Noirs émois
Publié : 30 décembre 2016, 14:46
J'ai scindé cette histoire, je mets les deux épisodes à la suite. J'ai souhaité une rupture : plus de dialogues, plus d'emprunt personnel, abstraction totale de tout ce qui est moi.
Noir émois
Je ne sais pas si cette adresse est encore bonne, je lance, à tout hasard, une bouteille à la mer. Je sais, tu ne me reconnais pas, malgré cela, tu as illuminé mon adolescence. Avec ta peau noire, tes yeux marron pigmentés de lichen doré, tes cheveux sombres tortillés comme des tire-bouchons, ta silhouette fine digne des gazelles du désert et ton merveilleux sourire, tu me donnais la fièvre. Tu étais ma raison d’être, mon journalier bien-être.
Je n’allais pas à l’école pour les cours, je m’en fichais complétement, j’allais te voir. Drôle d’idée de prénommer Claire une fille noire comme le charbon ! J’observais le sérieux de ton visage occupé à rédiger un devoir. J’admirais tes mimiques, le regard lointain, parfois furibond, que tu posais sur la classe. Le meilleur moment, c’était en français. Bonne lectrice, le prof te demandait souvent de lire ton devoir, un texte ou un récit. Ta tessiture rauque prenant mon cœur pour cible me troublait au-delà du possible. Je tremblais en écoutant ce ton chaud et profond, une harmonie que j’aimais entendre fasciné comme un serpent, tu charmais ma jeunesse avec ta mélodie, tu récitais la chanson de ma vie.
Dans la classe, nous étions installés selon notre note moyenne. Tu étais toujours dans la seconde rangée des pupitres. Je ne te dis pas les dures et continuelles batailles que j’ai dû mener pour ne pas reculer. Voir ton dos aurait retiré tout attrait à ma curieuse scolarité. J’abhorrais les jours sans école parce que je ne te voyais pas, tu me manquais. J’ai souvent traîné devant chez toi, te voyant de loin, sans jamais oser m’approcher. J’étais habité, envoûté par une gracile sirène noire hors de ma portée.
J’étais Antoine, petit, gros et balourd au fond de la classe, malmené et moqué. Tu étais la princesse ignorée, le dessus du panier. Je n’ai jamais osé te parler, alors pour ne pas les oublier, ces mots que je ne pouvais prononcer, je les écrivais d’une façon douce-amère sur les pages d’un cahier. Je viens de les retrouver en déménageant le grenier de ma mère. Mes espoirs y sont écrits avec cette encre parfumée qui faisait fureur à l’époque du printemps de mes années passionnées. Le temps a dilué l’odeur, l’agréable senteur s’est évaporée, les mots sont restés. Pâlis et démodés, ils sont encore là, sur le papier. Ils évoquent mon aventure en témoins fidèles de mes émois et récitent mon adolescence sans pudeur ni condescendance. Ai-je négligé ma petite chance de conjuguer, sans y penser, le verbe aimer ?
Ai-je corrompu mon âme et mon cœur en voulant trouver une petite place auprès de toi ? Sans doute ai-je perdu le meilleur en restant à pleurer avec la peur du lendemain. Ai-je assez insisté avant d’abandonner ce que je croyais mon destin ? De lundis en vendredis, les semaines coulaient dans le flot de l’oubli. J’aimais vivre sous ta loi, prêt à accepter n’importe quoi. Tu ne m’as pas donné ton cœur, le mien tu l’as pris. Je regarde l’horloge dans le miroir de l’enfance, les aiguilles tournent à contre sens, toutefois, le temps, lui, se précipite en avant !
Aujourd’hui, tu portes la même tenue qu’hier. Dans ton jean usé, raccommodé aux fesses et aux genoux avec une pièce rapportée cousue à l’intérieur à grand zigzag de machine, tombant sur tes souliers à bout d’existence d’où jaillit une vis de chaussette tombante pas très nette. Ton tee-shirt bleu au col râpé, trop grand, visiblement hérité d’une œuvre de charité, flotte sur ta poitrine libre de toute entrave. Tu traînes ces vêtements usés avec autant de dignité qu’une reine. Aucune forme de honte ne t’impreigne.
Seuls les clous de tes oreilles ont changé. Tu en as sept paires et tu les remplaces chaque jour. Toutefois il n’y a pas d’ordre régulier. J’ai repéré : le bleu océan : le calme te sied. Aujourd’hui, bleu clair : tu es souriante. Le noir : tu es inquiète. Les verts : tu es impatiente, en attente de nouvelles, peut-être ? J’interprète, à ma manière, ta façon de vivre modestement, en restant à tes genoux.
Chaque jour me viennent des velléités épistolaires. Sur ma page, je m’applique, malhabilement, à coucher sur le papier, à l’encre bleue, tous ce que je ne peux te dire. On me croit tête en l’air, c’est une ineptie, les doigts tâchés comme mes écrits, je m’en mets plein les yeux. Je guette les mouvements gracieux de ma Claire. Commenter ta vie dans mes pages te donne une seconde naissance, une autre vie. Ma tête folle tisse un parcours où nous nous retrouvons tous deux dans un combat à mener qui, sans toi, ne me conduira nulle part.
