Peste perdue
Publié : 13 mars 2016, 20:29
Pour ceux qui ont la flemme de recommencer au début, l’incipit disait : L’écriture, c’est comme une couverture, quand nous avons trop chaud, nous en changeons, du coup nous avons froid, si nous en avons plusieurs, elles servent à tempérer notre vie. Ne croyez pas discerner où se trouve l’invention et la réalité. Dans cet amalgame nul ne pourrait s’y retrouver.
Ce genre d’écriture crée un échange, une sorte de subterfuge, dans lequel chaque mot peut être mis en doute. Cela donne un côté surnaturel, un placébo de baume au cœur. Où est la limite de la réalité et de l’imaginaire dans l’environnement cotonneux d’une histoire ?
Pour pérenniser mes chances de retrouver, intacte, le matin venu, l’envie d’écrire qui me déchire, chaque soir avant de m’endormir, j’écris sur mon cahier ces deux mots : À suivre…
Peste perdue
C’est certain, à cinquante-six ans, avec des enfants de vingt-huit et trente-deux ans mariés tous deux, ils n’étaient pas sur la liste des familles d’accueil agrées. Aux vacances de Noël, ils ont fait une demande d’hébergement provisoire qu’ils n’ont pas obtenue, mais l’ASE (la DDASS n’existe plus) du département et la direction excédées par mon comportement m’ont laissée amener sous réserve du passage de l’assistante sociale tous les deux jours, peut-être afin de mesurer les ravages que je causerai chez les accueillants. Une chambre pour moi seule, avec un grand lit, un bureau, des gens ravis de me recevoir, je peux le dire, je n’ai même pas levé le couvercle de la poubelle. J’ai pris une douche matin et soir. J’ai peigné mes cheveux rebelles avec minutie et en ai fait une grosse tresse. J’ai enfoui la fierté, l’impudence et toutes mes velléités de rébellion au plus profond de moi, afin que personne ne se doute de ma capacité d’insoumission ni de la rage qui m’habite parfois.
Tout le monde le sait, prendre sur soi ne peut durer indéfiniment, à un moment ou un autre, le couvercle saute. L’explosion ? J’ai refusé d’aller faire les courses avec eux à cause d’un dessin animé à la télévision.
— Parfait, nous irons en courses un autre jour, nous ne pouvons te laisser seule, tu es trop jeune, a dit l’homme, mais il n’y a aucune raison que nous soyons les seuls à être punis, arrête la télévision.
J’ai compris au ton de sa voix que je n’y couperais pas, même en faisant une montagne de caprices et, en même temps, j’ai réalisé qu’il souhaitait que j’appuie moi-même sur le bouton d’arrêt. En un week-end, il m’a fait comprendre que plus le chien tire sur sa laisse, plus il s’étrangle et moins il se libère.
Le premier pas était fait. Les vacances, les week-ends, sans réelle autorisation officielle, je retrouvais ma chambre avec plaisir. Puis les autorités ont ouvert le parapluie et se sont mises à l’abri en officialisant les choses. Ils sont payés pour me garder, toutefois, je pense leur coûter plus qu’ils ne touchent. Si je ne m’étais pas sauvée comme une folle ? Je ne sais pas, le courant serait peut-être passé un jour ou l’autre, qui peut le dire ?
À les voir tous deux taper à l’ordinateur, je me demandais ce qu’ils faisaient. J’avais six ans, je ne savais pas lire, de toute façon, je ne pouvais pas lire, mais, j’avais des oreilles. J’ai passé des jours et des jours, attachée au fil du casque, à écouter la documentation qu’ils réunissaient pour leur travail de nègre, puis le résultat qu’ils remettaient à leurs clients. À six, puis sept ans, il y avait un tas de choses que je ne comprenais pas. Je les bombardais de questions, origine de ma bavardise sans doute ! J’ai découvert la connaissance grâce à eux, de la découverte, je suis passée à l’intérêt, de l’intérêt à la passion, pour ne pas dire à la folie.
