Vous avez dit – un ange ?

Avatar de l’utilisateur
MystiGrigri
Jeune colibri
Messages : 30
Inscription : 05 avril 2017, 10:32
Localisation : Perdue entre le temps et le langage

Vous avez dit – un ange ?

Message par MystiGrigri »

Hola les spleenéins !
Alors, je me lance dans la publication de mon premier texte sur le forum, qui est bien loin d'être mon premier texte en réalité, il date de janvier/février, je l'ai écrit en un mois lors de quelques cours en peu trop soporifiques par-ci par là. Ben oui, être en prépa, ça ne veut pas dire qu'on ne s'ennuie pas, parfois ! Du coup, je demande également pardon pour les éventuelles fautes d'orthographes ou de frappe ! Je poste ce texte-ci car il s'agit du seul qui soit déjà entièrement tapé sur Word, ce n'est pas spécialement le premier que j'aurais voulu mettre, mais comme je suis une flemmarde en manque de temps, je vais devoir m'en contenter. Je vais d'ailleurs devoir le poster en deux fois, même en écrivant, je m'étale tellement qu'il ne tient pas, et, fervente utilisatrice d'italiques, il faut également que le transpose ici.

Petit avertissement - et ensuite, promis, je me tais pour laisser parler ma plume, bien que défectueuse - pour les allergiques aux phrases longues : je suis une énorme amatrice (comme vous avez déjà pu le voir) de tirets, parenthèses, virgules et points-virgule, et mes phrases souvent indigestes sont malgré tout à relire plusieurs fois, et lentement. Je vous présente donc tout de suite mes plus plates excuses, surtout que ce n'est pas encore du Proust - et que, de toute façon, tout le monde n'aime pas forcément Proust.

Ah oui, et j'espère aussi qu'il n'est pas trop truffé de cliché navrants, surfaits, mais bon, comme les sentiments sont irrationnels et surfaits lorsqu'ils se décuplent tout seul, on va dire que les hyperboles à rallonge sont légitimes, hein ? Bon, j'espère que cela n'entravera pas votre lecture, ne vous découragera pas en plein milieu ni ne vous donnera envie d'aller vomir, ne me fera pas passer pour une ado en overdose d'hormones ou que sais-je, enfin bref, je vous laisse lire !

____________________________________

– Excusez mon retard, murmura-t-il à l’intention de la professeure, regard incertain et poignée de porte toujours en main, la respiration rapide.

Bien que très à cheval sur la ponctualité, elle lui intima d’un léger signe de tête de s’installer, ce qu’il fit sans plus tarder, refermant soigneusement la porte derrière lui. Sans dire mot pour ne pas perturber le cours, il tira la chaise inhabituellement vide à ma gauche et s’y assit, posant un instant ses yeux sur moi, comme pour s’assurer d’un certain accord de ma part, que j’explicitai en chuchotant « c’est bon », lui souriant brièvement, avant de retourner à mon écran. J’avais senti mes joues rougir imperceptiblement et une douce chaleur y monter – ce qui, en cette triste et froide journée hivernale, ne pouvait être qu’agréable. Je priai simplement pour qu’il ne le vît pas. En quelques secondes, il était opérationnel, et ses yeux étaient rivés sur son ordinateur, ses doigts longs et fins martelant mécaniquement les touches du clavier.

Il était beau ; pas ce genre de beauté presque efféminée ou plastique qu’on imprime sur les pages de magazines pour ados, non, c’était un charme singulier, que jamais, pour tout vous dire, je n’avais pu observer ailleurs, un charme simple – point trop n’en faut – qui, je crois pouvoir l’affirmer a posteriori, attirait mon regard vers son profil sérieux, serein. Des cheveux bruns, ondulés, soyeux, sans être trop longs, s’entremêlaient sur son crâne et semblaient se battre en permanence – ou défier manifestement la gravité – et retombaient sur ses oreilles ou son front, large front qui devait dissimuler une intelligence et une sensibilité sans précédents, mais sans doute incomprises. Sous ses arcades habillées par de longs sourcils foncés trônaient, côte à côte, deux perles d’obsidienne, parfaites, profondes, dans lesquelles semblaient se refléter toutes les merveilles du monde, toutes les émotions rencontrées par lui ou par ceux qu’il avait pu croiser. Elles lui donnaient un aspect on ne peut plus mystérieux, comme un meuble ancien qu’on clôt avec la ferme intention de ne plus jamais l’ouvrir et d’en faire un objet de décoration, témoin d’un passé qu’en dépit de nos connaissances théoriques nous ne connaissons pas. Et, Dieu le sait, on peut en cacher, en mettre à l’abri, des choses, des souvenirs, dans les tiroirs et placards d’un vieux meuble. Son nez – qu’en dire ? – était parfait, centré, proportionné, axe de la symétrie si harmonieuse de son visage, et autour duquel une barbe de quelques jours fleurissait joyeusement, sombre, sans être trop garnie et qui laissait ainsi entrevoir la peau claire de ses joues. Elle entourait des lèvres fines, roses, lesquelles, lorsqu’elles se tordaient majestueusement en un sourire rayonnant qui, par la même, faisait se plisser légèrement ses yeux, m’envoûtaient et faisaient disparaître le monde environnant, pour ne laisser plus que du vide autour de lui – et sa présence envahissait tout.

Rarement je l’avais approché de près, je me contentais souvent de l’observer lorsque nous nous croisions dans les couloirs, attendions le début des cours, ou lorsque je l’apercevais fortuitement et furtivement dans la cour ou le réfectoire. J’aurais pu un million de fois remercier le hasard qui avait fait que, ce jour-là, l’absence de ma voisine s’était accordée avec son retard inhabituel – ainsi qu’avec l’occasionnelle bonne humeur de la professeure qui lui avait autorisé l’entrée – et l’avait ainsi assis là, à une quinzaine de centimètres de moi, pour les deux heures à venir, voire le reste de la matinée. Ce fut la première fois que je distinguai la réelle couleur de ses iris enchanteurs, qui n’étaient en fait pas noirs, mais d’un brun noisette assez foncé, particulier, qui variait selon la lumière et l’angle, l’inclinaison de son visage par rapport à elle, virant d’une teinte de sienne presque ébène à un marron orangé, amande, clair et limpide. Cette variation selon l’intensité et le type de lumière semblait refléter ces regards profonds et dissimulateurs, ou ceux qui au contraire, grands ouverts, nous laissaient lire dans son âme comme dans un vieux grimoire en latin qui livrerait d’anciens secrets oubliés à celui ou celle qui saurait le déchiffrer.

