Crayonné

[Liza]

          Crayonné

   Ma femme est partie… en déplacement d’affection. En attendant qu’elle ne revienne pas, celui qui ouvre le lit à sept heures et découche le petit, c’est moi ! À peine le pied à terre il fonce vers la cuisine et s’installe devant la télé. Le petit monstre de huit ans est déjà fatigué. Pendant que je prépare le petit déjeuner, il reste avachi, la tête dans ses bras posés sur la table, l’œil fixé sur l’écran où un loup et une gamine discutent dans une cour d’école.
— Des lunettes antireflet, tu ne les supporteras pas, affirme le loup à la fillette.
— Maman dit que c’est mieux, insiste la petite.
— Tu es coquette, tu ne les mettras pas.
— Je m’y suis résignée. Pourquoi je ne les mettrai pas ?
— Avec ces lunettes tu ne verras plus ton reflet dans les glaces, affirme le loup avec sérieux.

   Sacré gamin, rien ne le distrait. Pas question d’échanger quelques mots. La toilette ! Il supporterait très bien que je vienne le débarbouiller sur place, entre un coup de bol et une bouchée de tartine. Je subis stoïquement son indifférence en fermant les yeux sur mon impatience.

   C’est bizarre, qui s’amuse à dessiner des tags sur mon visage ? Ces petits coups de crayon sont désagréables. Mes jambes sont labourées de longues griffures. J’ai beau me débattre, rien n’y fait. Mes cheveux sont ébouriffés et empâtés de traits de couleur jaune. On me chatouille les pieds avec une mine rose, puis on barre mes cuisses d’un ovale, rempli d’un joli bleu, remontant sur les côtés jusqu’aux épaules.
   J’ai l’air d’une fille… quelle horreur me voilà transformé ! je suis la gamine du dessin animé.
— Tu vas au cinéma ce soir ? demande le loup.
— Certainement pas ! dans cette tenue-là !

   Incroyable, je viens de répondre moi-même. Autour de moi il y a un préau, des groupes d’enfants debout, d’autres sont assis sur des bancs dans des pauses figées. Un loup roux m’observe des pieds à la tête, il semble moins surpris que moi de me trouver dans ce décor !
— Qu’est-ce que je fous sur une planche à dessin, je râle.
— Sois poli, les enfants nous regardent, proteste l’animal.
   Je suis son regard, brutalement mon cœur s’arrête net, mes poumons se vident. Brillamment éclairés par les LED, déformés par la dalle, je vois les yeux de mon fils, émergeant entre ses manches de pyjama et ses cheveux en bataille.

   Je ne sais pas comment me cacher, je me glisse derrière un groupe aux couleurs criardes.
— Lindy tu ne dois pas te cacher, tu dois te montrer, les enfants veulent te voir, affirme le loup, fâché.
   L’animal prend la robe dans sa gueule et me tire bien en vue. Mon fils approuve en rigolant. Puis il se lève paresseusement, débarrasse la table et disparaît.

— Moi aussi je me cachais dans les bois avant que l’useur de crayon ne m’attrape et, je l’avoue, j’ai bien meilleure mine qu’avant. Ma louve s’est sauvée, toutefois, j’y ai gagné. Bien dessiné, mon poil a l’air plus sauvage, en revanche, mes dents sont moins acérées et je ne fais plus peur aux gens. Amadoué, apprivoisé, j’ai trouvé une seconde vie. Et Lindy est mon amie.
   J’allais répondre, je n’en ai pas eu le temps. Le dessin animé est terminé, désormais, mon fils est pressé !
— On y va, je vais être en retard à l’école.
— On y va… je réponds machinalement.
— Chouette la poudre rose sur ta chaussure ! Je peux en avoir ?

               Liza

[Montparnasse]

La mise en perspective est habile. Mais je n'ai pas compris pourquoi la mère du petit garçon se prend pour la petite fille du dessin animé puis pour une louve ? Cela mérite une explication. Je salue ta belle imagination.

[Liza]

La mère du garçon ne figure pas dans le texte.
Le loup et Lindy, la fille en sont les personnages.
Pendant que son fils avale son petit déjeuner.
Son père est entraîné dans le dessin animé.
Le dessinateur lui dessine une robe le transformant en Lindy.