J’avais prévu un tas de Sopalin avant de lire mon petit texte à leurs noces d’or. Les fontaines de Venises avaient l’air de compte-gouttes à côté. Je voulais le dire depuis longtemps, mais on pense toujours : demain, il fera jour. Le lendemain, effectivement, il fait jour et la nuit tombe sans que nous ayons rien fait de ce que nous souhaitions faire.
Parfois, ils regrettent de m’avoir soumise à leur influence contestable qui, désormais, serait devenue pesante. Ils se trompent, je suis capable de rejeter ce que je n’aime pas. Je devais mener un combat pour tracer mon chemin et j’avais besoin d’être poussée dans la montée. Si je n’ai pas esquivé, c’est que j’y trouvais mon compte.
Le dressage de la sauvageonne, c’est ainsi qu’il convient de résumer la métamorphose d’une peste en fille que j’espère toujours fière et dure, même si à l’intérieur, elle reste tendre comme un Chamallow. Une fille élevée dans une politesse et une courtoisie à l’ancienne remplie de qualités désuètes, enfin certains le pensent ? Aujourd’hui, elle est heureuse de porter haut le bénéfice de ces traits de caractère rares, comme l’étendard de l’enseignement que l’on lui a méticuleusement dispensé.
Une fille qui reconnaît en eux des gens simples et bons. En onze années, ils ont su lui insuffler toute la force et tous les mots dont elle avait besoin, tout ce qui était indispensable à sa vie et le savoir utile pour l’écrire dans Mon parrain…
Ne donnons pas raison à ceux qui pensent qu’un cœur sur la main use plus vite qu’un cœur égoïste frileusement abrité dans l’armure d’une poitrine. Lorsque le feu enflamme notre sang et le pousse à bouillonner très fort, il prend toute la place dans nos sentiments. Les lacrymales, écrasées, déversent leur trop-plein à l’extérieur, aucune honte ne coule de cette source, seuls les sentiments et la joie en sont dignes. Affirmons notre seule qualité humaine : l’émotion… Ne faisons pas le jeu des indifférents : ne retenons pas notre incontinence émotionnelle…
Liza
Ce genre d’écriture crée un échange, une sorte de subterfuge, dans lequel chaque mot peut être mis en doute. Cela donne un côté surnaturel, un placébo de baume au cœur. Où est la limite de la réalité et de l’imaginaire dans l’environnement cotonneux d’une histoire ?
Pour pérenniser mes chances de retrouver, intacte, le matin venu, l’envie d’écrire qui me déchire, chaque soir avant de m’endormir, j’écris sur mon cahier ces deux mots : À suivre…
Peste perdue
C’est certain, à cinquante-six ans, avec des enfants de vingt-huit et trente-deux ans mariés tous deux, ils n’étaient pas sur la liste des familles d’accueil agrées. Aux vacances de Noël, ils ont fait une demande d’hébergement provisoire qu’ils n’ont pas obtenue, mais l’ASE (la DDASS n’existe plus) du département et la direction excédées par mon comportement m’ont laissée amener sous réserve du passage de l’assistante sociale tous les deux jours, peut-être afin de mesurer les ravages que je causerai chez les accueillants. Une chambre pour moi seule, avec un grand lit, un bureau, des gens ravis de me recevoir, je peux le dire, je n’ai même pas levé le couvercle de la poubelle. J’ai pris une douche matin et soir. J’ai peigné mes cheveux rebelles avec minutie et en ai fait une grosse tresse. J’ai enfoui la fierté, l’impudence et toutes mes velléités de rébellion au plus profond de moi, afin que personne ne se doute de ma capacité d’insoumission ni de la rage qui m’habite parfois.
Tout le monde le sait, prendre sur soi ne peut durer indéfiniment, à un moment ou un autre, le couvercle saute. L’explosion ? J’ai refusé d’aller faire les courses avec eux à cause d’un dessin animé à la télévision.
