Poésies (mont)parnassiennes

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Message par Montparnasse »

À MADEMOISELLE FANNY DE P.

Ô vous que votre âge défend,
Riez ! tout vous caresse encore.
Jouez ! chantez ! soyez l’enfant !
Soyez la fleur ; soyez l’aurore !

Quant au destin, n’y songez pas.
Le ciel est noir, la vie est sombre.
Hélas ! que fait l’homme ici-bas ?
Un peu de bruit dans beaucoup d’ombre.

Le sort est dur, nous le voyons,
Enfant ! souvent l’œil plein de charmes
Qui jette le plus de rayons
Répand aussi le plus de larmes.

Vous que rien ne vient éprouver,
Vous avez tout, joie et délire,
L’innocence qui fait rêver,
L’ignorance qui fait sourire.

Vous avez, lys sauvé des vents,
Coeur occupé d’humbles chimères,
Ce calme bonheur des enfants,
Pur reflet du bonheur des mères.

Votre candeur vous embellit.
Je préfère à toute autre flamme
Votre prunelle que remplit
La clarté qui sort de votre âme.

Pour vous ni soucis ni douleurs,
La famille vous idolâtre.
L’été,
vous courez dans les fleurs ;
L’hiver, vous jouez près de l’âtre.

La poésie, esprit des cieux,
Près de vous, enfant, s’est posée ;
Votre mère l’a dans ses yeux,
Votre père dans sa pensée.

Profitez de ce temps si doux !
Vivez ! — La joie est vite absente ;
Et les plus sombres d’entre nous
Ont eu leur aube éblouissante.

Comme on prie avant de partir,
Laissez-moi vous bénir, jeune âme, —
Ange qui serez un martyr !
Enfant qui serez une femme !

(V. Hugo, Les Rayons et les Ombres, 1840)
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
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Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Montparnasse »

Fiat voluntas

Pauvre femme ! son lait à sa tête est monté.
Et, dans ses froids salons, le monde a répété,
Parmi les vains propos que chaque jour emporte,
Hier, qu’elle était folle, aujourd’hui, qu’elle est morte ;
Et, seul au champ des morts, je foule ce gazon,
Cette tombe où sa vie a suivi sa raison !

Folle ! morte ! pourquoi ? Mon Dieu ! pour peu de chose !
Pour un fragile enfant dont la paupière est close,
Pour un doux nouveau-né, tête aux fraîches couleurs,
Qui naguère à son sein, comme une mouche aux fleurs,
Pendait, riait, pleurait, et, malgré ses prières,
Troublant tout leur sommeil pendant des nuits entières,
Faisait mille discours, pauvre petit ami !
Et qui ne dit plus rien, car il est endormi.

Quand elle vit son fils, le soir d’un jour bien sombre,
Car elle l’appelait son fils, cette vaine ombre !
Quand elle vit l’enfant glacé dans sa pâleur,
— Oh ! ne consolez point une telle douleur !
Elle ne pleura pas. Le lait avec la fièvre
Soudain troubla sa tête et fit trembler sa lèvre ;
Et depuis ce jour-là, sans voir et sans parler,
Elle allait devant elle et regardait aller.
Elle cherchait dans l’ombre une chose perdue,
Son enfant disparu dans la vague étendue ;
Et par moments penchait son oreille en marchant,
Comme si sous la terre elle entendait un chant.

Une femme du peuple, un jour que dans la rue
Se pressait sur ses pas une foule accourue,

Rien qu’à la voir souffrir devina son malheur.
Les hommes, en voyant ce beau front sans couleur,
Et cet œil froid toujours suivant une chimère,
S’écriaient : Pauvre folle ! Elle dit : Pauvre mère !

Pauvre mère, en effet ! Un soupir étouffant
Parfois coupait sa voix qui murmurait : L’enfant !
Parfois elle semblait, dans la cendre enfouie,
Chercher une lueur au ciel évanouie ;
Car la jeune âme enfuie, hélas ! de sa maison
Avait en s’en allant emporté sa raison !