Je pourrais parler d’hypnose, car le regarder, c’était me perdre en lui, m’oublier comme si j’étais le fardeau de trop face à une telle magnificence passive et modeste, l’habitante des galeries souterraines face à l’arpenteur céleste. Il prenait toute la place devant mes yeux et dans mon cœur ; rares étaient les secondes qui s’écoulaient sans que sa pensée ne me parvienne et ne me distraie : il était partout, tout le temps, parfois un peu lointain, parfois se rapprochant dangereusement, vile flamme – mais majestueuse, dansante, joyeuse, unique dans le mélange de ses teintes harmonieuses et singulières ! – frôlant et narguant mon cœur de bois et mon esprit de braises. Au lieu de me dérober et reculer, je m’abandonnais à son image, me lovais contre elle, et dès lors je n’existais plus, j’étais mineure partie de lui qu’on ne distinguait plus.

Sans doute n’était-il pas sans savoir l’effet qu’il pouvait avoir sur les gens, sans doute le lui avait-on déjà maintes fois fait remarquer, et quoi qu’il en soit, ce fut assez pour qu’il ne l’ignorât pas, mais insuffisant pour que cela tournât à de l’égocentrisme ou à un quelconque sentiment de supériorité, lesquels ne furent jamais présent en lui – ou invisibles, indiscernables – ; il était modeste, agissait au quotidien comme si sa prestance, sa présence et ses pensées n’avaient jamais impacté personne, et plaçait tout le monde au même niveau que lui bien que ce ne fût jamais le cas. Je n’affirme pas que personne ne le surpassât en aucun temps et aucun lieu, j’avance seulement le fait certain que, de toutes les personnes qui avaient un jour croisé ma sombre route sinueuse et perdue dans la campagne, en bord de plages désertes ou entre les montagnes escarpées et falaises vertigineuses, il était sans le moindre doute celle dont l’intelligence admirable excédait de loin celle des autres, celle qui m’avait, d’une singulière façon, le plus marquée.

Ce charme que beaucoup ne remarquaient pas, auquel certaines filles – légèrement midinettes, ou encore à baver comme des chiens devant le moindre « beau gosse » ou au contraire vrai homme, comme elles pouvaient dire – s’accrochaient comme des sangsues à la peau, et qu’elles lâchaient, ignoraient voire dénigraient dès qu’elles se rendaient compte qu’elles ne l’intéressaient pas et qu’il y avait en lui un trop grand mystère à élucider, se raccrochant alors à un garçon plastique et populaire qu’elles ne chercheraient pas à creuser – ou en qui il n’y avait rien à creuser – irradiait dans mon monde intérieur, et tout semblait plus beau, et il était inéluctable, et impossible à laisser de côté. C’est que sur son visage angélique se reflétait cette capacité à comprendre les gens, à sympathiser au sens premier du terme, à non pas seulement comprendre la souffrance qui pouvait accabler certaines existences un peu trop amples, mais à la partager avec elles, à en souffrir aussi, quitte à rajouter sur ses épaules une part du fardeau qui s’ajoutait aux siens, pour soulager ceux qui, plus frêles encore, allaient choir sous le poids. En fait, il y avait entre les fins traits de sa figure toute la profondeur de son âme.

(Âme que j’espérais qu’il mettait autant à son propre service qu’à celui des autres, même si c’est rarement le cas.)

Au final, il était , et c’est moi qui n’écoutais plus le cours que d’une oreille distraite, mes doigts cavalant sur le clavier de manière anarchique, et créant sur mon document de texte des suites de caractères illisibles, des mots incompréhensibles – peut-être ne voulaient-ils plus rien dire sur le moment – qui s’accordaient et se complétaient pour décrire une suite d’évènements que mon cerveau allait occulter quelques dizaines de minutes plus tard, comme le voulait la coutume. La professeure parlait-elle une langue ancienne inconnue, ou étais-je tout bonnement devenue sourde ? Mon cerveau ne mettait plus les lettres sur les sons, les images sous les mots.

Je me risquai alors à l’entreprise la plus périlleuse de mon année, de ma vie peut-être, laquelle je ne me serais jamais crue capable d’accomplir, profitant du bref instant de pause que nous accordait notre professeure, qui affichait sur le tableau blanc la première diapositive du nouveau chapitre : je me tournai légèrement vers lui et, dans un élan de courage indicible qui me venait de profonds confins de mon être et dont je n’avais soupçonné l’existence avant ce moment, je lui adressai quelques mots à demi-voix.

– Tu voudras la fin du cours ?

Le drame. La crise intérieure. Ses pupilles se posèrent sur moi – et jamais je ne m’étais sentie aussi sereine sous le regard de quelqu’un ! Son regard était appuyé d’un de ses sourires caractéristiques qui me rendaient fébrile et que j’aurais pu appeler les « soleils » de ma journée lorsque j’avais la chance de les apercevoir, doublé d’une pointe de reconnaissance.

– Merci beaucoup, c’est adorable.

« Adorable ». Sa voix, sa voix ! un délice auditif, doux, qui m’envoûtait par les oreilles – quelles chances avais-je de lui échapper ? il avait mes sens totalement sous hypnose ! – et un ton sucré, pas mielleux, mais simple, léger, amical.

– On voit ça à la fin du cours ? me demanda-t-il, alors que je me remettais de mes transports imprévus, mon attention encore entièrement focalisée sur lui.

