JOHNNY JOHN, portrait de rue

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Dona
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JOHNNY JOHN, portrait de rue

Message par Dona »

Figure nantaise : Johnny John, SDF


" Johnny John avait été un beau gosse.

Ah oué! Qu'il avait été un beau gosse qu'y disait Johnny ! Et y'avait pas son pareil pour te draguer une meuf dans l'quartier des gros. Hen hen ! Ça c'était du muscle ça m'dame ! Ça c'était du beau gosse ! Oué ! Et que j't'envoyais valser les filles au bal ! Et une et deux et pis v'là qu'y lui f'sait son affaire à la gosse ! Pt'in de coquin ce Johnny John ! Ah oué ! Ça avait été un dur de dur aussi ! Oué, pas peur des flics le Johnny ! Pas peur de personne le Johnny ! Même qu'son père y lui collait des grosses raclées au Johnny quand c'était un chiard ! Et même que c'est ça qui l'avait endurci le gars ! Y savait y faire l'père ! Ca se savait que c'était un homme ! Y avait pas deux comme lui pour te foutre la branlée ! Et ses gosses, ben il les t'nait nom de Dieu ! C'était pas comme c'te chiure de jeunes d'aujourd'hui qui te chient dessus ! Le père y aurait jamais voulu que l'Johnny John y réponde comme ça ! Des mornifles qui faut leur mettre à c'tes jeunes d'aujourd'hui ! Ah ah ah ! Qu'est-ce t'as à me lorgner comme ça toi ? J'sens pas bon ?

Ainsi divaguait Johnny John, comme à l'accoutumée, un matin, dans le tramway, une bouteille de rosé bien entamée à ses pieds. Sûrement que les Guignols s'en étaient inspirés pour caricaturer Johnny Halliday. Le Johnny de Nantes, c 'était le «  Ah oué »! le dur des durs des SDF du quartier Talensac , tout près du marché. 5 ans qu'il était dans la rue, 10 ans qu'il buvait comme un trou et 50 ans qu'il faisait chier le monde. Il aimait faire peur  : dès qu'on s'avisait de passer dans sa rue, il se mettait à crier comme un chien aboie quand on s'approche un peu trop de la propriété de ses maîtres. C'était un réflexe destiné au quidam qui empruntait son trottoir. Il criait d'une voix particulièrement stridente du reste et des propos sans queue ni tête. Il n'était pas méchant, c'était juste contre lui-même qu'il hurlait. Mais il fallait qu'on l'entende. Alors il criait.

Sûr ça avait été un bel homme, un employé sérieux (dans une usine de montage aux Chantiers navals), un mari comme bien d'autres et un père normal. Mais le chômage, un méchant divorce, des enfants devenus grands et partis à l'étranger… un jour, il n'y eut plus personne. Et plus d'argent. Ca avait commencé comme ça et depuis, ça ne s'était jamais arrêté. Il avait " touché le fond " : les nuits dans les parkings, l'hiver, les appels au 115, le numéro du Samu social qui pouvait fournir, parfois, un lit pour le soir. Et puis la manche qui permettait de boire, surtout de boire parce que manger ça nourrit mais ça n'empêche pas de penser. Sa décrépitude physique était à faire peur : petit, maigrichon mais bedonnant, nez couperosé, yeux déments, tignasse sale, vêtements maculés et frangés, mains crasseuses et ongles noirs … Mais curieusement, la couleur de ses yeux, bien que ses prunelles soient veinées de sang pourpre, avait conservé l'éclat d'un beau bleu , un bleu dur, un bleu acier. C'était terrible de croiser son regard parce qu'avec ces yeux-là, on savait que derrière la bête, il y avait eu un homme.
Johnny John n'avait pas son pareil pour gueuler, lancer des diatribes incompréhensibles et forcément violentes, employant tour à tour grognements et onomatopées animalières (il rugissait comme un lion, il pouvait barrir et imitait fort bien l'âne...)

Un jour qu'il était ivre mort, place du Commerce et qu'il haranguait un adversaire imaginaire transposé dans la foule entière qui s'était amassée devant lui, il se mit à dialoguer avec une poubelle jonchant le sol à cause d'un violent coup de vent qui venait de la faire tomber. Les éboueurs venaient de passer mais la poubelle, alors devenue vide, s'était renversée sur le trottoir, le couvercle retourné en arrière. Johnny John devait lui passer le sermon du siècle parce que ça faisait longtemps qu'il n'avait pas autant bu d'alcool fort. En effet, il tenait par le goulot une bouteille de Jack's Daniel – et il venait de la téter comme un biberon. Après la bouteille de rosé du matin et sans avoir consommé de nourriture depuis sûrement de longues heures, ça avait fait des dégâts … Sa vindicte colère visait le container vide, comme s'il s'agissait d'un animal ou d'une femme gisant à terre, sans défense.