— Parfait, nous irons en courses un autre jour, nous ne pouvons te laisser seule, tu es trop jeune, a dit l’homme, mais il n’y a aucune raison que nous soyons les seuls à être punis, arrête la télévision.
J’ai compris au ton de sa voix que je n’y couperais pas, même en faisant une montagne de caprices et, en même temps, j’ai réalisé qu’il souhaitait que j’appuie moi-même sur le bouton d’arrêt. En un week-end, il m’a fait comprendre que plus le chien tire sur sa laisse, plus il s’étrangle et moins il se libère.
Le premier pas était fait. Les vacances, les week-ends, sans réelle autorisation officielle, je retrouvais ma chambre avec plaisir. Puis les autorités ont ouvert le parapluie et se sont mises à l’abri en officialisant les choses. Ils sont payés pour me garder, toutefois, je pense leur coûter plus qu’ils ne touchent. Si je ne m’étais pas sauvée comme une folle ? Je ne sais pas, le courant serait peut-être passé un jour ou l’autre, qui peut le dire ?
À les voir tous deux taper à l’ordinateur, je me demandais ce qu’ils faisaient. J’avais six ans, je ne savais pas lire, de toute façon, je ne pouvais pas lire, mais, j’avais des oreilles. J’ai passé des jours et des jours, attachée au fil du casque, à écouter la documentation qu’ils réunissaient pour leur travail de nègre, puis le résultat qu’ils remettaient à leurs clients. À six, puis sept ans, il y avait un tas de choses que je ne comprenais pas. Je les bombardais de questions, origine de ma bavardise sans doute ! J’ai découvert la connaissance grâce à eux, de la découverte, je suis passée à l’intérêt, de l’intérêt à la passion, pour ne pas dire à la folie.
J’avais prévu un tas de Sopalin avant de lire mon petit texte à leurs noces d’or. Les fontaines de Venises avaient l’air de compte-gouttes à côté. Je voulais le dire depuis longtemps, mais on pense toujours : demain, il fera jour. Le lendemain, effectivement, il fait jour et la nuit tombe sans que nous ayons rien fait de ce que nous souhaitions faire.
Parfois, ils regrettent de m’avoir soumise à leur influence contestable qui, désormais, serait devenue pesante. Ils se trompent, je suis capable de rejeter ce que je n’aime pas. Je devais mener un combat pour tracer mon chemin et j’avais besoin d’être poussée dans la montée. Si je n’ai pas esquivé, c’est que j’y trouvais mon compte.
Le dressage de la sauvageonne, c’est ainsi qu’il convient de résumer la métamorphose d’une peste en fille que j’espère toujours fière et dure, même si à l’intérieur, elle reste tendre comme un Chamallow. Une fille élevée dans une politesse et une courtoisie à l’ancienne remplie de qualités désuètes, enfin certains le pensent ? Aujourd’hui, elle est heureuse de porter haut le bénéfice de ces traits de caractère rares, comme l’étendard de l’enseignement que l’on lui a méticuleusement dispensé.
Une fille qui reconnaît en eux des gens simples et bons. En onze années, ils ont su lui insuffler toute la force et tous les mots dont elle avait besoin, tout ce qui était indispensable à sa vie et le savoir utile pour l’écrire dans Mon parrain…
Ne donnons pas raison à ceux qui pensent qu’un cœur sur la main use plus vite qu’un cœur égoïste frileusement abrité dans l’armure d’une poitrine. Lorsque le feu enflamme notre sang et le pousse à bouillonner très fort, il prend toute la place dans nos sentiments. Les lacrymales, écrasées, déversent leur trop-plein à l’extérieur, aucune honte ne coule de cette source, seuls les sentiments et la joie en sont dignes. Affirmons notre seule qualité humaine : l’émotion… Ne faisons pas le jeu des indifférents : ne retenons pas notre incontinence émotionnelle…
Liza