– Y a pas de soucis, lui souris-je, une joie indescriptible explosant en moi, détruisant l’équilibre rassurant qu’on met inconsciemment en place et qui n’est parfois tissé que de tristesse ou de nostalgie qui s’entremêlent, et me donnant envie de disparaître avant ladite fin du cours, de me muer dans un silence glacial, ou de ne plus m’arrêter de parler, et rire, et y être déjà, et le remercier pour avoir illuminé ma journée.

Après quoi, le silence était douloureux et reposant à la fois, à savoir lourd après la légèreté de sa voix, et indispensable pour que je retrouve mon calme et me prépare psychologiquement pour l’épreuve supplémentaire qui allait suivre. Cela me semblait à moi-même un tantinet ridicule, car cela n’allait durer que quelques secondes, le temps d’un simple transfert de fichier, de clé USB, avant que la récréation ne le fasse s’envoler à sa place habituelle, de l’autre côté de la salle, deux rangs devant moi. Qu’il allait être difficile de se devoir contenter de l’observer de dos alors qu’il allait avoir passé près de deux heures à côté de moi, de ne regarder que ses cheveux – aussi beaux étaient-ils – après avoir contemplé – discrètement – son profil, son nez, ses yeux, sa bouche ! J’allais pouvoir rêver plus encore qu’à l’accoutumée, nourrissant mes songes de ce que j’aurais vu ce jour, durant un cours de géographie quelque peu inintéressant transformé en un créneau que je n’allais pouvoir oublier.

Les trois quarts d’heure qui restaient devant nous s’écoulèrent anormalement vite, comme si le sablier s’était élargi et les grains de sables affinés, et que les minutes défilaient sans que le filtre temporel ne les tamise comme il le fait ordinairement. Avant d’avoir eu ne serait-ce que le temps de souffler, la sonnerie fit résonner son chant strident et bref, synonyme alors de libération, lorsqu’il fut celui de l’emprisonnement matinal deux heures auparavant. Libération douloureuse ce jour-là pour moi, cependant. Lorsque la professeure termina son cours et nous souhaita une bonne journée, empiétant comme toujours sur notre temps de pause, j’enregistrai mon document et m’apprêtai à lui demander s’il avait une clé pour le transfert lorsqu’il s’adressa à moi.

– Tu es sûre que cela ne te dérange pas ?

Il paraissait un peu gêné – ce qui ne le rendait pas moins charmant, au contraire – et ses jambes remuaient nerveusement sous la table quoique imperceptiblement, pourtant je ne sais ce qui fit que je le remarquai, car son visage ne le laissait qu’à peine transparaître.

– Pas du tout ! m’empressai-je de rétorquer, souriant malgré moi – c’est que je ne contrôlai plus rien, plus rien du tout – et lui présentant la paume de ma main pour qu’il y plaçât sa clé USB. Je ne te l’aurais pas proposé si ça me posait problème, lui assurai-je – et c’était vrai, je n’en pensais pas moins.

De toute façon, j’aurais fait n’importe quoi pour lui, et au vu des conversations que nous avons eu ensuite tout au long de l’année, de peux l’affirmer a posteriori sans en avoir le moindre doute. L’amour fait des choses folles, on se jetterait sous un train sans une once d’appréhension si cela pouvait nous donner quelque valeur aux yeux de celui qu’on a élu malgré nous, ou le sauver lui.

Il me remercia une fois de plus, me donnant son disque dur que je branchai sur mon ordinateur et sur lequel je déposai le fichier, le tout dans un silence qui était cette fois-ci léger et que briser n’aurait pas été affaire impossible, comme il m’avait semblé l’être un peu plus tôt. Je lui souris en le lui rendant.

– Merci beaucoup, c’est gentil, vraiment–

– Rien de plus normal, tu sais, l’interrompis-je sans même m’en vouloir ensuite, car cela le fit sourire de plus belle. Et puis… ce n’est franchement pas grand-chose, ajoutai-je en détournant le regard une seconde, avant de le regarder de nouveau.

¬– Certes, mais c’est déjà super. Tu n’étais pas obligée de proposer.

Il souriait toujours, et moi, je n’étais plus moi-même – lovestruck comme on pourrait dire –, sous le charme au point que j’avais l’impression de ne plus dépendre de moi, d’être une marionnette dont les ficelles étaient entre ses mains sans qu’il ne le sût. Cela peut paraître idiot, je le conçois, un peu cliché, stupide, mais je l’aimais – et l’aime encore – ainsi. J’exagère sans doute un peu, je disposais encore en partie de mon libre arbitre, mais disons qu’il n’avait qu’à parler pour que mes sens s’embrouillent, et il était paradoxalement le seul capable de m’éclairer. Il me plongeait dans une nuit sans lune tout en s’improvisant soleil dans mon ciel aux étoiles lointaines et apparentes pourtant.

J’étais indiciblement heureuse de l’avoir dépanné, d’avoir pu lui être d’une quelconque utilité bien que temporaire, et quelque part j’avais aussi un sentiment bizarre à l’idée que sur son ordinateur se trouvait désormais, perdu parmi le reste des cours, et de sa vie privée, et probablement pour une durée de quelques heures voire quelques jours tout au plus, un de mes fichiers. Il fallait bien que je m’accroche à quelque chose, au peu que nous partagions en réalité, mais qui représentait tout, car qu’avais-je d’autre ? C’est quelque chose difficilement compréhensible lorsqu’il ne s’agit pas de nous, ça semble « cucul la praline » alors que c’est parfois tout ce qu’on a, et donc le plus important. Et le plus petit d’apparence, est parfois le plus profond, de même que la petite pointe qui émerge de l’eau glaciale peut dissimuler un iceberg gigantesque – et face à lui, je ne serais pas moins fragile que le Titanic –, et que la petite plante cache peut-être les racines les plus développées – ou le fruit le plus gros, ou le plus sucré, le plus savoureux. On s’attache à des détails, qui n’ont de sens que pour nous, pas même peut-être pour la personne en face, ou alors sans que ce ne soit su ou convenu. Cela n’a rien d’éminemment incompréhensible, et je pourrais même comprendre qu’on soit prêt à tout pour acquérir un objet ayant appartenu à quelqu’un qu’on aime – cela se manifeste souvent pour une idole qui de loin nous fascine, mais Madame de Clèves, elle, s’était bien débrouillée pour récupérer la canne du duc de Nemours, lequel avait dérobé son portrait ! – ou ne serait-ce que quelque chose qu’il a touchée, possédée pendant quelque temps. Et quand on n’a pas d’éléments matériels, on se souvient des mots, des images, des sourires qui se sont évanouis et des regards qui ont disparu alors que la silhouette s’est éloignée dans la brume, lesquels nous rappellent tous qu’ils constituent des prises plus sûres encore, car là où s’attachent d’eux-mêmes l’esprit et la mémoire, les mains ne sont d’aucune utilité.

