La chèvre de monsieur Seguin.

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Le Merle Blanc
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La chèvre de monsieur Seguin.

Message par Le Merle Blanc »

Pour les petits merles qui n'aimaient pas, quand je leur lisais cette histoire, que la
petite chèvre meure et que le moment de plaisir finissait en pleurs...
J'ai réécrit ce texte à ma façon.

Qui a lu les lettres de mon moulin , a croisé sur son chemin la chèvre de Monsieur Seguin ,
où la petite bête blanche assoiffée de liberté heurte la route du monstre assoiffé de sang, et,
après une lutte sans merci, succombe aux petites heures du jour.
C'est la cruelle histoire de la vie, simulacre de la bêtise des hommes où l'histoire se répète
et s'abreuve du sang de ses congénères, combat après combat, siècle après siècle. Tout le livre
de l'humanité se résume en quelques mots : naissance, obéissance soumission, guerre,
esclavage et...mort . Pourquoi ne pourrait-on rêver d'un monde où, au lieu de faire peur aux enfants
par des récits sanglants, ceux -ci finiraient dans l'amitié et l'amour ? Dans un monde où tous
s'amuseraient sans larme de sang, sans haine, dans le mépris de l'enfer et de ses méfaits,
Pensant aux rires des enfants et à leurs yeux qui s'enflamment, nous allons réécrire l'histoire
de la chèvre de Monsieur Seguin.
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Dans des contrées où l'hiver est rude, où la vie est dure au cœur des hommes, où les revenus ne suffisent pas à nourrir l'être humain ; vivant seul dans sa petite chaumière au creux sombre d'une vallée entourée de hautes montagnes, monsieur Seguin végétait entre un jardin où grandissaient hirsutes quelques choux, quelques poireaux, un peu de betteraves et de pommes de terre... Son seul plaisir il le prenait d'une petite étable où, tous les soirs, il tirait le lait de sa fortune  d'une chèvre blanche qu'il avait appelé Blanquette, et dont il se régalait.

Tout le jour Blanquette tournait et retournait ses pas dans un petit pré que son maître avait pris soin de clôturer hautement pour le sécuriser...Seule, la chèvre s'ennuyait, pleurait une liberté qu'elle imaginait superbe. Elle était l'esclave d'un homme qui ne la gardait près de lui que parce qu'elle lui fournissait le lait quotidien... Bien sur elle ne manquait de rien, eau, nourriture, quelques mots gentils, et la nuit, une étable fermée pour la préserver des crocs acérés des loups.

La légende courait la plaine comme un souffle d'air malfaisant que le loup, animal sanguinaire, se nourrissait du sang des moutons et des des chèvres. Tels les mauvais racontars , l'ours et le loup faisaient figure de monstres incapables de sentiment et d 'amour ; pourtant la légende dit aussi, que de sa vie, le loup n'est le mari que d'une seule louve qu'il aime et sert jusqu'à sa mort, ce que nombre d'êtres humains sont incapables de faire.

Bref, Monsieur Seguin gardait pour lui ce petit trésor de blancheur...Mais la bête, éprise de liberté, se mit subitement à dépérir. Elle refusa d'abord de s'alimenter, puis se coucha ne voulant plus sortir de l'étable... Un matin, elle fit la grève du lait.... Monsieur Seguin avait bien repéré le moral en baisse de la «  cabrette », aussi l'interpella- t-il :
« Alors Blanquette!que ce passe-t-il, c'est fini, tu refuses de me servir mon lait ?
Quel ne fut pas sa surprise, d'entendre la bête lui répondre :
- Ah mon maître, je crois que je me meurs.
- Pourquoi mourrais-tu malheureuse ? Peut-être crois tu que je ne m'occupe pas assez de toi ? Que je te nourris mal, que ton étable est petite, trop sombre ?...Veux-tu que je fasse percer une autre fenêtre pour laisser passer la nuit et la lune?
- Cela ne servirait à rien mon maître...Il y a que je me meurs d'ennui.
- D'ennui ! Mais que veux-tu que je te donne de plus ?
- La liberté mon maître ! La liberté !
- La liberté malheureuse...mais tu n'y penses pas !
- Je veux être libre, je veux courir dans la vallée, escalader les roches les falaises jusqu'aux cols les plus hauts. Je veux, tel le chamois, sauter de glacis en glacis au risque de me rompre les os...Mais je veux mourir libre!
- Mais idiote, ne sais-tu pas que dans la montagne il y a le loup?Le loup assassin qui te dévorera !
- Je ferai comme dans les livres mon maître, je lui donnerai des coups de cornes.
- Oui, tu le feras ! Au petit jour tu finiras dévorée, ta belle fourrure blanche se couvrira du rouge de ton sang.
- Ce n'est qu'un livre mon maître, rien ne prouve que cela soit la réalité.
- Certes, ce n'est qu'un livre, mais souvent les écrits sont les reflets de la vie.
- Bon nombre d'eux sont le récit de contes fantastiques comme...comme le petit chaperon rouge.
- Je ne veux plus discuter avec toi, tu es trop obtuse !...Allons, reste dans le noir, cela te permettra
de méditer sur ton sort »