On avait beau lui dire, en parlant à voix basse,
Que la vie est ainsi ; que tout meurt, que tout passe ;
Et qu’il est des enfants, — mères, sachez-le bien !
Que Dieu, qui prête tout et qui ne donne rien,
Pour rafraîchir nos fronts avec leurs ailes blanches,
Met comme des oiseaux pour un jour sur nos branches !
On avait beau lui dire, elle n’entendait pas.
L’œil fixe, elle voyait toujours devant ses pas
S’ouvrir les bras charmants de l’enfant qui l’appelle.
Elle avait des hochets fait une humble chapelle.
Car rien n’est plus puissant que ces petits bras morts
Pour tirer promptement les mères dans la tombe.
Où l’enfant est tombé bientôt la femme tombe.
Qu’est-ce qu’une maison dont le seuil est désert ?
Qu’un lit sans un berceau ? Dieu clément ! à quoi sert
Le regard maternel sans l’enfant qui repose ?
À quoi bon ce sein blanc sans cette bouche rose ?

Après avoir longtemps, le cœur mort, les yeux morts,
Erré sur le tombeau comme étant en dehors,
— Longtemps ! ce sont ici des paroles humaines,
Hélas ! il a suffi de bien peu de semaines ! —
Malheureuse ! en deux mois tout s’est évanoui.
Hier elle était folle, elle est morte aujourd’hui !

Il suffit qu’un oiseau vienne sur une rive
Pour qu’un deuxième oiseau tout en hâte l’y suive.
Sur deux il en est un toujours qui va devant.
Après avoir à peine ouvert son aile au vent,
Il vint, le bel enfant, s’abattre sur la tombe ;
Elle y vint après lui, comme une autre colombe.

On a creusé la terre, et là, sous le gazon,
On a mis la nourrice auprès du nourrisson.

Et moi je dis : — Seigneur ! votre règne est austère !
Seigneur ! vous avez mis partout un noir mystère,
Dans l’homme et dans l’amour, dans l’arbre et dans l’oiseau,
Et jusque dans ce lait que réclame un berceau,
Ambroisie et poison, doux miel, liqueur amère,
Fait pour nourrir l’enfant ou pour tuer la mère !

((V. Hugo, Les Rayons et les Ombres, 1840))
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Message par Montparnasse »

LE POÈME DU RHONE (LE DRAC)

LII

L'Anglore, le lendemain de ces contes
qui s'évanouissaient aux rayons du soleil,
n'y pensait plus et, dans les délaissées
du Malatra, vive comme un perdreau,
courait, son crible en main, se mettre à l'œuvre.
C'était au fort de l'été : sur les ormes,
les peupliers et les trembles blanchâtres
de ces bords solitaires, les cigales chantaient...
Mais elle ne craignait rien, car, au reflet
de grand soleil qui frappe sur l'arène,
elle voyait bien mieux, disait-elle, briller
les paillettes. Ce qui autrement lui pesait,
c'était, les nuits, quand dans l'étroite hutte
il fallait coucher, toute la marmaille,
à terre, épars, sur un amas de feuilles.
Or, une de ces nuits de chaleur lourde
où l'on étouffe sous les tuiles,
elle s'était levée en chemise à la lune
pour aller prendre un peu le frais dehors.
La lune dans son plein la regardait,
toute mince, descendre vers la rive
et les pieds nus, dans le profond silence
de la nature immense et endormie,
laissant ouïr le ronflement du Rhône.
Les vers luisants éclairaient parmi l'herbe ;
les rossignols perdus au lointain
se répondaient, amoureux, dans les aubes ;
et le clapotis de l'onde coureuse
s'entendait rire. À terre la petite
laissa d'un coup tomber sa chemisette
et dans le Rhône, ardente et tressaillie,
lentement elle entra, penchée, croisant les mains
sur le frémissement de ses deux seins de vierge.
Au premier frisson, avec un soupir
elle fit halte un moment, hésitante,
et de côté et d'autre tourna, tout émue,
les yeux autour d'elle dans l'obscurité
où elle croyait toujours qu'entre les arbres
quelqu'un, dévêtue, l'épiât de loin.
Puis peu à peu, dans l'eau moelleuse du courant
elle allait encore, vivement éclairée
par les rayons de la lune baisant
sa nuque fine, sa jeune chair d'ambre,
ses bras potelés, ses reins bien râblés,
et ses petits seins harmonieux, fermes,
qui se blottissaient comme deux tourterelles
dans la diffusion de sa chevelure.
Le moindre bruit, — soit un poisson qui fit
un ricochet sur l'eau pour saisir une mouche,
le gargouillis d'un tourbillon qui ingurgite,
le cri aigu d'une chauve-souris,
une feuille battue par l'aile d'un insecte, —
lui tournait le cœur comme une jonchée.