J’avais touché son disque dur. Il – lui et ses affaires – avait touché la même table que la mienne. Mon fichier était dans son ordinateur. Il m’avait regardée, parlé, remerciée, souri.
Nous avions quelques minutes en commun à notre effectif.

Il marchait sur le même sol que moi, respirait le même air, observait les mêmes paysages – et ce bien que rien de tout cela ne soit exactement pareil pour lui et moi puisque nos dispositions et perceptions modifient toutes choses et les transforment en représentations singulières inexprimables qui ne peuvent appartenir à nul autre dans leur identité. Notre salle de classe était différente pour lui, différente pour moi, comme l’étaient les rues de la ville que nous avions fréquentées sans savoir que l’autre le faisait – peut-être nous y étions-nous croisés avant de nous connaître, et souvent je me demandais s’il était un jour passé par , ou , et ce qu’il avait pensé, ou ce qu’il pensait à cet instant, quelles émotions se battaient ou se reposaient en lui, quels sentiments, quelles impressions, quelles questions sans réponses.

Des détails. Et ce terme est en lui-même contradictoire avec ce pour quoi nous les prenons – non pas que nous les confondions…
"A leurs oreilles les pas du solitaire retentissent étrangement à travers les rues." F. Nietzsche
"Les expériences humaines se heurtent souvent au limites du langage." A. Dellaira
Avatar de l’utilisateur
MystiGrigri
Jeune colibri
Messages : 30
Inscription : 05 avril 2017, 10:32
Localisation : Perdue entre le temps et le langage

Re: Vous avez dit – un ange ?

Message par MystiGrigri »

[SUITE]

– Je peux rester là jusqu’à midi ?

Ai-je besoin de préciser ma réponse ?

Je me contenterai de signaler le cataclysme qui éclata en moi – car c’était quelques mots de plus, un extra imprévu, et du temps gagné, à ses côtés, car tout à ses côtés serait magnifique même en silence et même en enfer. C’était lui qui demandait à rester, pas moi. Il se sentait bien, suffisamment bien pour demeurer à côté de moi. A côté de moi.

C’était comme si le vent avait éloigné les nuages et le soleil chassé la noirceur – ou était-ce la lune et sa clarté blafarde mais immaculée ? Il étincelait tellement fort qu’il aurait pu ramener le jour en moi, illuminer les abîmes profondes de mon intérieur qui semblaient ne jamais me quitter des yeux et m’avaient maintes et maintes fois faite saigner et rendue aveugle. Quoi qu’il m’eût manqué, il me l’aurait rendu. La vue, l’ouïe, la confiance, l’affection, l’attention ou l’amour – même si la forme serait différente –, il m’aurait tout rendu, sans même me l’avoir pris. Ce que je m’enlevais systématiquement, il me le restituait, comme s’il me l’avait subtilisé sans que je ne m’en fusse rendu compte. Un voleur aux mains de velours, à la discrétion légendaire, un dieu silencieux présent partout et agissant lorsque nécessaire sans jamais qu’on ne le vît. Autant que j’avais conscience de sa présence, son existence, aucun de mes sens ne l’aurait perçu : il était aussi invisible que les étoiles en pleine journée, ou le ciel derrière les nuages. On sait qu’ils sont là, ils n’ont pas bougé, ils ont toujours été là (comme les trois arbres dans la cour), sauf qu’à ce moment-là, on ne les voit pas, ils ne se manifestent pas. Il faut dire que notre cécité constitue un terrain d’action exemplaire, il peut faire ce que bon lui semble sans ne subir aucune conséquence – lesquelles viennent bien plus tard, lorsqu’on prend conscience qu’action il y a eu, qu’on a touché aux choses initiales, qu’on nous a aidé, sauvé, et qu’on n’a rien remarqué. Aveugles et dans le déni, nous sommes. « Non, je n’ai vu personne. Personne. » Et pourtant, au fond de nous, on sait qu’il est passé, et on sait qu’il a joué un rôle qu’on n’aurait pu confier à personne, qu’il se l’est accaparé – et peut-être sans lui-même le savoir – et l’a joué avec une perfection telle qu’on aurait pensé ne la pouvoir attribuer qu’au divin.

Un homme est passé, un homme hors du commun, un homme comme on en rencontre une poignée sur l’étendue de toute une existence arrivée à un terme naturel, un homme de rêve comme je n’en ai rencontré qu’un seul, qu’on croit ne pas exister et qui pourtant marche avec nous sur notre sombre route sinueuse et perdue dans la campagne, en bord de plages désertes ou entre les montagnes escarpées et falaises vertigineuses et la marque du sceau de ses empreintes qui s’enfoncent dans le sol et nous collent à la peau comme un tatouage ou une brûlure au fer chauffé à blanc.

Il fait partie de nous.

(Ou est-ce moi qui fait partie de lui ? Une partie infime, invisible, cachée derrière lui, obscure et imaginaire, presque – mineure partie de lui qu’on ne distinguait plus ?)