Sur ces mots, Maître Seguin sortit, poussa le battant de la porte, fit jouer la clé et, en bougonnant ; d'un pas rendu colérique par l'excentricité de la chèvre, rejoint la douce chaleur de son logis.

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Bien au chaud dans son lit, Monsieur Seguin dort du sommeil du juste...A quoi rêve-t-il? Il rêve d'un trou noir, où seul ne brille qu'un croissant de lune, rien ne bouge, pas même une feuille d'arbre... Puis il voit un aigle blanc franchir la nuit, son cri strident accrochant les oreilles...Soudain, le cri se transforme en un bêlement moqueur et il a l'impression que l'aigle vole sur quatre pattes et qu'il est muni de cornes...Il se réveille d'un coup, la tête lui tourne encore de sommeil, peu à peu ses sens reprennent le dessus...Il comprend son abominable erreur.Il a oublié de verrouiller la fenêtre, la chèvre a mis cette erreur à son profit pour s'envoler vers la liberté.

D'un bond hors de son lit, il court à l'étable...vide ! La fenêtre est ouverte, une touffe de poils s'agite accrochée à l'appui narguant en tremblant la vue du maître . La coquine venait de ramener ses rêves de liberté à la plus simple réalité... Dans le noir environnant, Maître Seguin se laissa aller à sa lassitude, s'adossant au mur froid en tentant de réfléchir.
« Blanquette ne peut aller très loin, songe-t-il, la nuit n'est pas d'un noir absolu mais la bête ne connaît pas la vallée, seul lui sont familier son pré et son étable...peut-être prendra-t-elle peur, peut-être n'est-ce qu'une escapade, et demain, le jour revenu, la chèvre sera de retour dans son enclos ».Sur ces pensées, qu'il trouvait charmantes, Maître Seguin retourna finir sa nuit, laissant l'étable ouverte .
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La lune éclairait joyeusement les voiles nocturnes, quelques nuées éparses glissaient sur l'encre de la nuit faisant jouer à cache-cache l'astre lunaire ; un sinueux sentier trottait dans la vallée partant à l'assaut des contreforts rocheux... Peu à peu, la vue de Blanquette s'habituait à l'ombre, elle distinguait les reflets gris des roches, les buissons tendrement ballottés par la douce brise.Une main de velours semblait lustrer sa pelisse sous une caresse, elle était bien, elle était libre.
Pendant un temps qui lui parut infini, elle cabriola dans l'herbe haute, se roula au bord du ruisseau, mira son reflet sur la toile de l'eau, puis repue de ses jeux, elle s'assoupit un moment au cœur chaud d'un buisson.

Quand elle ouvrit les yeux, le soleil dessinait de ses fils d'argent le pourtour des cimes. Rapidement, le rose et l'or scintillèrent sur l'habit blanc des montagnes, puis le gris se prononça aux endroits désertés par les neiges... Inexorablement, le jour gagnait du terrain et bientôt la vallée, encore livrée aux griffes de la nuit, subirait à son tour les assauts d'un nouveau jour. ..Un coq chanta, un autre lui fit écho et toute la vallée fut livrée aux vocalises volaillères.
Blanquette se reput d'herbe fraîche, se désaltéra dans l'eau glacée d'un ru, puis sans un regard vers les maisons du hameau, elle s'élança vers les premières pentes...