LIII

Et de descendre. Mais jusqu'à la ceinture,
Et puis plus haut, tout aise de se sentir vêtue
Par le manteau fastueux du torrent,
Elle ne pensa plus qu'au bonheur de son être
Mêlé, confondu avec le grand Rhône.
Le sable sous ses pieds était si doux !
Une impression moite, une fraîcheur tiède
L'enveloppait d'un charme halitueux
A fleur de peau, à fleur de carnation,
Mignardement les ondes tournoyantes
Lui faisaient des baisers, des chatouillis,
En murmurant de suaves paroles
Qui lui donnaient des spasmes de plaisir...
Quand tout à coup, dans l'eau mobile
Et transparente au clair de lune,
Là-bas au fond, étendu sur la mousse
D'un lit d'émeraude, que va-t-elle voir ?
Un beau jouvenceau qui lui souriait.
Roulé comme un dieu, blanc comme l'ivoire,
Il ondulait dans l'onde et sa main effilée
Tenait une fleur, fleur de "jonc fleuri",
Qu'il présentait à la fillette nue.
Et de ses lèvres tremblantes et pâles
Sortaient des mots d'amour mystérieux,
Dans l'eau se perdant incompréhensibles.
Avec ses yeux félins, fascinateurs,
Il la faisait venir, craintive, stupéfaite,
Et haletante de désir ; à l'endroit
Où crient merci le corps et l'âme.
Ensorcelée par l'émoi dans le fleuve
Et par une plaisance étrange,
Elle était là, pauvrette, comme celui qui songe,
Et auquel, effaré par quelque peur confuse,
S'il veut courir, cela est impossible.
Et sitôt qu'elle ouvrait les yeux vers le lutin
Qui, entouré de sa lueur laiteuse
Semblait l'attendre en ses bras souples,
Un frissonnement d'amour spontané
La jetait en langueur sous la voûte du ciel
Et la faisait doucement défaillir.

LIV

De l'amour naissant ô bonheur suprême !
Ô paradis de l'âme à foi naïve !
À un moment où le branle du fleuve
la soulevait et palpait toute entière,
à la renverse, les cheveux flottants
et les yeux clos par la crainte de voir
saillir sur l'eau les pointes de sa gorge,
soudain, comme l'éclair, elle se sent,
autour des hanches, une approche, un délice
qui l'a frôlée d'une fraîche caresse.
Aïe ! elle se dresse d'un sursaut,
d'un tour de main rejette ses cheveux ruisselants
et voit, fuyant dans la masse liquide,
une ombre vague, serpentine et blanche,
qui disparaît. C'était le Drac. Instruite
de ses façons d'agir, l'Anglore, elle,
le reconnut fort bien, ayant à son giron
trouvé à l'instant une ombelle rose
de jonc fleuri. Pourtant, malgré son trouble,
elle prit, tout heureuse et pleine de son rêve,
la fleur qui nageait et retourna au lit.
Mais à âme qui vive, ce qu'elle avait cru voir,
elle se garda bien, mignonne, de le dire,
jalouse vraiment, autant qu'une chatte,
de sa vision trop tôt évanouie.
Ah ! que de fois la jeune fille, cet été,
dans ses langueurs de nuitée chaude,
aux lunaisons si claires de septembre,
revint au délicieux appât de sa rencontre !
Mais elle remarqua une chose : à la « mouille »
chaque fois qu'en entrant elle s'était signée,
ainsi qu'étant petite elle faisait toujours,
au cours fougueux de l'eau mystérieuse
en vain livrait-elle son corps virginal :
dans ces nuits-là, le beau génie du Rhône
à la baignade, — pauvre petite, attends,
attends toujours ! — lui faussait compagnie.