Il y a des gens qu’on n’oublie jamais. Au pire – ou au mieux, qu’en sais-je – leur image se confond avec d’autres, se ternit ; leur voix s’assombrit, mue, diminue ; leur silhouette se transforme, se métamorphose, et la démarche caractéristique par laquelle on les reconnaissait de loin n’est plus ; nos souvenirs, propres ou plus communs, se brouillent, s’évadent ; leurs mots se mélangent ou s’affadissent ; le tout s’estompe, se floute surtout, mais il demeure toujours quelque chose avec ces personnes-là, uniques et inoubliables, qu’on regrette de n’avoir pas plus connues. Hyper, mais pas A mnésie. Léger oubli, dans l’absolu. Ca nous heurte, ces gens qui vont toujours rester en nous, nets ou flous, distincts ou confus, ceux qui laissent une trace en notre fort intérieur et qui fait qu’à la manière de la persistance rétinienne on les voit encore là où ils ne sont plus. C’est perturbant de se dire que même des souvenirs prétendument figés vont changer, qu’ils ne sont pas immuables, car les mutations que le temps et la vie en général opèrent en nous – l’expérience, les aléas, les imprévus, l’âge… – influeront sur la perception que nous auront d’eux. Peut-être verront-nous ces évènements d’un œil différent, mais cela peut aller jusqu’à modifier le souvenir même, car nos sens nous trompent et notre raison a peu à faire là-dedans – et nous tromperait de même –, ses tentatives d’interventions sont vaines tant nos émotions sont puissantes face à elle : la mer a plus d’une fois triomphé des murs érigés pour la contrer.

Quelle terrible idée que celle d’imaginer que son visage pourrait m’apparaître distordu dans quelques années, imprécis, incertain ! que cet instant pourrait me revenir en mémoire métamorphosé, faussé, sujet au temps qui aura coulé depuis ! que ses paroles pourraient n’avoir plus de sens, ses mots échangés gommés, alors que justement ici signifiants et signifiés importaient tellement ! Je fais partie de ces gens qui, que cela amène la douleur ou la douceur, aspirent à se souvenir de tout, du moindre détail – de la teinte de ses yeux, la couleur de ses cheveux en bataille permanente, aux émotions dans son regard, la bienveillance, les mots exacts utilisés en s’adressant à moi, le pauvre être insignifiant qui voyait tout son monde en lui ou presque – car l’idée même de l’oubli les terrorise, les fait tomber à genoux, en pleurs, en proie à des nausées et étouffements qu’on ne penserait pas éprouver à des moments où seuls notre cerveau et nos peurs irrationnelles nous jouent des tours, se jouent de nous. Que disais-je : hypermnésie.

Tristes pantins que nous sommes, ne pouvant nous contrôler nous-mêmes !

J’aurais voulu posséder en moi le courage de lui proposer – une chose incroyablement banale – de prendre un verre, juste un verre, là où je savais qu’il avait l’habitude de se poser pour réviser ou composer. Mais ces mots qui se pressaient tels des fauves à l’entrée de ma bouche, cognant contre mes lèvres, cherchant par de multiples moyens à les entrouvrir, les arracher s’il le fallait, les réduire en lambeaux, pour atteindre ses oreilles, son esprit qui leur serait un chaleureux refuge quand bien même sa réponse aurait été un refus, n’y parvinrent jamais. Ils demeurèrent longtemps là, dépités, un goût amer sur ma langue qui contaminait le palais et la gorge, qui aurait même pu s’infiltrer dans mes poumons et m’empoisonner l’oxygène, avant que je ne les ravale complètement – et j’ai regretté avec cette même amertume de n’avoir pu parler, regretté ma lâcheté, regretté mon silence, alors même que je savais que je n’aurais jamais osé, quelque eussent été les circonstances. Il me paraissait trop inaccessible, et, je le pense encore avec remords et douloureuse résignation, il l’est toujours, et le demeurera. Il avait plaqué une paume invisible sur ma bouche qui me réduisait au silence, et ne m’autorisait que des paroles futiles, utiles, et rien d’autre. A quoi peut bien nous servir le langage, si ce dernier ne s’échappe jamais de nous, s’il n’est entendu, perçu par nul autre que nous – et encore – et ne traduit pas ce qu’on veut lorsqu’enfin il parvient à se libérer des chaînes qui l’entravent et le cantonnent à notre intériorité ?

(Chaînes que nous avons pour la plupart forgées nous-mêmes, soit dit en passant, et dont il faut remarquer que la société parfois nous offre un sérieux coup de main dans cette besogne.)

En définitive, je n’ai fait que discrètement le regarder pendant les deux heures qui ont suivi, lançant de temps à autres un regard en coin – la simple perception périphérique de l’être qu’il était me ravissait – avant de revenir à mon écran, qui me donnait la migraine, allié avec le flux exagéré d’émotions qui s’étaient agitées telles des furies incontrôlables, et avaient frappé à coups de poings de fer répétés contre toute la surface exploitable de ma caboche vide. Je crois que je n’étais plus là, j’en demeure intimement persuadée. Mes doigts accomplissaient automatiquement la tâche mécanique de restituer le cours que mes oreilles percevaient, alors que mes idées, elles, vagabondaient dans l’espace, hors même de ma portée, et mon esprit était monopolisé par mes rêveries fantasmatiques, mes idéalisations parallèles de l’existence que j’avais menée jusqu’à lors, et que j’allais mener ensuite sans pouvoir pour autant l’envisager. La salle était une cage dont tout ce qui en moi n’était pas substance s’était évadé par les fenêtres ouvertes – eussent-elles été fermées, elles n’auraient en rien constitué un obstacle à son errance – ou le plafond qui nous dissimulait le ciel – et la pluie qui musicalement tombait dehors.

