Au Café du Centre 05
Publié : 26 septembre 2016, 20:20
Au Café du Centre 05
— Encore ! Je vais penser comme le flic, tu es toujours abandonnée.
— J’aime l’atmosphère de ce café, ici ou en salle de permanence. Vous savez, au moins, c’est animé.
— Tu travailles beaucoup semble-t-il.
— Pensez-vous, le plus souvent j’écris des blagues sur vos clients.
— Je le sais, dans un forum, on me l’a dit. Tiens voilà petit Charles, ce n’est pas son heure, bizarre.
— Dites, patron, commence l’arrivant, en s’approchant, vous avez des trucs qu’il faut envoyer le numéro afin que le destinataire le touche.
— J’en ai. T’as pris un PV ? Combien ?
— Deux cents euros.
— Fichtre, demande à ton préfet de le faire sauter, ce sera plus simple.
— Peux pas…
— Je m’en doute, un chauffeur qui se prend une prune de ce prix. Mais, j’y pense, cela ne correspond pas au montant des amandes routières.
— C’est pas sur la route…
— Tu t’es fait choper par le fameux virus en navigant sur des sites…
— Chut, la petite. T’y vas pas toi ? On y apprend d’autres choses mieux qu’à la télé.
— Apporte ton ordi à Daniel, si tu leur envoies leurs sous, ils le débloqueront même pas. T’es le cinquième cette semaine.
— Bonjour Messieurs. Charles, tu me conduiras à l’école tout à l’heure, tu veux bien. Demande une enfant qui doit avoir douze ou treize ans.
— Ta maman n’est pas là…
— Si, si ! Elle est là ! C’est pas ça, elle me dépose devant la porte comme un bébé, tu me laisseras au coin de la rue. Tu veux bien ?
— D’accord, je règle un truc, va t’asseoir en attendant.
— Bonjour, je suis Maïly, la fille du préfet. Charles m’a parlé de toi. C’est vrai, tu ne vois pas ? demande la petite en s’installant à ma table, sans vergogne
— Je ne vois pas, toutefois je connais ta voix et ton prénom. Maïly, fleur de pommier en chinois, idéal pour une gentille Normande qui souhaite grandir plus vite !
— Suis pas Normande ! Zut, mon père…, annonce la petite, à voix basse.
— Charles, vous vous laissez encore attendrir, vous êtes beaucoup trop sensible au sexe féminin. Venez, nous déposerons ma fille en passant.
— Heureusement ! Charles me prend au sérieux, s’exclame la gamine. Entre maman qui veut m’offrir des poupées et toi qui me lit des histoires genre Bécassine, à mon âge ! râle la petite en sortant.
— Notre préfet fait les bistrots, rigole un bonhomme en blouse blanche, on aura tout vu !
— Un préfet peut avoir autant soif qu’un ambulancier, réplique le patron.
— Il a un avantage considérable, le préfet ne lui piquera pas de points ou son permis s’il a trop bu !
— Où vas-tu cette fois-ci ?
— Tout à l’heure, je charge un bonhomme pour la rééducation, le temps d’aller et de revenir avec les soins, ça prendra l’après-midi.
— Ça requinque ?
— Une longue course ou plusieurs petites, c’est identique… pas tout à fait, on gagne plus avec plusieurs petits transports. Le trou de la sécu est bouché paraît-il, pourquoi se gêner ?
— Je parle du patient, idiot ! pour te requiner, la réduc n’y peut rien. Ta tronche plie…
— Le trou est derrière nous alors !
— Chut, de jeunes oreilles traînent. Qui t’as parlé de ça ? avance la blouse blanche.
Tous doivent regarder vers moi. Ils me prennent pour qui ? Je suis discrète et courtoise, écouter des conversations qui ne me sont pas destinées, je suis indignée. Ces buveurs me connaissent mal. La bière, les petits rosés et les petits blancs embrument leur tête. Je suis révoltée par l’emploi de ce lemme à mon égard. Me soupçonner, moi, Liza, tout simplement d’écouter, c’est impardonnable, je suis scandalisée de la faiblesse du vocabulaire ! Il n’existe pas de terme pour qualifier une telle attitude, je n’écoute pas, je déguste, je sirote avec gourmandise, je me repais de ces conversations où personne ne se cache derrière une langue en bois. J’emmagasine, j’engrange ce vif argent, je n’écoute pas, je me régale !
— Le facteur. Il connaît beaucoup de monde et ça discute.