(Le Poème du Rhône, chant VI, Le Drac, F. Mistral)
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Loustic
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Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Loustic »

Gallica numérise les pages originales, donc, le poème est bien dans les pages Marie.

L'a-t-il écrit en pensant à quelqu'un d'autre ?

Je ne connaissais pas acanthe.
Le nègre en littérature c'est un blanc qui travaille au noir pour un écrivain marron ! (Popeck)
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Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Montparnasse »

Puits de l’Inde, tombeaux !

Puits de l’Inde ! tombeaux ! monuments constellés !
Vous dont l’intérieur n’offre aux regards troublés
Qu’un amas tournoyant de marches et de rampes,
Froids cachots, corridors où rayonnent des lampes,
Poutres où l’araignée a tendu ses longs fils,
Blocs ébauchant partout de sinistres profils,
Toits de granit, troués comme une frêle toile,
Par où l’œil voit briller quelque profonde étoile,
Et des chaos de murs, de chambres, de paliers,
Où s’écroule au hasard un gouffre d’escaliers !
Cryptes qui remplissez d’horreur religieuse
Votre voûte sans fin, morne et prodigieuse !
Cavernes où l’esprit n’ose aller trop avant !
Devant vos profondeurs j’ai pâli bien souvent
Comme sur un abîme ou sur une fournaise,
Effrayantes Babels que rêvait Piranèse !

Entrez si vous l’osez !
Sur le pavé dormant
Les ombres des arceaux se croisent tristement ;
La dalle par endroits, pliant sous les décombres,
S’entr’ouvre pour laisser passer des degrés sombres
Qui fouillent, vis de pierre, un souterrain sans fond ;
D’autres montent là-haut et crèvent le plafond.
Où vont-ils ? Dieu le sait. Du creux d’une arche vide
Une eau qui tombe envoie une lueur livide.
Une voûte au front vert s’égoutte dans un puits,
Dans l’ombre un lourd monceau de roches sans appuis
S’arrête retenu par des ronces grimpantes ;
Une corde qui pend d’un amas de charpentes
S’offre, mystérieuse, à la main du passant.

Dans un caveau, penché sur un livre, et lisant,
Un vieillard surhumain, sous le roc qui surplombe,
Semble vivre oublié par la mort dans sa tombe.
Des sphinx, des bœufs d’airain, sur l’étrave accroupis,
Ont fait des chapiteaux aux piliers décrépits ;
L’aspic à l’œil de braise, agitant ses paupières,
Passe sa tête plate aux crevasses des pierres.
Tout chancelle et fléchit sous les toits entr’ouverts.
Le mur suinte, et l’on voit fourmiller à travers
De grands feuillages roux, sortant d’entre les marbres,
Des monstres qu’on prendrait pour des racines d’arbres.
Partout, sur les parois du morne monument,
Quelque chose d’affreux rampe confusément ;
Et celui qui parcourt ce dédale difforme,
Comme s’il était pris par un polype énorme,
Sur son front effaré, sous son pied hasardeux,
Sent vivre et remuer l’édifice hideux !

Aux heures où l’esprit, dont l’œil partout se pose,
Cherche à voir dans la nuit le fond de toute chose,
Dans ces lieux effrayants mon regard se perdit.
Bien souvent je les ai contemplés, et j’ai dit :

— Ô rêves de granit ! grottes visionnaires !
Cryptes ! palais ! tombeaux, pleins de vagues tonnerres !
Vous êtes moins brumeux, moins noirs, moins ignorés,
Vous êtes moins profonds et moins désespérés
Que le destin, cet antre habité par nos craintes,
Où l’âme entend, perdue, en d’affreux labyrinthes,
Au fond, à travers l’ombre, avec mille bruits sourds,
Dans un gouffre inconnu tomber le flot des jours ! —

(V. Hugo, Les Rayons et les Ombres, 1840)
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Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Montparnasse »

Ce poème est fondateur d'une oeuvre à venir, d'un autre auteur. Il y a en germes ce que donneront les Fleurs. En particulier, dans Spleen IV.
Froids cachots, corridors où rayonnent des lampes,
Poutres où l’araignée a tendu ses longs fils,
Et des chaos de murs, de chambres, de paliers,
Où s’écroule au hasard un gouffre d’escaliers !
Une voûte au front vert s’égoutte dans un puits,
Dans l’ombre un lourd monceau de roches sans appuis
S’arrête retenu par des ronces grimpantes ;
L’aspic à l’œil de braise, agitant ses paupières,
Passe sa tête plate aux crevasses des pierres.
Partout, sur les parois du morne monument,
Quelque chose d’affreux rampe confusément ;
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
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Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Montparnasse »

À un poëte

Ami, cache ta vie et répands ton esprit.