- Ah oué ! qu'il disait le Johnny, ah oué t'es qu'une salope ! J'te crache dessus paske que t'es qu'une salope de merde !

- Hou hou hou hou! criait Johnny John en mimant une sorte de hibou qui aurait daté du temps des dinosaures. Et en gesticulant dans une pantomime ridicule, déhanché par l'ivresse, pitre de la faim et de la saoulerie permanente, il offrait un spectacle aussi grotesque que misérable. Mais c'était drôle. On aurait dit qu'il prenait plaisir à apostropher injurieusement une forme humaine et à y déverser une vie entière d'amertume.

- C'est un sketch ? Y'a une caméra cachée ? questionnaient certains badauds.

C'est alors que le couvercle de la poubelle, retenu en arrière quelque temps, retomba à l'avant. Ca fit un bruit sec, un clac sonore et Johnny John, tordu par l'alcool et la démence, s'accroupit lentement et le corps ballant, la tête bringuebalant d'avant en arrière se mit à hurler :

-  Ta gueule ! Ta gueule ! Salope ! . Tout autour de lui, les gens hurlaient aussi. Mais de rire...

Fallait le faire ! disaient certains . Fallait le faire que la poubelle elle ferme son bec juste au moment où le Johnny l'engueulait ! C'était comme du théâtre de rue.
Sauf que l'histoire continuait en vrai et que Johnny, rongé par la colère tout autant que la misère, s'affala d'un coup sur le trottoir et se mit à sangloter. Ca faisait des drôles de soubresauts quand on le regardait et des traces baveuses commençaient à se mêler ses cheveux sales.
Cette image, terrible, de la déchéance humaine gâta la joie des spectateurs présents qui s'en allèrent tout aussitôt.
Un SDF ivre mort qui mime une scène de ménage c'est drôle, un SDF qui souffre c'est vraiment très dérangeant...
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Liza
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Re: JOHNNY JOHN, portrait de rue

Message par Liza »

J’aime ce bien ce texte, le langage parlé est mal restitué par le descripteur d'écran, je ne dis rien

Ok, onze années d’immersion totale m'ont rendue pointilleuse ! Toutefois, ici, il n'y a aucun doute. Mille excuses, je ne le ferai plus ! Cela m'a pris l'après-midi.

Sa décrépitude physique était à faire peur : petit, maigrichon mais bedonnant, nez couperosé, yeux déments, tignasse sale, vêtements maculés et frangés, mains crasseuse et ongles noirs … Mais curieusement, la couleur de ses yeux, bien que ses prunelles soient veinées de sang pourpre, avaient conservé l'éclat d'un beau bleu , un bleu dur, un bleu acier. C'était terrible de croiser son regard parce qu'avec ses yeux-là, on savait que derrière la bête il y avait eu un homme.
On ne me donne jamais rien, même pas mon âge !
 
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Dona
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Re: JOHNNY JOHN, portrait de rue

Message par Dona »

Liza a écrit :J’aime ce bien ce texte, le langage parlé est mal restitué par le descripteur d'écran, je ne dis rien

Ok, onze années d’immersion totale m'ont rendue pointilleuse ! Toutefois, ici, il n'y a aucun doute. Mille excuses, je ne le ferai plus ! Cela m'a pris l'après-midi.

Sa décrépitude physique était à faire peur : petit, maigrichon mais bedonnant, nez couperosé, yeux déments, tignasse sale, vêtements maculés et frangés, mains crasseuse et ongles noirs … Mais curieusement, la couleur de ses yeux, bien que ses prunelles soient veinées de sang pourpre, avaient conservé l'éclat d'un beau bleu , un bleu dur, un bleu acier. C'était terrible de croiser son regard parce qu'avec ses yeux-là, on savait que derrière la bête il y avait eu un homme.
Waouh ! Désolée Liza ! J'ai beau relire mes textes, il y a des moments où je ne vois plus les coquilles ! Merci pour ton commentaire et pour t'être donné la peine de lire et relever les erreurs, je corrige sur le champ.
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Liza
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Re: JOHNNY JOHN, portrait de rue

Message par Liza »

N'y pense plus, j'en suis certaine, si tu lis attentivement un texte que j'ai mis deux jours à peaufiner du trouveras des trucs.

Ma prof de français est pourtant intraitable avec moi.

Tu a oublié presque, qui ne s'élide que devant île. Bonne soirée
On ne me donne jamais rien, même pas mon âge !
 
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