieur du devoir,
Ô notre funèbre oiseau noir !

Mais, saints du ciel, en haut du chêne,
Mât perdu dans le soir charmé,
Laissez les fauvettes de mai
Pour ceux qu’au fond du bois enchaîne,
Dans l’herbe d’où l’on ne peut fuir,
La défaite sans avenir.

(A. Rimbaud, Poésies, 1872)


Notes

Angélus : Prière de dévotion mariale qui se dit le matin, à midi et le soir.
Son de la cloche qui l'annonce aux fidèles.
Fauvette : Petit oiseau passereau insectivore et chanteur à bec court, tête souvent bombée et queue étroite, parfois redressée.

Re: Poésies (mont)parnassiennes

Publié : 16 mai 2017, 12:07
par Liza
Tout au fond du champ derrière chez nous, au sommet d’un vieux chêne, il y a une famille de corbeaux.
Je n'aime pas entendre leurs croassements.
Certainement à cause d’un paysage de désolation du causse Ardéchois que l’on m’a décrit.
Des rochers pelés, ou presque, sous un ballet de corbeaux, rythmé par des cris lugubres.
Rien à voir avec AC/DC.