Destin

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Loustic
Mouette rieuse
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Destin

Message par Loustic »

Destin

Soixante-quinze ans, plus que trois jours à tenir pour gagner le pari ! Soixante-seize ? c’est plus aléatoire, en une année, tant de choses peuvent changer. Trois quarts de siècle ! je plante un fanion au bord du chemin. Ce sentier de plus en plus étroit et escarpé qui mène au Centenaire. Un lieu visité seulement par une partie d’entre nous.

Je me demande comment se serait déroulée ma vie si je n’avais pas eu besoin d’argent en ce mois de mars 1966. Cette année-là, je sortais Agate, Sophie, Sylvie, Simone… au gré de mes déplacements, c’était à la fortune des rencontres. Je sais, c’est indigne. Que sont devenus ces frais minois qui m’avaient fait craquer ? des mamans, des grands-mères… des arrière-grands-mères ? Il suffit de voir ma tête de Casanova d’occasions, le temps ne ménage personne !

Homme à tout faire, je conduisais « la boîte à savon », un tout-terrain, tout carré, avec un treuil à l’avant et une échelle à l’arrière. Lorsque l’engin n’accueillit pas un cameraman sur le plancher en aluminium de son toit, je tractais la luxueuse caravane de huit mètres qui faisait office de loge. Pour tout dire, je la squattais, entre deux utilisations, elle me servait de logement. De bien jolies et célèbres personnes se sont reposées sur le grand lit de la partie arrière. Dommage, c’était toujours lorsque je n’y étais pas !

Ce jour-là, j’avais tenu la perche du micro toute la journée, j’en avais plein les bras. J’avais besoin de sous pour faire les courses, avant de regagner ma maison en tôle. Les distributeurs n’existaient pas encore, donc je me présentais au guichet du Crédit Lyonnais. Il y a cinquante-deux ans, retirer immédiatement et en liquide, une partie de mon salaire, dans une agence qui n’était pas celle qui gérait mon compte, relevait du parcours du combattant.
Dès ma demande, la jeune fille du guichet, suivant le conseil de son chef et m’a poussé vers un bureau. Après un appel à mon agence, contre mon chèque et un regard sur ma carte d’identité, je pouvais toucher cinq cents nouveaux francs. La pauvre fille n’a rien compris lorsque j’ai posé mon carnet devant elle.
— Votre carte d’identité suffira, a-t-elle précisé.
— Vous l’avez sous le nez, dis-je.

Je vous rassure, je ne suis ni un repris de justice ni un délinquant triquard. Mon lieu de travail changeant tout le temps, je n’avais pas de domicile fixe. Eh oui SDF ! astreint au carnet, encore anthropométrique. Le carnet de circulation est venu deux ans plus tard.
— Je ne comprends pas, vous habitez Joinville-le-Pont, c’est écrit sur les documents.
— Ce n’est pas tout à fait cela, je suis rattaché à Joinville-le-Pont où est installée l’entreprise qui m’emploie, c’est différent.
— Votre profession ?
Dès que l’on parle cinéma, que l’on soit chauffeur ou perchiste, la tête des jeunes filles s’emplit d’une avide curiosité. Le tournage du documentaire destiné à la promotion de la région était connu et l’intérêt de la guichetière particulièrement aiguisé.
— Vous voyez les comédiens du film ?
— Je leur ai tendu la perche toute la journée… j’ai même arraché la vedette à sa trousse à maquillage pour la pousser devant la caméra.
Je lui ai indiqué l’endroit où j’avais dételé la tôle, en lui proposant de s’arrêter, si, par hasard, elle avait l’occasion de passer par là. Elle est passée, avec sa Renault 8 d’occasion et son permis tout neuf.

En faisant allusion aux femmes, certains parlent d’inconstance et de girouettes. Ils ne connaissent pas la mienne ! Après cinquante ans de mariage, elle est comme au premier jour, elle me distribue encore l’argent au compte-gouttes !

Lou
Le nègre en littérature c'est un blanc qui travaille au noir pour un écrivain marron ! (Popeck)
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Montparnasse
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Re: Destin

Message par Montparnasse »

Une belle histoire d'amour, ce n'est pas si courant ! Je l'attends toujours ;) Merci pour ton offrande, Loustic :super:
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
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