D’une petite main, noire dessus, pâle dessous, tu guidais mes jours et ma vie, m’aidant à construire de solides fondations afin d’y bâtir des lendemains que j’espérais sereins. Des cours aux récréations, mes yeux te suivaient partout. J’ai vécu tes échecs comme de sonores paires de claques, tes joies m’ont touché comme des éclats de rire. L’esprit vagabond, j’imaginais les reliefs dansant dans ton corsage. Je me figurais avec toi au bout du monde, dans un pays lointain où toutes les filles sont noires et se marient à treize ans. Mon esprit errait sur une autre planète où mon destin, décliné à l’infini, en immenses lettres dorées, s’écrivait. Je traçais des phrases que je ne regretterai jamais : à les relire, mes lèvres se troublent et s’enfièvrent, je brûle, je m’enflamme, je me consume, je brûle du corps et de l’âme.
Un rare diamant noir au prix inestimable ! Un joyau unique, fait main, de la ligne des jambes au bout des seins, c’est un parfait dessin. Plus qu’il n’en faut pour satisfaire mes mains dans un amoureux parcours d’illusions qui me tenait éveillé une partie de mes nuits. Incapable de vivre pour moi, je vivais à travers toi, de jours calmes et silencieux et de tonnerre d’ouragans furieux. J’ai pris seul le chemin de la tendresse, sans rien dire, ne souhaitant incommoder ma déesse. Je ne souhaitais pas augmenter la distance qui nous séparait, par un geste précipité. Par la noirceur de ta peau, ébloui, j’avais besoin de vivre ma jeunesse, de sublimer ma peur de te perdre. Il te suffisait de déménager pour disparaître. J’ai passé mon adolescence le cœur aux aguets, battant à toute vitesse, entre bonheur et impudence, oscillant de ferveur et d’insouciance en te regardant vivre, sans moi ! Je jouais des musiques et des symphonies avec ton prénom, mêlant ta vie à la mienne. La mer roule, hurle le bleu du ciel et tombe la pluie, d’orages ou de soleil, Claire est ma mie. Tu ne m’as jamais rien donné, aucun espoir, aucun refus, pas une attitude, pas un sourire, pourtant j’aimais vivre près de toi.
Pour augmenter mes chances de retrouver, intacte, le matin venu, l’envie d’écrire qui me déchire, chaque soir avant de m’endormir, j’écris au bas de ma page ces deux mots : À suivre…
Liza
Noir émois
Je ne sais pas si cette adresse est encore bonne, je lance, à tout hasard, une bouteille à la mer. Je sais, tu ne me reconnais pas, malgré cela, tu as illuminé mon adolescence. Avec ta peau noire, tes yeux marron pigmentés de lichen doré, tes cheveux sombres tortillés comme des tire-bouchons, ta silhouette fine digne des gazelles du désert et ton merveilleux sourire, tu me donnais la fièvre. Tu étais ma raison d’être, mon journalier bien-être.
Je n’allais pas à l’école pour les cours, je m’en fichais complétement, j’allais te voir. Drôle d’idée de prénommer Claire une fille noire comme le charbon ! J’observais le sérieux de ton visage occupé à rédiger un devoir. J’admirais tes mimiques, le regard lointain, parfois furibond, que tu posais sur la classe. Le meilleur moment, c’était en français. Bonne lectrice, le prof te demandait souvent de lire ton devoir, un texte ou un récit. Ta tessiture rauque prenant mon cœur pour cible me troublait au-delà du possible. Je tremblais en écoutant ce ton chaud et profond, une harmonie que j’aimais entendre fasciné comme un serpent, tu charmais ma jeunesse avec ta mélodie, tu récitais la chanson de ma vie.
Dans la classe, nous étions installés selon notre note moyenne. Tu étais toujours dans la seconde rangée des pupitres. Je ne te dis pas les dures et continuelles batailles que j’ai dû mener pour ne pas reculer. Voir ton dos aurait retiré tout attrait à ma curieuse scolarité. J’abhorrais les jours sans école parce que je ne te voyais pas, tu me manquais. J’ai souvent traîné devant chez toi, te voyant de loin, sans jamais oser m’approcher. J’étais habité, envoûté par une gracile sirène noire hors de ma portée.
J’étais Antoine, petit, gros et balourd au fond de la classe, malmené et moqué. Tu étais la princesse ignorée, le dessus du panier. Je n’ai jamais osé te parler, alors pour ne pas les oublier, ces mots que je ne pouvais prononcer, je les écrivais d’une façon douce-amère sur les pages d’un cahier. Je viens de les retrouver en déménageant le grenier de ma mère. Mes espoirs y sont écrits avec cette encre parfumée qui faisait fureur à l’époque du printemps de mes années passionnées. Le temps a dilué l’odeur, l’agréable senteur s’est évaporée, les mots sont restés. Pâlis et démodés, ils sont encore là, sur le papier. Ils évoquent mon aventure en témoins fidèles de mes émois et récitent mon adolescence sans pudeur ni condescendance. Ai-je négligé ma petite chance de conjuguer, sans y penser, le verbe aimer ?