— Ferait mieux de s’occuper de sa chérie, elle va chez les uns et les autres avec ses démonstrations de sous-vêtements. Tu vois les possibilités ?
— T’es jaloux ma parole ? Durant tes nombreux repos, t’as qu’à vendre des caleçons à domicile.
— À des mecs ? Pas terrible !
— Il y a des hommes qui vendent des sous-vêtements féminins en réunion, je l’ai vu à la télé.
— Laisse tomber, déplier ses bourrelets devant ces dames ne remontera pas le moral d’un petit coquin.
— Il va se faire repasser par une repasseuse ennemie des faux plis.
— Aucune chance, les siens sont vrais !
Le facteur entre en trombe.
— Un petit blanc vite fait, j’ai un pli urgent…
— Un pli, toi aussi ? Tu vas déplier une brune ou une blonde ?
— Non, c’est une entreprise.
— Je veux bien te croire. Il faut une grosse entreprise pour un sacré boulot. Avec ta tronche de timbré que tu livres à domicile, la nana qui ouvre la porte n’a pas envie d’ouvrir… son cœur...
— C’est vrai ça, les coups de tampon, c’est pas pour toi ! On ne te confie même plus les mots d’amour, c’est pour dire. Simplement les factures.
— S’il n’y avait plus de facteur…
— Plus de facteur plus factures, tu vois les mots parlent seuls, soupire l’ambulancier.
— Et qui apporterait tes prises en charge à la sécu ? Bon, je vais livrer.
— Traîne pas, enveloppe la secrétaire et revient nous donner le pourcentage de pénétration de la Poste dans nos entreprises !
— Avec les sites Internet, elle doit être faible ! rigole le patron pour lui-même !
— Un café bien serré, demande l’arrivant, le genre serré des fesses dont le sourire ressemble à la grimace d’un mec qui se brûle.
— Interrogatoire ? demande le patron.
— Oui et pas simple. Fais-m’en un autre à emporté en même temps, très serré, pour mon juge.
— Tu fayottes. Tous pareils les fonctionnaires, ils ne visent que les points de retraite supplémentaires.
— T’as raté le concours quatre fois, alors tu boucles ton clapet, il faut avoir le niveau.
— Tu as fait l’ENA toi ?
— Non, j’ai couché avec la correctrice des épreuves. Plus facile.
— Pour un peu, je te croirai ! Trois mille candidats pour quatre places, ce n’est plus de la sélection, c’est de la discrimination.
— Il fallait bosser en classe au lieu de mater les filles.
— Cela sert à quelque chose nos jours. Le travail est distribué à coups de piston.
— Alors il faut coucher avec le chef d’orchestre.
— Je connais la musique, à chaque élection on joue la partition entre copains, les concours, c’est la fausse note, ce n'est pas en direct, c’est du play-back, tout est joué d’avance !
— Dans le privé, ce n'est pas mieux…
— L’instit connaît le privé, bizarre. La visite des remparts que tu fais demain c’est pour balancer les gosses de là-haut ? afin d'entrer dans la privé. T’en as combien ?
— Avec les deux classes, trente-deux, souligne l’instit en mimant les calottes qu’il distribuerait bien aux buveurs pour les punir de lui prêter de telles idées.
— Ton beauf a trouvé du boulot ?
— C’est de cela que je voulais parler avant que Matéoli coupe mes idées en tranches. Ce n’est pas la musique à piston qui fonctionne. C’est le pognon…
— Tu vas te plaindre…
— Laisse-moi finir, je ne jette pas ta musette à l’égout, alors respecte mes petits et leur maître.
— Trente-deux gamins, allez accouche !
— C’est la paye ! Pour faire des tâches courantes, c’est le mec bardé de diplômes qui va être choisi et il sera payé au prix d’un manœuvre. Il m’arrive de regretter Georges Marchais et l’échelle des salaires.
— T’as raison, ma femme est obligée de travailler le dimanche pour que les planqués puissent se balader tranquillement dans les magasins avec leur marmaille.
— Parfaitement inutile, ajoute un nouvel arrivant avec un semblant de colère. Je travaille le dimanche. C’est un bon jour par le chiffre d’affaires, dit-on !
— Vous n’êtes pas d’accord ? avance le patron.
— Non, pas du tout. Ce que l’on achète le dimanche, ils l’auraient acheté dans la semaine, c’est tout, c’est déjà ouvert assez tard, non ? Le total est le même ! Un porte-monnaie, ne s’étire pas comme un lance-pierre, quand il est vide, il est vide.
