Chaton (chronique)

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Dona
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Chaton (chronique)

Message par Dona »

CHATON


Aujourd'hui notre fils, un beau jeune homme de 23 ans bâti comme un dieu grec et possédant une finesse d'esprit qui peut faire beaucoup d'envieux, notre fils donc, a décidé de nous rendre visite.

Depuis qu' il a quitté le nid familial et qu'il réside à 150 km d'ici, nous le voyons beaucoup moins, il ne saurait en être autrement. C'est donc un moment particulièrement festif que de le retrouver à la maison, surtout si c'est de son plein gré… et que nous n'avons pas eu à insister lourdement pour le faire venir. Il arrivera samedi vers 14 h et repartira le lendemain soir.

Jour festif donc... mais qui tient aussi du marathon. En effet, il faut tenir un sacré timing quand on doit laver et sécher presque 20 kilos de linge en un jour et demi ! Fiston arrive toujours avec trois ou quatre sacs de linge sale. Je pense que le Lavomatic ne le satisfait pas vraiment... et que la main affectueuse qui lave, assouplit, repasse et bichonne sa garde-robe est irremplaçable.
Sa mère, une femme aimante et généreuse, mon épouse donc, a encore un peu de mal à couper le cordon. Rien ne la ravit davantage que d'avoir son Chaton près de nous.
Chaton, c'est le surnom que nous donnons à notre étudiant nonchalant et à la barbe bohème. C'est devenu un nom de code et il ne nous viendrait pas à l'idée de prononcer à haute voix cette appellation si affectueuse devant lui (il n'aime pas ça du tout !)
A dire vrai, depuis qu'il est né, Chaton occupe toutes les pensées de mon épouse. Maintenant qu'il est parti, c'est presque pire. Et si notre jeune savant ne donne pas de ses nouvelles, ça peut aller très mal à la maison...
Mais quand il a décidé de venir nous voir, il en est tout autrement.

Je devine exactement, au regard lumineux et pétillant de ma femme, le moment où Chaton a donné de ses nouvelles et plus encore, quand il a dit qu'il viendrait.
Lorsque Cif, Ajax, eau de Javel et aspirateur sont exposés dans toute la maison, lorsque le frigidaire regorge de victuailles et que les vitres ont été faites, je sais que l'arrivée de Chaton est imminente.

L'autre soir, ma femme et moi-même étions assis sur le canapé et surfions sur internet, nos ordinateurs respectifs posés sur nos genoux. J'ai entendu ma femme s'exclamer d'un ton si joyeux que je lui ai aussitôt demandé :

- Quoi donc ? lui dis-je. Macron est revenu sur la loi Travail ?
- Non, ce n'est pas ça !
- Trump a démissionné ?
- Mais non ! Mieux ! Pour nous, beaucoup mieux!
- Le dictateur coréen a été assassiné alors ?
Ça ne pouvait être que ça !
Eh bien non. Elle m'a répondu :
- Chaton vient ce week-end !

Ah ! Il est vrai que c'était une excellente nouvelle ! Quoique j'aurais bien aimé savoir ce dictateur coréen totalement évincé de la géopolitique actuelle.

Voilà, Chaton est aussi présent dans notre existence que lorsqu'il vivait avec nous. Il ne se passe pas une semaine sans que ma femme ne m'informe de ses faits et gestes, d'ailleurs plus souvent glanés sur facebook que par messages personnels ...
Chaton a skate-board, concert, pizza, soirée entre potes, dentiste... ce soir ! Chaton est enrhumé ! Chaton a examen demain !
Tout va bien tant que nous avons des nouvelles mais si nous n'en obtenons pas, c'est différent .


S'il n'a pas appelé depuis 3 jours et que ma femme ne parvient pas à le joindre, une légère angoisse se manifeste chez elle par des gestes fébriles, un peu d'énervement et c'est dépitée que je l'entends dire : « Je n'arrive pas à le joindre... »
Au quatrième jour, ça monte d'un cran : « Je n'arrive pas à le joindre ! »
Au cinquième, début de crise : « Je te dis que je n'arrive pas à le joindre et toi tu ne fais rien ! »
Ça peut être le début d'une bonne scène de ménage et au sixième jour, on peut parler de tsunami ou d'ouragan sentimental...

Le septième jour, Chaton finit toujours par appeler. D'un ton flegmatique et rieur, il n'omet pas de nous faire savoir que notre inquiétude et les tourments que nous avons traversés depuis six jours n'ont pas lieu d'être. Il est parfaitement autonome, entouré et surtout… heureux. Je crois que ma femme a du mal à intégrer une telle réalité : Chaton est parfaitement heureux. Il y a encore 22 ans, elle le dorlotait, câlinait, changeait ses couches, jouait avec lui. Tout est passé si vite ! Le sevrage est un peu brutal...

