Ariane tire le fils

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Liza
Grand condor
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Ariane tire le fils

Message par Liza »

         Ariane tire le fils

Parfois, la vie nous réserve quelques moments extraordinaires, ce fut mon cas lorsque j’avais dix ans. Nous habitions un endroit isolé, nous avions les Richard pour seuls voisins, à trois cents mètres. Mélissa, ma voisine, était enceinte et depuis la visite des sept mois elle devait garder le lit le plus possible, je passais beaucoup de temps avec elle. Nous conjuguions nos solitudes pour la diviser et la rendre plus supportable.
Je faisais mes devoirs dans son lit, je l’aidais un peu dans son quotidien. Son mari est commercial et travaille tard, de mon côté, mon père, pilote de ligne est souvent absent et ma mère tient un salon ouvert jusqu’à vingt-deux heures.
J’aimais poser la main sur le ventre de Mélissa où je sentais gigoter le bébé avec persévérance.
— Vous ne voulez pas connaître le sexe ? toutes les femmes que je suis me harcèle dès le premier mois, affirme le gynéco.
— Nous ne voulons pas passer nos week-ends à débattre avec les parents et les beaux parents à ce sujet, en plus, cela nous évite le casse-tête de la couleur de la chambre et de la layette.
C’était leur choix, je me demandais quelle position je tiendrais à leur place, même maintenant, presque trente ans après, je n’ai pas encore résolu cette question.
Ce mercredi-là, j’avais passé une mauvaise nuit, je filais chez Mélissa de bonne heure. Dès mon entrée, j’ai compris que quelque chose n’allait pas, les traits tirés, la mine inquiète, elle m’attendait.
— Apporte-moi un verre d’eau et les comprimés prescrits hier. Tu prépares le déjeuner juste pour toi, je n’ai pas faim.
J’avais chauffé le lait, attentive à tous les bruits, en vérité, j’avais peur, si elle était malade qu’allais-je faire toute seule isolée dans ce trou. J’avais déjeuné du bout des lèvres. Vers dix heures, Mélissa s’est levée pour aller aux toilettes, j’ai entendu un cri, elle était étendue sur le carrelage de la salle bains.
— Il arrive, il arrive, j’ai perdu les eaux et il sort, il sort, elle criait.
Mes parents sont trop loin, le mari de madame, c’est pire, j’appelle le SAMU, le médecin régulateur me bombarde de questions.
— Regarde où ça en est, ne coupe pas, reste en ligne.
Plus facile à dire qu'à faire, Mélissa écarait les genoux et me demandait de regarder. Je ne voyais pas grand-chose, le médecin me questionnait, pas facile de répondre, le téléphone était dans une autre pièce, heureusement il avait la fonction main libre.
— Le médecin arrive, si tu ne vois pas, lave tes mains en vitesse et essaye de toucher.
— Je sens un truc ce doit être la tête du bébé.
Mélissa a de faibles contractions et affirme que le bébé sort. Une forme sanguinolente est expulsée sur le carrelage.
— Il est sorti sur le carrelage, je crie affolée
— Reste calme, le carrelage est froid, prends-le délicatement et mets-le dans les bras de sa maman, sans tirer sur le cordon.
— Alors ! un garçon, une fille ? demande Mélissa.
— Il n’y a qu’un garçon pour être si pressé de sortir en nous mettant dans l’embarras.
Je commençais à retrouver mes esprits, j’exécutais les ordres calmement, je trouvais de grandes serviettes dans une armoire, j’entourais le bébé pour qu’il soit bien au chaud, avec une plus petite, je lui confectionnais un énorme bonnet turban. Je ne savais que faire, il n’arrêtait pas de pleurer.
— Docteur, il pleure tout le temps et très fort.
— Approche-le doucement du sein de sa maman, il tétera. Le médecin sera là dans cinq minutes.
Il arrête immédiatement les pleurs pour téter avec vigueur. J’entends du remue ménage à l’extérieur, le confie à sa maman et je sors. Médecin et infirmiers se précipitent.
— Il faut couper le cordon rapidement, c’est prêt, je crois que la petite a gagné le droit de le couper ? propose le médecin.
— Vas-y Ariane, tu le mérites, tu as été parfaite, affirme Mélissa.

Certes, je n’avais guère le choix. J’ai observé le médecin et l’infirmière laver l’enfant, lui faire subir quelques tests avant de l’amener à l’hôpital. Je suis montée dans l’ambulance, j’étais fière.
Au moment du prénom, les parents se sont mis d’accord tout de suite pour baptiser le garçon du prénom de Phils

J’ai suivi l’épanouissement du bébé, puis l'éveil de l’enfant, Phils et Ariane étaient fusionnels. La vie est parfois pleine de surprises, un attachement affectueux nous liait. Un jour, la bombe a éclaté, nous étions amoureux. Je vous vois froncer les sourcils horrifiés, il n’y a pas de quoi ! je ne suis pas sa mère et la différence d’âge n’est pas insurmontable. Phils avait vingt ans, j’en avais trente, et alors ! Après un moment d’étonnement, tout le monde a salué notre union toute nouvelle et en même temps si ancienne.
Le plus amusant reste les articles des journaux qui ne pensent qu’à attirer le chaland par des titres accrocheurs l’un d’eux a fait le tour du monde, imaginez : « Elle a accouché son mari »

       Liza
On ne me donne jamais rien, même pas mon âge !
 
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Van Brussel Jacques
Jeune colibri
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Re: Ariane tire le fils

Message par Van Brussel Jacques »

Magnifique histoire qui nous met en face de nos préjugés aux pluriels ! J'ai adoré, merci.
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