Je n’étais plus là où il était, j’étais là où il n’était pas, et pourtant : il y était, je vous l’assure, nous étions tous les deux dans un monde dont je ne peux pas même oser dire qu’il n’existait que pour nous deux, mais qui n’existait que pour moi, et duquel il n’avait ni la connaissance ni la conscience. Quel intérêt y aurait-il trouvé ? Certes, nous n’agissons pas au quotidien par pur et simple intérêt – fût-ce par obéissance à l’impératif catégorique kantien ou pour quelque autre raison de conscience personnelle, et morale – ni ne raisonnons seulement en terme d’utilité, pour autant, comment assumer que quelque chose de si personnel aurait pu être traduit et compris par un tiers, quand bien même ce dernier en fît-il partie, selon nos propres idéaux ?

Constamment dissociée de mon corps était mon âme ; toujours loin de là où on la croyait être, en permanente errance, comme une vagabonde sans famille, sans maison, sans patrie et sans univers au point de se voir contrainte de se créer le sien propre qui ne sortirait jamais de sa tête, pas même par le dessin, pas même par les mots. L’Art dans toutes ses formes, et à condition de pouvoir l’atteindre, ne saurait restituer cette exactitude indicible. Et mon corps ? Animé par des automatismes, il restait là, là où il était effectivement, à agir sans réfléchir, boîte hermétique aux alentours dans le sens où cette boîte était vide et ne reprenait souffle et conscience extérieure seulement lorsqu’elle retrouvait son contenu, modifié pour la énième milliardième de fois. A quoi cela aurait-il bien pu m’avancer ? Aux yeux de tous, je perdais du temps – ils auraient pensé que je perdais mon temps s’ils avaient su que ma façade se débrouillait sans mon âme, sans ma concentration – que j’aurais pu employer de manière pratique, et qu’au lieu de cela j’utilisais pour songer à ce qu’auraient pu être les choses si elles avaient été différentes, à ce qu’aurait pu être ma vie si, pour une fois, et à de nombreuses et innombrables reprises – bordel de merde –, j’avais eu le courage d’agir, le courage de parler, le courage d’oser – pour ne pas me perdre dans un infini où je ne me reconnaîtrais pas, dans la mesure où il serait survenu grâce à ma plus totale inaction, faisant par conséquent acte d’action.

La sonnerie de midi s’annonçait donc comme une échéance fatale, car elle allait me ramener de force à la Terre et à la classe alors que j’étais si bien, loin de la réalité, et car elle allait me séparer de mon voisin temporaire, qui n’avait été placé là que par le hasard et la concordance fortuite des évènements et qui, par conséquent, ne reviendrait probablement jamais s’y asseoir.

Toutes choses ont une fin, tout bonheur n’est que momentané – doit-on alors systématiquement parler de joie ? – et dès lors qu’on l’a compris, elles peuvent devenir soit joie plus intense encore, soit souffrance anticipée. Les nuages souvent ne peuvent s’empêcher de voiler les rayons du soleil et imposent ainsi la cohabitation – mais notons qu’un ciel nuageux où se mêlent des teintes contrastées, des ombres et des lumières de manière irrégulière, donnent des couchers de soleils d’autant plus spectaculaires – entre le bleu profond, la lumière irradiante, et le gris terne assombrissant.

(N’oublions pas que la déconstruction éphémère des constellations qu’ opère pour nos yeux la nuit en ne nous permettant qu’une vision lacunaire des étoiles nous offre l’opportunité unique et jamais plus semblable d’en imaginer d’autres pour nous seuls, et que nous sommes libres de garder en mémoire ou d’oublier dès que nous reposons notre regard sur notre monde terrestre, ou notre tête sur notre oreiller. Ainsi se confondent le bleu obscur et le gris sombre en contraste avec la luminosité variable des astres qui parsèment la toile de Prusse et se cachent sous le tapis souris.)

Si le ciel est mon monde, car tout y semble beau, lumineux et sombre, calme et violent, éphémère mais infini car tout y revient toujours, ne doutez pas une seconde qu’il y réside aussi, pour moi – et peut-être est-ce la raison pour laquelle il m’est inaccessible, car mon esprit monte là-haut mais mon corps jamais ne le suit ni ne s’élève là où mon regard aspire et soupire de ne pouvoir s’en rapprocher. Cela pose l’interrogation taraudante qui va suivre : est-il – diable – un ange ?

Nelchaël, Raphaël ; Gabriel, Mikaël…

Gardien du ciel, geôlier de mon âme, chevalier qui protège de loin ce qui ne peut se soulever de terre, il règne là-haut, roi plus que soldat, noble et majestueux au-delà de ce que ne pourra jamais imaginer devenir nul être sur un monde aussi contaminé que le nôtre. Voilà l’adjectif qu’il me manquait : angélique. Sa beauté l’était, si fait que parmi le nombre de garçons et hommes croisés chez qui j’avais pu trouver charisme et beauté de différentes natures, nuls ne m’avaient à ce point frappée ; nulle beauté et nul charisme n’avaient eu sur moi et dans mes pensées des répercussions aussi violentes et durables. Il sortait du lot des hommes communs – du lot des hommes tout court, si j’osais le dire – par ses caractéristiques qui, banales pour certains, étranges pour d’autres, ou que sais-je pour d’autres encore, me paraissaient inégalables, inhumaines, mystérieuses et suscitant, dans leur absence de possibilité d’analyse, un désir furieux de compréhension, et dans leur absence de possibilité d’accès, une envie incontrôlée de les atteindre.

Ses ailes puissantes étaient à l’origine immaculées, pour sûr, mais pour avoir côtoyé en se fondant parmi nous des personnes viles et odieuses, incomplètes, essentiellement imparfaites, sans jamais virer au noir total, s’étaient bariolées de nuances tel un dessin au crayon, et parfois flamboyaient de couleurs éclatantes qui venaient temporairement se greffer là. Il était ange humain, changeant à mesure que changeaient ses fréquentations et actions, s’améliorant de leur passage, jamais ne retrouvant la blancheur de la neige, la lumière du soleil et des étoiles, de la lune – qui n’est pas lisse mais trouée de cratères, cicatrices visibles de la Terre même – qui se mêle à l’obscurité caractéristique qui siège en nous à différents niveaux et à laquelle nul ne fait exception.