Un tertre, où le gazon diversement fleurit ;
Des ravins où l’on voit grimper les chèvres blanches ;
Un vallon, abrité sous un réseau de branches
Pleines de nids d’oiseaux, de murmures, de voix,
Qu’un vent joyeux remue, et d’où tombe parfois,
Comme un sequin jeté par une main distraite,
Un rayon de soleil dans ton âme secrète ;
Quelques rocs, par Dieu même arrangés savamment
Pour faire des échos au fond du bois dormant ;
Voilà ce qu’il te faut pour séjour, pour demeure !
C’est là, — que ta maison chante, aime, rie ou pleure, —
Qu’il faut vivre, enfouir ton toit, borner tes jours,
Envoyant un soupir à peine aux antres sourds,
Mirant dans ta pensée intérieure et sombre
La vie obscure et douce et les heures sans nombre,
Bon d’ailleurs, et tournant, sans trouble ni remords,
Ton cœur vers les enfants, ton âme vers les morts !
Et puis, en même temps, au hasard, par le monde,
Suivant sa fantaisie auguste et vagabonde,
Loin de toi, par delà ton horizon vermeil,
Laisse ta poésie aller en plein soleil !
Dans les rauques cités, dans les champs taciturnes,
Effleurée en passant des lèvres et des urnes,
Laisse-la s’épancher, cristal jamais terni,
Et fuir, roulant toujours vers Dieu, gouffre infini,
Calme et pure, à travers les âmes fécondées,
Un immense courant de rêves et d’idées,
Qui recueille en passant, dans son flot solennel,
Toute eau qui sort de la terre ou qui descend du ciel !
Toi, sois heureux dans l’ombre. En ta vie ignorée,
Dans ta tranquillité vénérable et sacrée,
Reste réfugié, penseur mystérieux !
Et que le voyageur malade et sérieux
Puisse, si le hasard l’amène en ta retraite,
Puiser en toi la paix, l’espérance discrète,
L’oubli de la fatigue et l’oubli du danger,
Et boire à ton esprit limpide, sans songer
Que, là-bas, tout un peuple aux mêmes eaux s’abreuve.

Sois petit comme source et sois grand comme fleuve.

(V. Hugo, Les Rayons et les Ombres, 1840)
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Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Montparnasse »

Guitare

Gastibelza, l’homme à la carabine,
Chantait ainsi :
" Quelqu’un a-t-il connu doña Sabine ?
Quelqu’un d’ici ?
Dansez, chantez, villageois ! la nuit gagne
Le mont Falù.
— Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou !

" Quelqu’un de vous a-t-il connu Sabine,
Ma señora ?
Sa mère était la vieille maugrabine
D’Antequera,
Qui chaque nuit criait dans la Tour-Magne
Comme un hibou… —
Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou !

" Dansez, chantez ! Des biens que l’heure envoie
Il faut user.
Elle était jeune et son œil plein de joie
Faisait penser. —
À ce vieillard qu’un enfant accompagne
Jetez un sou !… —
Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou.

" Vraiment, la reine eût près d’elle été laide
Quand, vers le soir,
Elle passait sur le pont de Tolède
En corset noir.
Un chapelet du temps de Charlemagne
Ornait son cou… —
Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou.

" Le roi disait en la voyant si belle
À son neveu : — Pour un baiser, pour un sourire d’elle,
Pour un cheveu,
Infant don Ruy, je donnerais l’Espagne
Et le Pérou ! —
Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou.