Tout le jour elle s'enivra de soleil, de vent, de courses folles sur des pentes de plus en plus abruptes, de longs moments de repos à méditer sa joie nouvelle...Elle n'était plus la petite chèvre d'un seul maître, elle appartenait à la montagne, elle se voyait fille des hautes cimes, turbulente déesse des aiguilles et des pics...
Libre ! Elle était libre ! Quel bonheur !

Un moment elle s'immobilisa sur une corniche, plongeant son regard dans la vallée qui s'étalait loin en dessous... Elle reconnut le hameau, le clocher de la chapelle...Il lui sembla entendre une cloche... mais peut-être était-ce le vent qui cognait sur les roches.
Soudain elle la vit, un peu à l'écart du hameau, petite, minuscule, avec son pré guère plus grand qu'un timbre poste...Pour sur, si elle posait son sabot dessus, la chaumière disparaîtrait à tout jamais... Elle retint un éclat de rire. Comment avait-elle pu végéter dans un si petit clos ? Comment avait-elle pu dormir dans le jouet que lui semblait être l'étable?.. De dépit, elle tourna la tête, releva le regard et se laissa pénétrer par la grandeur des cimes...Elle reprit sa vaillante ascension.

Elle était montée haut, depuis longtemps l'herbe avait déserté les sols, les derniers pâturages verdissaient loin derrière, seul par endroit, dans des fissures, quelques brins s'accrochaient désespérément aux roches. Quelques mètres plus haut, ce furent les roches qui s'accrochèrent aux roches , nul herbe ne souillait le granit sur les pentes devenues verticales...infranchissables.
Blanquette dut se résoudre à rebrousser chemin ; mais le soir arrivait,la chèvre sentit sur elle le souffle frais qui annonçait la fin du jour, l'astre lumineux accentuait rapidement sa descente vers les ombres saturnales... Les roches se teintèrent de l'ocre et du roux du soleil couchant ; les vallées s'emplirent de brume puis de nuit, tandis que les cimes rayonnaient encore.

Tous les rayons s'éteignirent enfin comme des bougies soufflées par l'haleine du vent. Le noir glauque recouvrit les crêtes et comme les nuées tapissaient le ciel, nul astre dans la nuit ne dispensait sa lumière...Le froid s'accentua, la chèvre frissonna.Quelques gouttes tapèrent le sol et la pluie déversa ses pleurs sur les faces rocheuses les rendant glissantes.
Dans le noir Blanquette perdait ses repaires ; elle avait tellement tourné, sauté, cabriolé en tous sens durant toute la journée qu'elle était totalement désemparée au seuil de la nuit.Timidement, elle osa quelques pas , ses sabots dérapèrent sur les roches lisses,elle s'arc-bouta pour freiner sa chute, mais hélas le glacis, trop court, ne put la retenir...Elle chuta.

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Combien de temps dura son inconscience ? Elle ne le sut pas .Lorsqu'elle reprit ses sens, elle avait très froid, elle voulut se lever mais une douleur aiguë l'immobilisa de suite...Elle tenta de se tourner sur le coté ...ses pattes arrières refusèrent de la suivre .
« Me voilà bien, se dit-elle, j'ignore totalement où je suis, je suis blessée, seule, perdue dans le froid, dans la nuit ...que vais-je devenir ? Moi qui est omis de prendre mon téléphone portable »

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Soudain, elle sut qu'il était là...Ce fut d'abord un simple glissement contre les roches , quelques imperceptibles crissements des griffes sur les pierres, elle vit deux étoiles lumineuses se déplaçant près du sol... Elle ferma les yeux, elle n'aurait pas comme dans les livres le privilège de se battre jusqu'au matin, elle allait se faire égorger par le monstre... Le souffle d'une chaude haleine caressa son encolure.
« Pitié monsieur le loup, je suis une pauvre petite chose blessée ; s'il vous plaît ne me mangez pas ...je ne suis peut-être même pas comestible...pitié, s'il vous plaît »