Osez affirmer que je ne suis pas folle…amoureuse d’un être que malgré tous ces mots je ne saurais décrire, que je ne pourrais atteindre, qui est infiniment tout ce que je ne suis pas.

Un jour, la boucle se ferme et on n’est plus dedans – ici, ce fut une boucle de quatre courtes heures à peine. Ce peut être pour le mieux, mais parfois on cherche à y pénétrer de nouveau, d’où des retours irrépressibles au passé, en arrière, les tentatives de retrouver ce qu’on a perdu, ce qui s’impose comme révolu et que l’on aspire à contrer en dépit d’une certaine inexorabilité. Même ce qu’on parvient à récupérer ne l’est que partiellement, car il manque déjà le temps, l’instant, qu’on ne récupère pas car il a filé et il ne reste que le souvenir en suspens. Mais une inflexion n’est pas nécessairement une fermeture, elle l’empêche souvent, au contraire, et on peut rentrer.

Je reviendrai.

(Même si ce ne peut qu’être momentané.)

Comment voulez-vous oublier ? Comment ignorer, comment tirer un trait, alors même qu’avec la distance et l’éloignement ces sentiments s’accroissent et grignotent tout ce qui désespérément – dans un ultime instinct de préservation – se hisse contre eux ? Comment laisser s’envoler les détails, laisser se refermer la boucle contenant les personnes, lieux et habitudes que vous êtes tout sauf prêts à laisser partir déjà – car vous avez à peine eu le temps de vous y faire – et que vous voudriez continuer à appeler « routine », « quotidien » ? Comment abandonner ?

Là où je n’ai pas le contrôle, c’est lui qui l’a, indéniablement, et sans même l’avoir sciemment pris. Je le lui ai sans doute donné volontairement, dans un instant d’égarement, d’oubli de moi intense, ou dans un espoir que quelqu’un me sauve puisque je ne parvenais pas à le faire moi-même, puisque j’étais si instable qu’à tout moment j’aurais pu jeter la flamme dans l’eau trouble, opaque et agitée de la mer déchaînée qui entourait de toutes parts ma petite île déserte submersible. Je ne voulais pas me sauver, mais me noyer, oui. Ou, en tous cas, je ne voulais pas être celle qui allait me sauver moi, le monstre des abysses, car donner la flamme était un acte reflétant en lui-même une certaine propension à survivre, à tenter de vivre, plus exactement, c’est-à-dire continuer à brûler d’un feu ardent, pas seulement vacillant, au bord de l’extinction. Mais restait à savoir si lui ne la jetterait pas à l’eau, et cela, je ne me l’étais pas demandé a priori, tant mon acte avait été impulsif et irréfléchi, et tant cela aurait relevé d’une logique de survie trop élaborée pour qu’elle n’eusse été mienne. C’est bien plus tard seulement que j’ai réalisé que c’était là aussi une situation incertaine, quoiqu’elle le fût moins entre ses mains qu’entre les miennes, tant j’étais malléable à souhait par toutes les conditions extérieures et intérieures. Au fond, j’aurais eu plus de contrôle en le lui cédant qu’en le conservant dans le noir – mais je ne pensais pas spécialement à cela en le faisant, je men débarrassais lâchement, je tentais de contrer mes propres envies de disparition soudaine inexpliquée et irréversible en n’ayant pas à me supporter entièrement, alors que paradoxalement je recherchais sur moi le contrôle total, tant physique, qu’intellectuel ou psychologique.

Pourtant, dans les mains d’un autre, sortie de son foyer, son âtre abandonnée, froide, la flamme s’éteint toute seule, s’amenuise, comme si on met sur scène quelqu’un qui ne connaît le texte et ne peut rien dire – l’improvisation peut produire des effets inattendus, encore faut-il pouvoir parler et avoir une idée, même vague, de la pièce – dans la mesure où il ne sait rien de l’endroit où il intervient, n’a jamais joué, ou fait partie de ceux qui, sous le feu des projecteurs, fondent comme neige au soleil et s’étouffent d’angoisse – un peu comme moi. Imaginez qu’il remplace le rôle principal, se substitue au cœur vivant de la pièce à qui on l’a enlevé ; je vous laisse entrevoir le carnage : ni la pièce ni le cœur ne survivent, corps inanimé et flamme éteinte.

Toujours est-il que lui l’a sue garder allumée, tantôt faible, tantôt intense. Elle vacille, demeure au jour le jour, mais éclaire encore de sa lueur la profondeur impénétrable de la nuit.

(Il ne l’a ni jetée dans l’eau, ni laissée mourir ; ses mains la protègent encore de pluies, vents, oubli.)


MG, du 10/01/2017 au 10/02/2017


Merci de m'avoir lue, et encore désolée pour toute faute de quelque forme qu'elle soit, et pour ces ABOMINABLES phrases de 12 lignes...

MystiGrigri
"A leurs oreilles les pas du solitaire retentissent étrangement à travers les rues." F. Nietzsche
"Les expériences humaines se heurtent souvent au limites du langage." A. Dellaira
Avatar de l’utilisateur
Montparnasse
Administrateur
Messages : 4231
Inscription : 04 janvier 2016, 18:20
Localisation : Balaruc-les-Bains (34)
Contact :

Re: Vous avez dit – un ange ?

Message par Montparnasse »

Je vois que tu es aussi prolifique que Merle blanc ! :) Je lirai très bientôt et j'essaierai de commenter (si ç'est dans mes cordes !) Merci pour ta contribution à Spleen :super:
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
Avatar de l’utilisateur
Liza
Grand condor
Messages : 1539
Inscription : 31 janvier 2016, 13:44
Localisation : France

Re: Vous avez dit – un ange ?

Message par Liza »

Cela démarre comme une histoire d'amour puis tourne à ce que je crois appeler un portrait psychologique.

Ce n'est pas le genre d'histoire que je préfère, je le dis tout de suite. Toutefois je dois saluer le travail accompli. Je suis mauvaise juge pour y apporter des commentaires.

