En filet
Dans un village, une dizaine de jeunes enfants, garçons et filles, sont réunis, dans le square, autour d’une table de pique-nique. La discussion va bon train. Une belle voiture passe, le conducteur fait un petit signe aux enfants.
— Ton père en a du fric, vu sa caisse ?
— Non, il est fauché, répond le gamin.
— Il a emprunté la bagnole, alors ?
— Mais non il a « soustrait » un crédit, ma mère en a marre.
— De ton père ou de la caisse ?
— Non, des traites.
— Ta mère, elle a du lait ? demande naïvement le plus jeune.
— Ma sœur a quatre ans, ma mère n’a plus de lait depuis longtemps.
— Alors pourquoi il faut la traire ?
— Les traites, c’est des sous que tire la banque, affirme doctement le cador.
— Qu’est ce qu’elle fait ta mère en ce moment ? elle travaille pour payer ?
— Mon oncle l’aide à s’enfiler.
— Enfiler, c’est quoi ? demande un petit.
— Passer le bout dans un trou.
— Ça s’appelle un chas, ajoute une fille au fait de la couture.
— Passer un bout dans un chat, pauvre bête… c'est affreux !
— C’est pas une bête, c’est le chas d’une aiguille, le trou quoi !
— Il faut être deux pour enfiler un bout dans un trou ?
— Il faut tenir la torche, éclairer la machine. C’est pas facile surtout si les poils sont ébouriffés.
— Les poils, quels poils ? je comprends rien, s’exclame un gosse.
— Les poils du fil, idiot !
— C’est des brins, rectifie le cador.
— Ma mère suce le bout pour rassembler les brins, après ça s’enfile tout seul.
— C’est quoi cette machine ? Elle sert à enfiler ?
— Qu’elle idée, c’est une machine à coudre.
— Pour coudre les chats ? les pauvres !
— Mais non, c’est pour ma sœur.
— Ta sœur est déchirée, savais pas !
— Ma mère coud une robe pour ma sœur.
— J’ai tout compris, ta mère rassemble les poils et enfile les chats pour coudre une robe en fourrure à ta sœur.
Liza