Le loup partit d'un grand éclat de rire :
« Pourquoi te mangerais-je ? Après le festin de chamois que je viens de faire...Je crois que je reprends du poids moi, il faudra que je me pèse ; que crois-tu donc, je tiens à ma ligne, si je grossis trop je ne rentre plus dans mes fourrures et tout est ci cher de nos jours! »
Malgré le froid, malgré la douleur qu'elle ressentait, la chèvre esquissa un sourire qui se perdit dans le noir, ce fut le loup qui rompit le silence: « trêve de plaisanterie, on papote, on papote...mais à cette altitude, la pluie ne va pas tarder à tourner en neige, et nous allons geler ; ne crois-tu pas que nous serions mieux auprès d'un bon feu?
- Je ne puis plus bouger mes pattes sont blessées !
- Laisses moi voir
- Dans ce noir vous n'y verrez rien
- Ne sais-tu pas que comme le jour, j'y vois la nuit ?
Sur ces mots les yeux du loup comme deux lampes éclairèrent d'un faisceau l'encre nocturne . Il palpa délicatement les pattes de la chèvre .
- Aie ! Vous me faites mal !
- Mille excuses, je vois ce que c'est, il te faudrait de bons bandages, tu as du te faire une entorse, peut-être doublée d'une déchirure musculaire...Tes muscles n'étaient certainement pas habitués au sport que tu leurs a fait faire ce jour.
- Êtes vous médecin ?
- Hum...ce sont des petits rien que j'ai appris à l'école de dissection des animaux...Allons nous en d'ici avant que le froid n'est raison de nos os.
- Je ne peux pas bouger
- Je vais te porter...n'aie pas peur, je serai très doux.
Joignant le geste à la parole, le loup souleva la blessée, se glissa dessous, et l'emporta lentement sur son dos.
- Je vais aller doucement, mais si tu sens que tu glisses, ou si tu as peur, préviens moi. De toute façon, je n'habite pas très loin, nous serons vite rendus.
Ils marchèrent peu de temps en effet, puis le loup se baissa, sembla ramper quelques instant et déboucha dans une antre chaude. La chèvre sentit qu'on l'allongeait sur quelque chose de moelleux, de chaud, elle s'y blottit et, épuisée qu'elle était par sa folle journée, s'endormit de suite.
Maître loup se prit à sourire - Pauvre petite, murmura-t-il, reposes toi bien, demain sera un nouveau jour" Tendrement il la recouvrit d'une épaisse couverture, se coucha sur son canapé, et s'apprêta pour une nuit de veille.
Dernière modification par Le Merle Blanc le 20 août 2017, 09:17, modifié 2 fois.
Le poète est un mensonge qui dit toujours la vérité: Jean Cocteau
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Re: La chèvre de monsieur Seguin.

Message par Le Merle Blanc »

Il faisait jour depuis longtemps, maître loup avait pris son café, mangé quelques toasts (pas trop, attention à la ligne) quad Blanquette émergea de son sommeil...Elle ouvrit les yeux sur un paradis...
Les roches de la grotte étaient tendues de fourrures diverses ; au centre, dans un foyer de pierres ouvragées, brûlait un feu bienfaiteur dont la fumée était aspirée par un astucieux système de tuyauteries dissimulées de l'œil par des guirlandes de branches vertes... Les tapis du sol recouvraient un parquet lustré à souhait se laissant admirer seulement à quelques endroits. Canapé, fauteuil, table et buffet, tout était rutilant de propreté...Les glaces des armoires reflétaient la lumière d'un lustre qui, sous la voûte élevée, se balançait au bout d'une chaîne... De la cuisine, dans le fond, montait un agréable fumet.