Je détaille mes descriptions, j'ai toujours la hantise que l'on ne me comprenne pas, je parle par des images superposées à ce que je connais.

Je suis battue à ourlets repassés. Étudies-tu la philo, la psycho ? Mes études dans ces domaines sont assez limitées.

L'écriture soutenue, c'est pour le travail où chaque mot d'un rapport doit être précis. Je viens sur Spleen pour déboucler mon armure et faire respirer mon esprit, je viens m'amuser, la naïveté de mes textes t'en convaincra !
On ne me donne jamais rien, même pas mon âge !
 
Ma page Spleen...
Avatar de l’utilisateur
MystiGrigri
Jeune colibri
Messages : 30
Inscription : 05 avril 2017, 10:32
Localisation : Perdue entre le temps et le langage

Re: Vous avez dit – un ange ?

Message par MystiGrigri »

Merci à la fois pour ta lecture et pour ton commentaire, Liza. Je suis plutôt pareil sur le plan description détaillée (je pensais, si l'inspiration se laisse attraper, me lancer dans le nouveau roman, ou tous ces trucs bourrés de détails et de sensations ou autre...) et je fonctionne beaucoup avec les métaphores, même si j'ai parfois peur qu'on me prenne pour une idiote dégénérée !
En prépa, nous avons de la philo, mais seulement quatre heures comme en terminale bien que ce soit tout à fait autre chose, et les cours de l'an dernier m'avaient passionnée ; en revanche, je n'ai jamais fait de psycho.
Après, merci aussi de ta franchise, et si je puis te rassurer, je n'écris pas que ce genre de textes, ni que de cette manière, même si c'est mon style majoritaire, il me faut l'avouer.
Je passerai lire tes écrits dès que j'aurais un peu de temps.
Au plaisir, donc !
"A leurs oreilles les pas du solitaire retentissent étrangement à travers les rues." F. Nietzsche
"Les expériences humaines se heurtent souvent au limites du langage." A. Dellaira
Avatar de l’utilisateur
Montparnasse
Administrateur
Messages : 4231
Inscription : 04 janvier 2016, 18:20
Localisation : Balaruc-les-Bains (34)
Contact :

Re: Vous avez dit – un ange ?

Message par Montparnasse »

Je te signale simplement les coquilles (?) que je trouve. Mon commentaire sur le fond viendra après ma seconde relecture (pas encore programmée sur mon agenda) ;)

Je ne comprends pas : « j’étais mineure partie de lui qu’on ne distinguait plus. »

(à suivre : je n'ai pas fini !)
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
Avatar de l’utilisateur
Dona
Grand condor
Messages : 1893
Inscription : 04 janvier 2016, 21:45

Re: Vous avez dit – un ange ?

Message par Dona »

Ce n'est pas moi qui vais me plaindre des phrases à rallonge ! J'aime ce procédé quand il est bien mené parce qu'il donne un rythme continu et littéraire tout bonnement à un texte. Les phrases amples permettent une fluidité qu'on ne trouve pas forcément avec des phrases simples comme on en trouve dans nombre de romans contemporains (ce qui fait que j'en lis peu) qui utilisent beaucoup l'emploi du présent par surcroît...
J'ai lu les deux premiers paragraphes et je le ai trouvés fort agréables à lire mais je ne peux pas continuer. Je suis très en retard sur mes lectures à commencer par Merle blanc ! :) J'ai donc des priorités mais je ne manquerai pas de lire ton texte, promis !
Avatar de l’utilisateur
MystiGrigri
Jeune colibri
Messages : 30
Inscription : 05 avril 2017, 10:32
Localisation : Perdue entre le temps et le langage

Re: Vous avez dit – un ange ?

Message par MystiGrigri »

Montp' - ce que je voulais dire était que j'étais une toute petite partie de lui - j'aurais dû mettre "minuscule", peut-être plutôt - qu'on ne distingue pas quand on regarde le "tout", la personne. Merci beaucoup en tous cas !

Dona - Je suis ravie qu'il y ait des gens à qui cela plaise, car j'ai un mal fou à couper ces siiiiiiiiii longues phrases. Après, je n'irais pas jusqu'à dire que je le mène bien, ce procédé, mais on verra bien - vous me direz !

A très vite ! Et encore merci :)
"A leurs oreilles les pas du solitaire retentissent étrangement à travers les rues." F. Nietzsche
"Les expériences humaines se heurtent souvent au limites du langage." A. Dellaira
Avatar de l’utilisateur
Montparnasse
Administrateur
Messages : 4231
Inscription : 04 janvier 2016, 18:20
Localisation : Balaruc-les-Bains (34)
Contact :

Re: Vous avez dit – un ange ?

Message par Montparnasse »

Je suis arrivé au bout mais je dois confesser que je me perds un peu dans ton texte. Je suis sans doute trop habitué à la forme courte des contributions des Spleeniens. Peut-être aussi, est-ce trop romantique ou trop personnel pour moi (je suis trop vieux ! mais rassure-toi j'ai pu écrire des textes dans cette veine à 18 ans :)). Je salue néanmoins ton effort et ton goût pour l'écriture. J'essaierai de détailler ce qui m'a plu lors de ma deuxième lecture. Merci pour ta contribution à Spleen :super:
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
Avatar de l’utilisateur
MystiGrigri
Jeune colibri
Messages : 30
Inscription : 05 avril 2017, 10:32
Localisation : Perdue entre le temps et le langage

Re: Vous avez dit – un ange ?

Message par MystiGrigri »

Merci Montp' !
Oui, c'est un peu anarchique... pas autobiographique dans les évènements, en tous cas.
Hâte d'avoir ce deuxième retour alors, et j'essaierai de varier mes contributions sur Spleen !
"A leurs oreilles les pas du solitaire retentissent étrangement à travers les rues." F. Nietzsche
"Les expériences humaines se heurtent souvent au limites du langage." A. Dellaira
Répondre