" Je ne sais pas si j’aimais cette dame,
Mais je sais bien
Que pour avoir un regard de son âme,
Moi, pauvre chien,
J’aurais gaîment passé dix ans au bagne
Sous le verrou… —
Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou.

" Un jour d’été que tout était lumière,
Vie et douceur,
Elle s’en vint jouer dans la rivière
Avec sa sœur,
Je vis le pied de sa jeune compagne
Et son genou… —
Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou.

" Quand je voyais cette enfant, moi le pâtre
De ce canton,
Je croyais voir la belle Cléopâtre,
Qui, nous dit-on,
Menait César, empereur d’Allemagne,
Par le licou… —
Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou.

" Dansez, chantez, villageois, la nuit tombe !
Sabine, un jour,
A tout vendu, sa beauté de colombe,
Et son amour,
Pour l’anneau d’or du comte de Saldagne,
Pour un bijou… —
Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou.

" Sur ce vieux banc souffrez que je m’appuie,
Car je suis las.
Avec ce comte elle s’est donc enfuie !
Enfuie, hélas !
Par le chemin qui va vers la Cerdagne,
Je ne sais où… —
Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou.

" Je la voyais passer de ma demeure,
Et c’était tout.
Mais à présent je m’ennuie à toute heure,
Plein de dégoût,
Rêveur oisif, l’âme dans la campagne,
La dague au clou… —
Le vent qui vient à travers la montagne
M’a rendu fou ! "

(V. Hugo, Les Rayons et les Ombres, 1840)
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Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Montparnasse »

Tristesse d’Olympio

Les champs n’étaient point noirs, les cieux n’étaient pas mornes.
Non, le jour rayonnait dans un azur sans bornes
Sur la terre étendu,
L’air était plein d’encens et les prés de verdures
Quand il revit ces lieux où par tant de blessures
Son cœur s’est répandu !

L’automne souriait ; les coteaux vers la plaine
Penchaient leurs bois charmants qui jaunissaient à peine ;
Le ciel était doré ;
Et les oiseaux, tournés vers celui que tout nomme,
Disant peut-être à Dieu quelque chose de l’homme,
Chantaient leur chant sacré !

Il voulut tout revoir, l’étang près de la source,
La masure où l’aumône avait vidé leur bourse,
Le vieux frêne plié,
Les retraites d’amour au fond des bois perdues,
L’arbre où dans les baisers leurs âmes confondues
Avaient tout oublié !

Il chercha le jardin, la maison isolée,
La grille d’où l’œil plonge en une oblique allée,
Les vergers en talus.
Pâle, il marchait. — Au bruit de son pas grave et sombre,
Il voyait à chaque arbre, hélas ! se dresser l’ombre
Des jours qui ne sont plus !

Il entendait frémir dans la forêt qu’il aime
Ce doux vent qui, faisant tout vibrer en nous-même,
Y réveille l’amour,

Et, remuant le chêne ou balançant la rose,
Semble l’âme de tout qui va sur chaque chose
Se poser tour à tour !

Les feuilles qui gisaient dans le bois solitaire,
S’efforçant sous ses pas de s’élever de terre,
Couraient dans le jardin ;
Ainsi, parfois, quand l’âme est triste, nos pensées
S’envolent un moment sur leurs ailes blessées,
Puis retombent soudain.

Il contempla longtemps les formes magnifiques
Que la nature prend dans les champs pacifiques ;
Il rêva jusqu’au soir ;
Tout le jour il erra le long de la ravine,
Admirant tour à tour le ciel, face divine,
Le lac, divin miroir !

Hélas ! se rappelant ses douces aventures,
Regardant, sans entrer, par-dessus les clôtures,
Ainsi qu’un paria,
Il erra tout le jour. Vers l’heure où la nuit tombe,
Il se sentit le cœur triste comme une tombe,
Alors il s’écria :

" Ô douleur ! j’ai voulu, moi dont l’âme est troublée,
Savoir si l’urne encor conservait la liqueur,
Et voir ce qu’avait fait cette heureuse vallée
De tout ce que j’avais laissé là de mon cœur !

" Que peu de temps suffit pour changer toutes choses !
Nature au front serein, comme vous oubliez !
Et comme vous brisez dans vos métamorphoses
Les fils mystérieux où nos cœurs sont liés !