Blanquette tourna la tête, sur le canapé, le loup, étonnamment, fumait la pipe. IL aperçut l'éveil de la chèvre.
« Bonjour, quelle nuit vous avez faite...Vous êtes restée endormie près de quarante huit heures... Avez-vous faim?
Blanquette fit un bond, curieusement, aucune douleur ne l'empêcha de se mouvoir...Elle s'étonna:
- Mais, je n'ai plus mal ! Elle se leva, tint debout.
- C'est génial ! Je peux de nouveau marcher !
- Je me suis permis de vous soigner, vous en aviez besoin...heu...vous n'avez pas répondu à ma question... avez-vous faim? partagerez vous le déjeuner avec moi ?
De la cuisine, un grondement partit : - A non Clotaire ! Tu ne vas pas encore te mettre à table ! Tu t'es regardé, tu m'as encore déchiré une fourrure cette semaine, qui est-ce qui coud dans cette maison?.. Tu ferais mieux de te remettre au sport, à quoi sert ce vélo d'exercices qui dort dans la chambre?
- Ma chérie, je te promets de faire plus attention...Il n'empêche que Blanquette a faim et qu'il serait mal élevé de la laisser seule se restaurer.
- Tous les prétextes sont bons ; toi tu n'auras droit qu'à trois biscottes...et, inutile de discuter »
Madame louve mit la table ; la chèvre, discrètement la regardait. C'était une grande louve brune aux oreilles pointues, aux yeux verts en amande, aux longs poils savamment peignés, elle était d'une propreté soignée.
Elle se nommait Sylviane, elle était belle , aimable, chaleureuse, comme son homme (Oh ! Pardon, comme son loup)
-Thé, café tisane ? Du pain du beurre ? Des confitures ? Jambon, saucisson, ? Tous ces mets que la louve lui présentait sur la table éblouissaient la chèvre...Elle qui n'était habituée qu'à son fourrage .
Du bout des dents, elle grignota un croissant : « mais c'est vachement bon ! »Elle se mit à le dévorer...Les pains au chocolat, aux raisins, la confiture le beurre ; elle goûta de tout, mangea de tout.Elle essaya le café, préféra le thé, voulut fumer une cigarette sous les regards amusés de ses sauveteurs... Enfin, repue et joyeuse, elle se coucha pour une nouvelle sieste.
« Tout de même, rêvassa-t-elle, les loups ne sont pas aussi méchant et sanguinaires que les décrivent les livres... où alors, je suis tombée sur une exception. Ils ont l'air si gentil, il paraît si simple de s'en faire des amis. »..De nouveau le sommeil la submergea.

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Loin dans la vallée, monsieur Seguin n'avait pas fini de se désoler sur son sort, il pleurait surtout son bol de lait quotidien ; il lui fallait désormais tous les jours aller à la ferme voisine, bien loin pour ses pauvres jambes, quérir son litre de lait, qu'en plus il devait payer ; et qui, lui semblait-il, était moins bon et moins parfumé que celui de Blanquette.
« Mais mon Dieu ! Pourquoi cette garce de chèvre avait-elle mis les voiles? »
Il ne la retrouverait jamais, c'est sur ; tant de loups couraient par la montagne.Il imaginait la blanche fourrure maculée de sang, lacérée de coups de crocs...Il se prenait à essuyer une larme ; mais il ne fallait pas s'apitoyer... Elle a voulu prendre sa liberté, grand bien lui fasse ; il lui fallait une autre chèvre.

Il se tourna vers sa fenêtre, il pleuvait averse ; l'eau ruisselait des pentes rocailleuses ravinait les maigres terres sur son passage et allait grossir le cour du torrent qui commençait à rugir de son trop plein de liquide.
« Demain, si le temps le permet, je pousserais jusqu'au (beau- puits)peut-être le père Mathias aura-t-il une chèvre à me vendre, que dis je une, la chèvre s'ennuie chez moi, il lui faudrait une compagnie, l'étable est grande, une deuxième...pourquoi pas trois?.. Une seule suffit à mes besoins, pas de dépenses inutiles!.. De plus, trois chèvres chambouleraient mon emploi du temps, il faudrait que je me mette à faire quelques fromages, que je me lève de bon matin attendre le laitier, cela ruinerait mon précieux temps de repos"
Vous l'avez compris, monsieur Seguin avait le caractère un peu trop porté sur la paresse.