Ai-je corrompu mon âme et mon cœur en voulant trouver une petite place auprès de toi ? Sans doute ai-je perdu le meilleur en restant à pleurer avec la peur du lendemain. Ai-je assez insisté avant d’abandonner ce que je croyais mon destin ? De lundis en vendredis, les semaines coulaient dans le flot de l’oubli. J’aimais vivre sous ta loi, prêt à accepter n’importe quoi. Tu ne m’as pas donné ton cœur, le mien tu l’as pris. Je regarde l’horloge dans le miroir de l’enfance, les aiguilles tournent à contre sens, toutefois, le temps, lui, se précipite en avant !
Aujourd’hui, tu portes la même tenue qu’hier. Dans ton jean usé, raccommodé aux fesses et aux genoux avec une pièce rapportée cousue à l’intérieur à grand zigzag de machine, tombant sur tes souliers à bout d’existence d’où jaillit une vis de chaussette tombante pas très nette. Ton tee-shirt bleu au col râpé, trop grand, visiblement hérité d’une œuvre de charité, flotte sur ta poitrine libre de toute entrave. Tu traînes ces vêtements usés avec autant de dignité qu’une reine. Aucune forme de honte ne t’impreigne.
Seuls les clous de tes oreilles ont changé. Tu en as sept paires et tu les remplaces chaque jour. Toutefois il n’y a pas d’ordre régulier. J’ai repéré : le bleu océan : le calme te sied. Aujourd’hui, bleu clair : tu es souriante. Le noir : tu es inquiète. Les verts : tu es impatiente, en attente de nouvelles, peut-être ? J’interprète, à ma manière, ta façon de vivre modestement, en restant à tes genoux.
Chaque jour me viennent des velléités épistolaires. Sur ma page, je m’applique, malhabilement, à coucher sur le papier, à l’encre bleue, tous ce que je ne peux te dire. On me croit tête en l’air, c’est une ineptie, les doigts tâchés comme mes écrits, je m’en mets plein les yeux. Je guette les mouvements gracieux de ma Claire. Commenter ta vie dans mes pages te donne une seconde naissance, une autre vie. Ma tête folle tisse un parcours où nous nous retrouvons tous deux dans un combat à mener qui, sans toi, ne me conduira nulle part.
D’une petite main, noire dessus, pâle dessous, tu guidais mes jours et ma vie, m’aidant à construire de solides fondations afin d’y bâtir des lendemains que j’espérais sereins. Des cours aux récréations, mes yeux te suivaient partout. J’ai vécu tes échecs comme de sonores paires de claques, tes joies m’ont touché comme des éclats de rire. L’esprit vagabond, j’imaginais les reliefs dansant dans ton corsage. Je me figurais avec toi au bout du monde, dans un pays lointain où toutes les filles sont noires et se marient à treize ans. Mon esprit errait sur une autre planète où mon destin, décliné à l’infini, en immenses lettres dorées, s’écrivait. Je traçais des phrases que je ne regretterai jamais : à les relire, mes lèvres se troublent et s’enfièvrent, je brûle, je m’enflamme, je me consume, je brûle du corps et de l’âme.
Un rare diamant noir au prix inestimable ! Un joyau unique, fait main, de la ligne des jambes au bout des seins, c’est un parfait dessin. Plus qu’il n’en faut pour satisfaire mes mains dans un amoureux parcours d’illusions qui me tenait éveillé une partie de mes nuits. Incapable de vivre pour moi, je vivais à travers toi, de jours calmes et silencieux et de tonnerre d’ouragans furieux. J’ai pris seul le chemin de la tendresse, sans rien dire, ne souhaitant incommoder ma déesse. Je ne souhaitais pas augmenter la distance qui nous séparait, par un geste précipité. Par la noirceur de ta peau, ébloui, j’avais besoin de vivre ma jeunesse, de sublimer ma peur de te perdre. Il te suffisait de déménager pour disparaître. J’ai passé mon adolescence le cœur aux aguets, battant à toute vitesse, entre bonheur et impudence, oscillant de ferveur et d’insouciance en te regardant vivre, sans moi ! Je jouais des musiques et des symphonies avec ton prénom, mêlant ta vie à la mienne. La mer roule, hurle le bleu du ciel et tombe la pluie, d’orages ou de soleil, Claire est ma mie. Tu ne m’as jamais rien donné, aucun espoir, aucun refus, pas une attitude, pas un sourire, pourtant j’aimais vivre près de toi.
Pour augmenter mes chances de retrouver, intacte, le matin venu, l’envie d’écrire qui me déchire, chaque soir avant de m’endormir, j’écris au bas de ma page ces deux mots : À suivre…
Liza