Liza
— Encore ! Je vais penser comme le flic, tu es toujours abandonnée.
— J’aime l’atmosphère de ce café, ici ou en salle de permanence. Vous savez, au moins, c’est animé.
— Tu travailles beaucoup semble-t-il.
— Pensez-vous, le plus souvent j’écris des blagues sur vos clients.
— Je le sais, dans un forum, on me l’a dit. Tiens voilà petit Charles, ce n’est pas son heure, bizarre.
— Dites, patron, commence l’arrivant, en s’approchant, vous avez des trucs qu’il faut envoyer le numéro afin que le destinataire le touche.
— J’en ai. T’as pris un PV ? Combien ?
— Deux cents euros.
— Fichtre, demande à ton préfet de le faire sauter, ce sera plus simple.
— Peux pas…
— Je m’en doute, un chauffeur qui se prend une prune de ce prix. Mais, j’y pense, cela ne correspond pas au montant des amandes routières.
— C’est pas sur la route…
— Tu t’es fait choper par le fameux virus en navigant sur des sites…
— Chut, la petite. T’y vas pas toi ? On y apprend d’autres choses mieux qu’à la télé.
— Apporte ton ordi à Daniel, si tu leur envoies leurs sous, ils le débloqueront même pas. T’es le cinquième cette semaine.
— Bonjour Messieurs. Charles, tu me conduiras à l’école tout à l’heure, tu veux bien. Demande une enfant qui doit avoir douze ou treize ans.
— Ta maman n’est pas là…
— Si, si ! Elle est là ! C’est pas ça, elle me dépose devant la porte comme un bébé, tu me laisseras au coin de la rue. Tu veux bien ?
— D’accord, je règle un truc, va t’asseoir en attendant.
— Bonjour, je suis Maïly, la fille du préfet. Charles m’a parlé de toi. C’est vrai, tu ne vois pas ? demande la petite en s’installant à ma table, sans vergogne
— Je ne vois pas, toutefois je connais ta voix et ton prénom. Maïly, fleur de pommier en chinois, idéal pour une gentille Normande qui souhaite grandir plus vite !
— Suis pas Normande ! Zut, mon père…, annonce la petite, à voix basse.
— Charles, vous vous laissez encore attendrir, vous êtes beaucoup trop sensible au sexe féminin. Venez, nous déposerons ma fille en passant.
— Heureusement ! Charles me prend au sérieux, s’exclame la gamine. Entre maman qui veut m’offrir des poupées et toi qui me lit des histoires genre Bécassine, à mon âge ! râle la petite en sortant.
— Notre préfet fait les bistrots, rigole un bonhomme en blouse blanche, on aura tout vu !
— Un préfet peut avoir autant soif qu’un ambulancier, réplique le patron.
— Il a un avantage considérable, le préfet ne lui piquera pas de points ou son permis s’il a trop bu !
— Où vas-tu cette fois-ci ?
— Tout à l’heure, je charge un bonhomme pour la rééducation, le temps d’aller et de revenir avec les soins, ça prendra l’après-midi.
— Ça requinque ?
— Une longue course ou plusieurs petites, c’est identique… pas tout à fait, on gagne plus avec plusieurs petits transports. Le trou de la sécu est bouché paraît-il, pourquoi se gêner ?
— Je parle du patient, idiot ! pour te requiner, la réduc n’y peut rien. Ta tronche plie…
— Le trou est derrière nous alors !
— Chut, de jeunes oreilles traînent. Qui t’as parlé de ça ? avance la blouse blanche.
Tous doivent regarder vers moi. Ils me prennent pour qui ? Je suis discrète et courtoise, écouter des conversations qui ne me sont pas destinées, je suis indignée. Ces buveurs me connaissent mal. La bière, les petits rosés et les petits blancs embrument leur tête. Je suis révoltée par l’emploi de ce lemme à mon égard. Me soupçonner, moi, Liza, tout simplement d’écouter, c’est impardonnable, je suis scandalisée de la faiblesse du vocabulaire ! Il n’existe pas de terme pour qualifier une telle attitude, je n’écoute pas, je déguste, je sirote avec gourmandise, je me repais de ces conversations où personne ne se cache derrière une langue en bois. J’emmagasine, j’engrange ce vif argent, je n’écoute pas, je me régale !
— Le facteur. Il connaît beaucoup de monde et ça discute.