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Dans l'antre du loup, Blanquette reprenait des forces à fortes doses de consommation de légumes et de viandes fraîches qu'elle trouvait délicieuses.IL faut dire que Sylviane, entendez la louve, était un véritable cordon bleu, que ses recettes toutes plus sublimes les unes que les autres, et ses entremets de véritables régals... Pas étonnant qu'avec de tels menus, le loup peina à tenir la ligne.

Voila maintenant une semaine qu'elle était l'hôte des loups et la raison lui commandait de prendre le chemin du retour. Elle avait eu ce qu'elle voulait, elle avait goûté la liberté, vu que les livres n'étaient pas que des réalités, trouvé de charmants amis. Regardant autour d'elle, elle se dit que son étable lui paraîtrait bien triste en vue du paradis qui l'avait accueillie, mais qu'importe elle ne pouvait abuser plus longtemps de la gentillesse des loups.
Le loup, comme s'il avait lu dans ses pensées « -tu veux partir Blanquette, tu t'ennuies ?
- Je ne m'ennuie pas, vous êtes si gentils, si prévenants, mais il serait mal aisé que je profite plus longtemps de vous.
- La route est longue jusqu'au hameau petite, tes pattes ne sont guère encore solides...Un où deux jours de repos de plus te feraient le plus grand bien.
- Peut-être, mais si je tarde trop mon maître va quérir une autre chèvre, et moi je ne serai bonne que pour la boucherie.

- Ne te tracasses pas de cela, Sylviane et moi avons fait le nécessaire, aucune chèvre à trente lieues à la ronde n'acceptera de suivre ton maître...Elles le chasseront toutes à coups de cornes dans le fessier, tu peux rire, j'ai même réussi à convaincre les boucs du bien fondé de ma démarche.
Le loup respira bruyamment _Il se pourrait même que tu trouves quelques changement dans ton cadre de vie car certaines de mes connaissances se chargeront de faire comprendre à ton maître que les animaux ne sont plus les esclaves des hommes.
- De toute façon, je ne sais comment retourner sans me perdre ; j'ai tellement couru, sauté, tourné et retourné, sans jamais me repérer, que je serai incapable de redescendre.
- Tu n'as donc pas de (GPS) ?
- De quoi ?
- Laisses... ce n'est pas grave, je te raccompagnerai »
Loup et chèvre s'endormirent sur l'épaisse fourrure tandis que la télé diffusait de sublimes sonates et que les flammes du feu dansaient sur les notes folles.

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Le soleil dardait ses rayons comme des pointes de feu sur les cimes acérées, le froid de l'altitude bleuissait le ciel de tons lavande, une
bise déjà annonciatrice d'automne sifflait dans les couloir rocheux, quand maître loup décida qu'il était temps de retourner dans la plaine.
Il s'équipa de son petit sac à dos dans lequel il avait chargé une multitude de choses aussi incroyables les unes que les autres...C'était une véritable caverne(d'Ali baba) que ce sac, on y puisait de tout, de l'équipement de survie, jusqu'à la pharmacie, sans oublier le traditionnel parapluie...
En réfléchissant un peu, on pouvait se croire dans le sac de (Joséphine ange gardien).
Ils prirent la route après les traditionnelles embrassades d'adieu.Blanquette ne tarissait pas d'éloges sur la parfaite hospitalité qu'elle avait reçue, tandis que la louve ne cessait de minauder sous cette pluie de compliments.
Ils marchaient lentement, la brume humide des pluies précédentes garnissait les vaux d'un intense brouillard et partout les ombres se mêlaient aux blafards rayons d'un soleil tamisé...La descente fut longue, la chèvre n'étant pas encore tout à fait sure de ses pattes sur les
roches glissantes... Le soir, ils stationnèrent sur une corniche surplombant la vallée d'où l'on pouvait voir au loin le hameau, et, un peu à l'écart, le pré et la chaumière.