" Nos chambres de feuillage en halliers sont changées !
L’arbre où fut notre chiffre est mort ou renversé ;
Nos roses dans l’enclos ont été ravagées
Par les petits enfants qui sautent le fossé !

" Un mur clôt la fontaine où, par l’heure échauffée,
Folâtre, elle buvait en descendant des bois ;
Elle prenait de l’eau dans sa main, douce fée,
Et laissait retomber des perles de ses doigts !

" On a pavé la route âpre et mal aplanie,
Où, dans le sable pur se dessinant si bien,
Et de sa petitesse étalant l’ironie,
Son pied charmant semblait rire à côté du mien !

" La borne du chemin, qui vit des jours sans nombre,
Où jadis pour m’attendre elle aimait à s’asseoir,
S’est usée en heurtant, lorsque la route est sombre,
Les grands chars gémissants qui reviennent le soir.

" La forêt ici manque et là s’est agrandie.
De tout ce qui fut nous presque rien n’est vivant ;
Et, comme un tas de cendre éteinte et refroidie,
L’amas des souvenirs se disperse à tout vent !

" N’existons-nous donc plus ? Avons-nous eu notre heure ?
Rien ne la rendra-t-il à nos cris superflus ?
L’air joue avec la branche au moment où je pleure ;
Ma maison me regarde et ne me connaît plus.

" D’autres vont maintenant passer où nous passâmes.
Nous y sommes venus, d’autres vont y venir ;
Et le songe qu’avaient ébauché nos deux âmes,
Ils le continueront sans pouvoir le finir !

" Car personne ici-bas ne termine et n’achève ;
Les pires des humains sont comme les meilleurs ;
Nous nous réveillons tous au même endroit du rêve.
Tout commence en ce monde et tout finit ailleurs.

" Oui, d’autres à leur tour viendront, couples sans tache,
Puiser dans cet asile heureux, calme, enchanté,
Tout ce que la nature à l’amour qui se cache
Mêle de rêverie et de solennité !

" D’autres auront nos champs, nos sentiers, nos retraites ;
Ton bois, ma bien-aimée, est à des inconnus.
D’autres femmes viendront, baigneuses indiscrètes,
Troubler le flot sacré qu’ont touché tes pieds nus !

" Quoi donc ! c’est vainement qu’ici nous nous aimâmes !
Rien ne nous restera de ces coteaux fleuris
Où nous fondions notre être en y mêlant nos flammes !
L’impassible nature a déjà tout repris.

" Oh ! dites-moi, ravins, frais ruisseaux, treilles mûres,
Rameaux chargés de nids, grottes, forêts, buissons,
Est-ce que vous ferez pour d’autres vos murmures ?
Est-ce que vous direz à d’autres vos chansons ?

" Nous vous comprenions tant ! doux, attentifs, austères,
Tous nos échos s’ouvraient si bien à votre voix !
Et nous prêtions si bien, sans troubler vos mystères,
L’oreille aux mots profonds que vous dites parfois !

" Répondez, vallon pur, répondez, solitude,
Ô nature abritée en ce désert si beau,
Lorsque nous dormirons tous deux dans l’attitude
Que donne aux morts pensifs la forme du tombeau ;

" Est-ce que vous serez à ce point insensible
De nous savoir couchés, morts avec nos amours,
Et de continuer votre fête paisible,
Et de toujours sourire et de chanter toujours ?

" Est-ce que, nous sentant errer dans vos retraites,
Fantômes reconnus par vos monts et vos bois,

Vous ne nous direz pas de ces choses secrètes
Qu’on dit en revoyant des amis d’autrefois ?

" Est-ce que vous pourriez, sans tristesse et sans plainte,
Voir nos ombres flotter où marchèrent nos pas,
Et la voir m’entraîner, dans une morne étreinte,
Vers quelque source en pleurs qui sanglote tout bas ?

" Et s’il est quelque part, dans l’ombre où rien ne veille,
Deux amants sous vos fleurs abritant leurs transports,
Ne leur irez-vous pas murmurer à l’oreille :
— Vous qui vivez, donnez une pensée aux morts !