— Ferait mieux de s’occuper de sa chérie, elle va chez les uns et les autres avec ses démonstrations de sous-vêtements. Tu vois les possibilités ?
— T’es jaloux ma parole ? Durant tes nombreux repos, t’as qu’à vendre des caleçons à domicile.
— À des mecs ? Pas terrible !
— Il y a des hommes qui vendent des sous-vêtements féminins en réunion, je l’ai vu à la télé.
— Laisse tomber, déplier ses bourrelets devant ces dames ne remontera pas le moral d’un petit coquin.
— Il va se faire repasser par une repasseuse ennemie des faux plis.
— Aucune chance, les siens sont vrais !
Le facteur entre en trombe.
— Un petit blanc vite fait, j’ai un pli urgent…
— Un pli, toi aussi ? Tu vas déplier une brune ou une blonde ?
— Non, c’est une entreprise.
— Je veux bien te croire. Il faut une grosse entreprise pour un sacré boulot. Avec ta tronche de timbré que tu livres à domicile, la nana qui ouvre la porte n’a pas envie d’ouvrir… son cœur...
— C’est vrai ça, les coups de tampon, c’est pas pour toi ! On ne te confie même plus les mots d’amour, c’est pour dire. Simplement les factures.
— S’il n’y avait plus de facteur…
— Plus de facteur plus factures, tu vois les mots parlent seuls, soupire l’ambulancier.
— Et qui apporterait tes prises en charge à la sécu ? Bon, je vais livrer.
— Traîne pas, enveloppe la secrétaire et revient nous donner le pourcentage de pénétration de la Poste dans nos entreprises !
— Avec les sites Internet, elle doit être faible ! rigole le patron pour lui-même !
— Un café bien serré, demande l’arrivant, le genre serré des fesses dont le sourire ressemble à la grimace d’un mec qui se brûle.
— Interrogatoire ? demande le patron.
— Oui et pas simple. Fais-m’en un autre à emporté en même temps, très serré, pour mon juge.
— Tu fayottes. Tous pareils les fonctionnaires, ils ne visent que les points de retraite supplémentaires.
— T’as raté le concours quatre fois, alors tu boucles ton clapet, il faut avoir le niveau.
— Tu as fait l’ENA toi ?
— Non, j’ai couché avec la correctrice des épreuves. Plus facile.
— Pour un peu, je te croirai ! Trois mille candidats pour quatre places, ce n’est plus de la sélection, c’est de la discrimination.
— Il fallait bosser en classe au lieu de mater les filles.
— Cela sert à quelque chose nos jours. Le travail est distribué à coups de piston.
— Alors il faut coucher avec le chef d’orchestre.
— Je connais la musique, à chaque élection on joue la partition entre copains, les concours, c’est la fausse note, ce n'est pas en direct, c’est du play-back, tout est joué d’avance !
— Dans le privé, ce n'est pas mieux…
— L’instit connaît le privé, bizarre. La visite des remparts que tu fais demain c’est pour balancer les gosses de là-haut ? afin d'entrer dans la privé. T’en as combien ?
— Avec les deux classes, trente-deux, souligne l’instit en mimant les calottes qu’il distribuerait bien aux buveurs pour les punir de lui prêter de telles idées.
— Ton beauf a trouvé du boulot ?
— C’est de cela que je voulais parler avant que Matéoli coupe mes idées en tranches. Ce n’est pas la musique à piston qui fonctionne. C’est le pognon…
— Tu vas te plaindre…
— Laisse-moi finir, je ne jette pas ta musette à l’égout, alors respecte mes petits et leur maître.
— Trente-deux gamins, allez accouche !
— C’est la paye ! Pour faire des tâches courantes, c’est le mec bardé de diplômes qui va être choisi et il sera payé au prix d’un manœuvre. Il m’arrive de regretter Georges Marchais et l’échelle des salaires.
— T’as raison, ma femme est obligée de travailler le dimanche pour que les planqués puissent se balader tranquillement dans les magasins avec leur marmaille.
— Parfaitement inutile, ajoute un nouvel arrivant avec un semblant de colère. Je travaille le dimanche. C’est un bon jour par le chiffre d’affaires, dit-on !
— Vous n’êtes pas d’accord ? avance le patron.
— Non, pas du tout. Ce que l’on achète le dimanche, ils l’auraient acheté dans la semaine, c’est tout, c’est déjà ouvert assez tard, non ? Le total est le même ! Un porte-monnaie, ne s’étire pas comme un lance-pierre, quand il est vide, il est vide.
Liza