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Pendant les jours de la semaine, maître Seguin n'avait pas cesser de courir. Il avait battu la plaine, marché par toutes les lieues, visité tout les domaines...mais aucune chèvre n'avait accepté de le suivre. Les propriétaires eux mêmes n'y comprenaient rien.
On aurait dit que, dirigées par les boucs, les chèvres faisaient la grève de la vente...Dès qu'on voulait les encorder pour les mener vers d'autres endroits, elles se rebiffaient, cornes en avant, fonçant têtes baissées sur le futur maître. Monsieur Seguin ressentait douloureusement, à un endroit postérieur de son anatomie, les coups de sabres des bêtes déchaînées.
Nul ne comprenait pourquoi elles se comportaient de la sorte...Tous les fermiers se désolaient, on croyait en une émeute... Dans certains domaines, les chèvres refusaient de fournir le lait journalier. Comme muent par un effet de boomerang, les brebis en firent autant... Les femmes et les enfants commencèrent à se désoler du manque de lait et de ses produits dérivés.
Monsieur Seguin tenta de remplacer son verre quotidien par du jus de carottes, mais cela ne dura pas, comme complices et solidaires, les carottes en vingt quatre heures, pourrirent dans le sol... Monsieur Seguin dut se résoudre à boire de l'eau.

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Tandis que Blanquette, suivie de son garde du corps traversait la vallée, elle fut accueillie par un concert de bêlements tous plus joyeux les uns les autres.Les volailles joignirent leurs grêles sonores au chant puissant des quadrupèdes. Quelques vaches, dans le lointain, battaient la mesure de leurs graves meuglements, et les échos répercutèrent à l'infini par delà les monts, la mélodie animale .
De derrière ses carreaux, maître Seguin vit arriver la chèvre et le loup.S'il n'avait pas eu si mal à ses arrières, il serait tombé dessus! Comme si de rien n'était, sans un regard pour la maison, Blanquette se dirigea vers l'étable. Le loup, aimable, lui ouvrit la volée... Quel spectacle seulement ! Là où naguère gisait de la paille polluée, le sol resplendissait , un épais tapis cachait la structure maçonnée, les murs isolés sentaient la douceur qu'un chauffage dans l'angle diffusait...Et puis quelle clarté! La fenêtre avait triplé de surface donnant sur le pré qui avait été agrandi...
Sur une table des fruits ruisselaient d'une corbeille, tandis que, sortie d'on ne sait où, une musique envoûtante caressait les oreilles.Tout dans se lieu donnait envie d'y vivre et d'y demeurer .
Maître Seguin ne savait quelle attitude adopter ; il avait fait ce que lui avait dit les animaux, l'étable était devenue un studio douillet où même un écran plat trônait sur une colonne de granit. Le sol de terre battue où avait suinté le fumier, était bétonné et carrelé, recouvert d'épais tapis, les murs tapissés et repeints.Le chauffage avait été installé ; de gros coussins dispatchés entre les meubles, rendaient la pièce chaleureuse...Mais comment Blanquette allait-elle réagir à ces bienveillances ?