Il ne se rend pas compte, lui. Par exemple, quand il a commencé à partir en vacances, sans nous, avec ses oncles ou bien ses grand-parents ou bien ses cousins ou bien les parents de ses amis ou bien, un peu plus tard, avec les beaux-parents de sa petite amie ou même encore les beaux-parents des parents d'autres parents d'un autre ami – que nous ne connaissions pas ! – il pouvait se passer plusieurs heures avant qu'il ne réponde à nos sms.
On lui recommandait bien de nous prévenir quand il serait arrivé à destination. S'il partait à 300 km, on comptait trois heures. Dans les Pyrénées, on comptait six heures. Au Royaume-Uni, on avait en plus le problème du décalage horaire. En Espagne, c'était encore plus long. Finalement, on envoyait toujours des messages à mi-chemin du trajet. On aurait bien aimé avoir des détails. On envoyait : « Ça va ? Première pause ? » puis « Tout va bien ? Ça roule sans problème ? » ensuite : « Tu pourrais répondre ! » et encore « Donne des nouvelles ! » et pour finir : « Ça va, tu es sûr ? On est inquiets ! » et on recevait, au bout de deux bons jours : « Oui ». « Oui quoi ? » on envoyait. « Oui, ça va. » il répondait !


Cette fois-ci il a prévenu de son arrivée, la veille au soir. Ça nous laisse un temps acceptable pour nous réjouir de sa venue tout en opérant les tâches domestiques nécessaires à son bien-être et à son confort. La maison est rutilante.
Mais tout de même, il faut bien avouer que notre fils nous a quelque peu sidérés lors de son dernier passage. Ceci peut paraître extravagant, pourtant, c'est le mot qui nous est venu à l'esprit.


Voilà :
Dimanche matin – il devait être 10h 30, notre fils s'est levé, errant de fatigue à travers l'appartement, marmonnant quelques bonjours ensommeillés accompagnées de bises rugueuses. Il a pris son mug rempli du thé que sa mère lui avait fait chauffer, ses tartines beurrées amoureusement, son jus d'orange tout frais pressé... et il s'est dirigé vers la télévision. S'est assis sur le canapé, allongé ses longues jambes sur la table basse, pris la télécommande... et allumé la chaîne qui diffusait à cet instant précis... « Téléfoot » ! Sur TF1 !
— Qu'est-ce tu fais ? nous sommes-nous étonnés
— Je regarde Téléfoot, j'ai pris l'habitue, a-t-il ajouté en mastiquant paresseusement sa tranche de pain dorée.
— Tu regardes ça tous les dimanches ?
— Ben ouais, comme mes potes, a-t-il ajouté, en souriant avec son air de séducteur qui fait qu'on peut être en colère après lui mais qu'on ne peut jamais le disputer.



Voilà ...
Cet enfant que nous avons élevé, nourri, choyé, gâté, soigné, chéri, aimé, cet enfant que nous avons emmené dans des musées, dans les médiathèques où nous passions des après-midi entiers à lire avec lui et pour lui, cet enfant que nous avons élevé dans la littérature et la culture, à qui nous avons inculqué notre goût des Lettres et du théâtre, de la musique et du cinéma, cet enfant dont nous avons salué le génie dès lors qu'il a pu (obligé par son professeur de Français) lire du Zola : « Il a lu cinq pages de Zola aujourd'hui ! Et deux pages de l'Etranger de Camus ! Allelujah !.. Il a lu le résumé de Marguerite Duras sur internet mais sans le recopier comme un scélérat et il a eu 18 sur 20 à son contrôle de lecture, Allelujah ! »
Cet enfant, guitariste hors pair, musicologue très doué, fin connaisseur des mouvements musicaux apparus dès 1958 jusqu'à aujourd'hui, ce jeune homme si charmant, si blagueur et dont la zénitude face aux impératifs de la vie domestique, privée, sociale est particulièrement admirable, cet enfant, le nôtre, nous a sidérés.
Regarder Téléfoot, en pyjama, le dimanche matin, sur TF 1 !
Force est avouer que ce n'est pas notre culture...

Mais le dieu grec, torse nu et le ventre poilu de quelques touffes mâles, pectoraux impeccables, bas de jogging confortable, nous fait signe de nous taire : l'émission vient de commencer...

— Heureusement, c'est juste un mug de thé... ajoute ma femme dans un murmure.
Eh oui ! Réjouissons-nous... Tant qu'il ne tient pas une Kronenbourg d'une main, une cigarette de l'autre pendant que sa femme fait le ménage, on peut penser que nous avons, tout de même, réussi son éducation à notre Chaton... !
Hein Fiston ? :)
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Liza
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Re: Chaton (chronique)

Message par Liza »

Suis-je encore une chatonne ?
On ne me donne jamais rien, même pas mon âge !
 
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Montparnasse
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Re: Chaton (chronique)

Message par Montparnasse »

Plein d'humour :super: Mais tu sais, Dona, on peut apprécier le panthéon grec et regarder « Téléfoot ». Personnellement, j'ai une culture « honnête » et je peux trouver du plaisir à regarder un match de rugby (ou m'y ennuyer...) Pas de sectarisme, donc ! ;)

nb : d'ailleurs, le rugby est un sport passionnant, vif, intelligent, avec des règles complexes. Je le mets au même niveau que les jeux grecs de l'antiquité. ;)
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
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Dona
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Re: Chaton (chronique)

Message par Dona »

Oui, je comprends... Mais vois-tu, je voulais montrer un peu de bêtise chez ces gens-là qui paraissent très cultivés mais un peu intolérants sur certains points. Sauf que, comme c'est le personnage qui raconte, il ne peut pas se juger lui-même...

Merci d'avoir lu Montparnasse ;)
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