" Dieu nous prête un moment les prés et les fontaines,
Les grands bois frissonnants, les rocs profonds et sourds
Et les cieux azurés et les lacs et les plaines,
Pour y mettre nos cœurs, nos rêves, nos amours !

" Puis il nous les retire. Il souffle notre flamme ;
Il plonge dans la nuit l’antre où nous rayonnons ;
Et dit à la vallée, où s’imprima notre âme,
D’effacer notre trace et d’oublier nos noms.

" Eh bien ! oubliez-nous, maison, jardin, ombrages !
Herbe, use notre seuil ! ronce, cache nos pas !
Chantez, oiseaux ! ruisseaux, coulez ! croissez, feuillages !
Ceux que vous oubliez ne vous oublieront pas.

" Car vous êtes pour nous l’ombre de l’amour même !
Vous êtes l’oasis qu’on rencontre en chemin !
Vous êtes, ô vallon, la retraite suprême
Où nous avons pleuré nous tenant par la main !

" Toutes les passions s’éloignent avec l’âge,
L’une emportant son masque et l’autre son couteau,
Comme un essaim chantant d’histrions en voyage
Dont le groupe décroît derrière le coteau.

"Mais toi, rien ne t’efface, amour ! toi qui nous charmes,
Toi qui, torche ou flambeau, luis dans notre brouillard !
Tu nous tiens par la joie, et surtout par les larmes ;
Jeune homme on te maudit, on t’adore vieillard.

" Dans ces jours où la tête au poids des ans s’incline,
Où l’homme, sans projets, sans but, sans visions,
Sent qu’il n’est déjà plus qu’une tombe en ruine
Où gisent ses vertus et ses illusions ;

" Quand notre âme en rêvant descend dans nos entrailles,
Comptant dans notre cœur, qu’enfin la glace atteint,
Comme on compte les morts sur un champ de batailles,
Chaque douleur tombée et chaque songe éteint,

" Comme quelqu’un qui cherche en tenant une lampe,
Loin des objets réels, loin du monde rieur,
Elle arrive à pas lents par une obscure rampe
Jusqu’au fond désolé du gouffre intérieur ;

" Et là, dans cette nuit qu’aucun rayon n’étoile,
L’âme, en un repli sombre où tout semble finir,
Sent quelque chose encor palpiter sous un voile…
C’est toi qui dors dans l’ombre, ô sacré souvenir ! "

(Les Rayons et les Ombres, 1837)
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
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Re: Poésies (mont)parnassiennes

Message par Montparnasse »

Mille ans après

L’âpre rugissement de la mer pleine d’ombres,
Cette nuit-là, grondait au fond des gorges noires,
Et tout échevelés, comme des spectres sombres,
De grands brouillards couraient le long des promontoires.

Le vent hurleur rompait en convulsives masses
Et sur les pics aigus éventrait les ténèbres,
Ivre, emportant par bonds dans les lames voraces
Les bandes de taureaux aux beuglements funèbres.

Semblable à quelque monstre énorme, épileptique,
Dont le poil se hérisse et dont la bave fume,
La montagne, debout dans le ciel frénétique,
Geignait affreusement, le ventre blanc d’écume.

Et j’écoutais, ravi, ces voix désespérées.
Vos divines chansons vibraient dans l’air sonore,
Ô jeunesse, ô désirs, ô visions sacrées,
Comme un chœur de clairons éclatant à l’aurore !

Hors du gouffre infernal, sans y rien laisser d’elle,
Parmi ces cris et ces angoisses et ces fièvres,
Mon âme en palpitant s’envolait d’un coup d’aile
Vers ton sourire, ô gloire ! et votre arôme, ô lèvres !

La nuit terrible, avec sa formidable bouche,
Disait : — La vie est douce ; ouvre ses portes closes ! —
Et le vent me disait de son râle farouche :
— Adore ! Absorbe-toi dans la beauté des choses ! —

Voici qu’après mille ans, seul, à travers les âges,
Je retourne, ô terreur ! à ces heures joyeuses,
Et je n’entends plus rien que les sanglots sauvages
Et l’écroulement sourd des ombres furieuses.

(Leconte de Lisle)
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