Enfin il se leva, posa sur ses épaules une vielle veste, et, nonchalamment,comme par hasard, il se dirigea vers l'étable. La porte était restée ouverte, il y attarda un œil . ..Il n'en crut pas son regard, le loup se pavanait devant l'âtre, riant à belles dents déployées avec la chèvre... Mais que pouvaient-ils donc se raconter?.. Il glissa la tête dans l'encadrement.
« Oh ! Mon maître ! Entrez, bienvenue chez moi, je ne vous ai pas trop manqué j'espère ? Mes petites vacances n'ont-elles pas perturbé votre semaine ?...J'allais oublier, merci, c'est très agréable de prendre un logement refait à neuf... Et puis cette douceur, jamais je n'aurai cru que ce fut possible...Oh, mais je manque à tous mes devoirs, asseyez-vous, prenez place ; je n'ai pas grand chose à vous offrir, je viens juste d'arriver, je n'ai pas eu le temps de faire les courses.
Penaud, maître Seguin noyait son regard dans la laine du tapis.
- A propos mon maître, combien vous faudra-t-il de lait demain ?.....comme d'habitude,n'ayez crainte se sera prêt.
- Blanquette, je ne sais comment te dire...me promets-tu de rester ? Tu sais s'il te manque quelque chose pour ton confort dis le moi, j'y remédierais ...Tu as vu, j'ai agrandi l'enclos, et la porte s'ouvre même de l'intérieur tout comme celle-ci, il désigna la croisée de l'étable.
- Ne vous fatiguez pas mon maître, si je veux jouer les filles de l'air, pas besoin de portes, la fenêtre me convient.
- Tu penses repartir ?..mais les loups ?
- Les loups, dit-elle dans un éclat de rire, expliquez moi pourquoi celui-ci ne m'a pas dévorée ?
Maître Seguin posa un regard en coin sur le loup qui semblait prendre un malin plaisir à ces échanges verbaux.
- Je ne veux pas de clôture, reprit la chèvre, je vous promets d'être tous les jours à l'heure pour la traite...Voyez-vous, une clôture c'est comme les barreaux d'une prison, même à l'air libre on est enfermée... Il faudra aussi arracher ce pieu, et brûler la longe
- Ah ! Mais si je t'attache, il faudra bien que tu dures !
- Si vous l'attachez, intervint le loup, mes dents la libéreront et vous ne la verrez plus.
- Soit, vous êtes peut-être un bon loup...mais les autres ?
- Les autres maître Seguin, j'en fait mon affaire. Et il montra ses belles dents.
- Il faudra aussi que je puisse recevoir ce loup et sa compagne...Et je veux le pouvoir quand bon me semblera. En outre, s'il vous prenait l'envie de me trouver une compagne, ce serait généreux, car cela couperait mon ennui. 

Le lendemain matin, comme par magie, les chèvres de la vallée étaient toutes prêtes pour la traite.
Les légumes cessèrent de pourrir ...Les ventes purent reprendre, maître Seguin acheta deux jeunes chèvres jumelles qui vinrent égayer le pré et l'étable." - Ainsi, dit-il, quand la Blanquette s'absentera, j'aurai toujours mon lait."

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Blanquette circulait dans le village les jours de marché emplissant son panier de ses achats, et nul ne trouvait à y redire. Les jours où elle achetait de la viande, tous savaient que les loups étaient invités à un bon repas...Aussi, maître Seguin sut-il tirer profit de la situation .
IL possédait au dessus de sa chaumière un terrain inculte, il le fit niveler, y installa un grand parking, y posa une buvette ; il hissait un drapeau vert les soirs où les fêtes animales battaient leur plein . Ainsi, les touristes des environs vinrent discrètement photographier la convivialité animale.
Loups et chèvres s'aperçurent de ces va -et -vient, mais y prenant un malin plaisir, ils firent comme s'ils n'avaient rien vu.
Maître Seguin a trouvé un bon moyen pour arrondir ses fins de mois.La chèvre fait l'ignorante ne se souciant guère des regards inquisiteurs, elle vit à fond sa liberté.
Ainsi finit notre histoire, la liberté a triomphe.Dans la vallée,dans les étables, un vent de changement souffle entre les poutres au grand désarroi des maîtres qui ne savent quelle attitude adopter.
Souhaitons que Blanquette, devenue meneuse de ses congénères, saura les diriger dans le calme vers l'évolution de leur situation et que comme dans notre histoire tout se passera le mieux possible...Mais méfiez-vous petites chèvres, les loups ne sont pas tous gentils...Ils s'en trouvent parfois même parmi les hommes.

….................................................FIN Mai Juin 2014
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Dona
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Re: La chèvre de monsieur Seguin.

Message par Dona »

AH c'est génial !!! :bouquet:


Magnifique idée cette transposition d ela Chèvre de M. Seguin :)

Le langage poétique fait bien écho au style de Daudet, la philosophie naïve est très appropriée. On garde le conte mais on le modernise, on l'humanise et on l'embellit.

Bravo ! Tes enfants ont dû se régaler ;)
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Le Merle Blanc
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Re: La chèvre de monsieur Seguin.

Message par Le Merle Blanc »

Après Liza hier sur le "chat", c'est toi qui aujourd'hui trouve cette petite transposition
de la "chèvre de monsieur Seguin" assez plaisante. Merci à vous à plus.
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