Pathétique

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Blacktears
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Pathétique

Message par Blacktears »

Hey, je savais pas trop où poster ça, vu qu'il n'y a pas de section théâtre, mais on va dire qu'il s'agit d'un récit découpé en répliques lol
C'est une unique scène écrite dans le cadre d'un projet à l'atelier d'écriture du conservatoire, qui consiste à écrire des scènes liées entre elles par le lieu d'abord (une plage). Mais la consigne a été légèrement modifiée et le lien est donc maintenant le mot "sable".

Début de soirée.
Un banc dans un parc public.
Une jeune femme blonde vêtue d'un épais manteau de fourrure est assise à côté d'un croque-mort austère habillé tout en noir, qui griffonne quelque chose sur un cahier à la couverture en cuir noir.
Elle est abattue.
Lui est impassible, concentré sur ce qu'il écrit.


La femme – Tu te rends compte? Un an et demi! Une relation foutue en un claquement de doigt!

Elle claque des doigts d'un geste hautement dramatique qui, tout comme son discours, ne fait pas sourciller l'homme.
Il ne relève pas les yeux et ne répond rien.
Il s'en fiche complètement.
Un temps.

La femme – Non mais c'est dingue! Après un an à tourner en rond, parce que j'hésitais franchement à m'ouvrir à lui, au vu de sa réputation hautement douteuse, je lui avoue enfin mes sentiments. Il s'installe chez moi et m'invite quasiment tous les soirs au restaurant. Et là, alors que je franchis enfin le pas et qu'on se retrouve enfin tous les deux au pieu - et pour une activité nettement plus intéressante que celle de dormir, si tu vois ce que je veux dire...

Le croque-mort (les yeux toujours rivés sur son cahier) – Je n'ai aucune envie de voir ce que tu veux dire.

La femme – … il me quitte le lendemain, sans aucune explication ! Est-ce que ce n'est pas foutrement pathétique ?

Le croque-mort – Si. Terriblement.

La femme – Je comprends vraiment rien!

Le croque-mort – Woody Allen disait que la différence entre le sexe et la mort c'est que mourir, on peut le faire tout seul, et que personne se fichera de nous.

La femme – Je vois pas bien le rapport avec ce que je suis en train de te raconter.

Le croque-mort – Pourtant il y en a un.

Un temps.

La femme – Tu voudrais pas arrêter ce que tu fais deux minutes? J'ai l'impression que tu n'écoutes pas ce que je te dis. D'ailleurs qu'est-ce que tu fais?

Le croque-mort – Je ne vois pas bien en quoi ça pourrait t'intéresser.

La femme – Dis toujours.

La croque-mort – Je prévois certaines choses pour demain, pour la mise en bière du cadavre d'un jeune homme de 25 ans.

La femme – Si jeune! De quoi est-il mort?

La croque-mort – Pourquoi?

La femme – Je suis curieuse.

Le croque-mort – Et cette curiosité morbide réussit à te rendre heureuse?

La femme – Tu veux pas juste répondre, que je puisse continuer à m'apitoyer sur moi- même ?

Le croque-mort – Tempête de sable.

La femme – Ici?

Le croque-mort – Mais non idiote. Pendant un safari au Sahara. Le corps vient d'être rapatrié.

La femme – Ah. C'est moche.

Le croque-mort – Si on veux.

La femme – Du coup, tu veux bien?

Le croque-mort – Quoi?

La femme – Arrêter d'écrire pendant que je termine.

L'homme ferme son cahier de mauvaise grâce et se redresse en regardant droit devant lui.
Il se fait franchement chier.


La femme – Je sais pas, j'ai sûrement fait quelque chose de mal... Comment je dois m'y prendre pour qu'il revienne? Pour qu'il me pardonne? Selon toi?

Le croque-mort – Tu peux camper devant son balcon et jouer du saxophone toute la nuit à poil.

La femme – Trop risqué. Je pourrais passer un an en prison et devoir payer 15 000 euros d'amende pour exhibition sexuelle. Et je te parle même pas du tapage nocturne.

Le croque-mort – Je peux te poser une question?

La femme – Oui.

Le croque-mort – Est-ce que je dois vraiment sortir mon panneau "attention sarcasmes" à chaque fois que j'ai le malheur d'ouvrir la bouche?

La femme – Tu te trimballes partout avec un panneau "attention sarcasmes"?

Le croque-mort soupire.
Un temps.


Le croque-mort – Non. J'ai pas de panneau "attention sarcasmes".

La femme – Quand même il me manque. Et je lui manque sans doute beaucoup aussi.

Le croque-mort – Ça ça m'étonnerait.

La femme – Pourquoi tu dis ça ?

Le croque-mort – Enfin ouvre les yeux Gisèle ! Ce type voulait seulement coucher avec toi, le reste il n'en avait rien à faire. Et maintenant que c'est chose faite, il te jette comme il jetterait une malheureuse boîte de conserve vide à la poubelle.

La femme – Les boîtes de conserve vont au tri et pas à la poubelle.

Le croque-mort – C’est vrai que c’est un élément majeur de notre propos.

La femme – La préservation de la planète c’est important.

Le croque-mort – Oui.

La femme – Quand même il me manque. Notre relation prenait un nouveau jour. Je comprends pas pourquoi il y a mis fin.

Le croque-mort – Incompréhensible.

La femme – Exactement. Tu vois, dés que tu poses ton crayon tu me comprends.

Le croque-mort – T’as tout compris.

La femme – Faut pas croire. Je suis pas débile.

Le croque-mort ne dit rien.
Mais son regard, lui, en dit long.
Long silence.


La femme – Du coup tu vas faire quoi ?

Le croque-mort – Pour ?

La femme – Ton cadavre ?

Le croque-mort – Rien de particulier. Les soins habituels.

La femme – Qui sont ?

Le croque-mort – Ça t’intéresse vraiment ?

La femme – Pas particulièrement.

Un temps.

Le croque-mort – Alors pourquoi tu demandes ?

La femme – Pour faire la conversation.

Le croque-mort – Evite.

Long silence.

Le croque-mort – C’est vrai que c’est pas si mal, finalement.

La femme – De ?

Le croque-mort – Faire la conversation. Ça troue le silence.

La femme – Ah. Tu vois.

Le croque-mort – Du coup, pour le cadavre on va faire appel à un embaumeur.

La femme – Quand même il me manque.

Le croque-mort – C’est à cause de la tempête de sable, tu vois ? Ça lui a abîmé le visage.

La femme – On était si heureux ensemble.

Le croque-mort – Il viendra demain matin vers neuf heures je pense. Faut pas croire. C’est pas parce qu’il est mort qu’on doit le faire attendre encore plus.

La femme – Maintenant j’attends du coup. Je suis sûre qu’il va m’appeler.

Le croque-mort – Ça devrait lui prendre quelques heures, entre deux et trois je dirais. Mais il faut être patient.

La femme – Mais c’est pas grave, je suis une femme patiente. Et très gentille. Je lui ai déjà pardonné tu sais. C’est pas sa faute. Il est comme ça.

Le croque-mort – C’est comme ça, ça prend du temps. Après ce sera à moi de jouer.

La femme – Quand même il me manque. C’est pas bien de jouer avec mes sentiments comme ça. Mais bon c’est pas de sa faute, il doit avoir besoin de temps pour réfléchir.

Le croque-mort – Pas besoin de réfléchir. J’aurais juste à positionner correctement le cadavre dans le cercueil, pour ensuite le présenter à la cérémonie. Un jeu d’enfant.

La femme – J’aimerais tellement avoir des enfants. Avec lui. Je suis sûre qu’ils seront adorables. On est fait l’un pour l’autre.

Le croque-mort ne dit rien et la regarde brièvement.
Puis il déporte son regard droit devant lui.


La femme – Je l’aime. Et je suis sûre qu’il m’aime. Nous deux c’est évident. Ensemble, on est… On est si… Oh et tellement…

Le croque-mort - Bon moi il faut que j'y aille, je dois préparer l’arrivée de l’embaumeur. T'auras qu'à me passer un coup de fil quand t'auras réussi à trouver la fin de ta phrase.

Il sort.

La femme - Non mais je rêve !

Noir.
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Liza
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Re: Pathétique

Message par Liza »

Mélange questions réponses est bien trouvé, cela devient surréaliste.
À la demande de je ne sais qui, Lou a publié le livret d'une pièce tiré de l'un de ses livres.
Réduire 300 pages d'un livre en 80 pages de pièce en conservant le meilleur, il a promis de ne jamais refaire ce genre de choses.
Je n'ai assisté à aucune représentation (le plus souvent en collège ou lycée).
Si tu t’intéresse au théâtre , je peux t'envoyer le PDF. Tu me donnerais ton avis.
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Blacktears
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Re: Pathétique

Message par Blacktears »

Merci :)
Et oui, ça m'intéresserait beaucoup
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Re: Pathétique

Message par Liza »

Ok, je te ferai passer un lien avant de partir.
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Re: Pathétique

Message par Liza »

Un peu de retard, je ne trouvais pas le fichier.
Bonne soirée et bonne semaine.
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Dona
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Re: Pathétique

Message par Dona »

J'aime beaucoup ce côté décalé ! C'est un humour absurde, comme on les aime au théatre.

Par conte, je me demande comment la pièce peut avancer avec une telle entrée en matière. Je serai curieuse de lire la suite !;)
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