P'tit cœur

[Liza]

P’tit cœur

Je suis allongée sur un lit dur, je sens une activité autour de moi. Les bras le long du corps je respire difficilement, quelque chose est posé sur mon visage. Au fond de moi, j’entends une voix.

Ce petit organe que tu caches derrière ton soutien-gorge, de quoi souffre-t-il ce joli cœur. Il m’a l’air parfait, le trouverais-tu trop petit ? Un peu d’usure déjà ? Je vais le prendre délicatement entre mes mains douces et chaudes. Je le masserai, je le pétrirai un peu en insistant sur les points du dessus pour que le sang circule mieux et te fasse rosir la peau. Je le passerai à l’échographe, et, pourquoi pas le dériver, s’il faut l’isoler.

Je le réchaufferai au creux de mes doigts en le pinçant parfois pour relancer son émoi, l’effleurant sous les oreillettes, palpant avec délicatesse les ventricules. Les serrant tour à tour pour en accélérer l’affolement et redonner vigueur et force aux battements du pouls pour que tout en toi se gonfle de partout. Le palper doucement pour en trouver le point Vital. Afin de lui faire oublier combien il est triste, je vais le détendre et le réconforter en lui murmurant les mots les plus gentils que je connaisse. S’il est encore avachi et trop petit, je vais le serrer dans mes mains à l’écraser. Pour se libérer, il va grossir, grossir à exploser. Sur la poitrine, le soutif sera près d’exploser tellement à l’intérieur, le traitement l’aura remonté. Tenir cet objet dans mes mains, l’effleurer le cajoler, le soigner, lui donner l’espoir de mesurer la vie, de grossir soixante-dix fois par minute et d’être aimé.

Pour continuer le traitement, je déposerai de ta part un baiser et quelques câlins là où la sensibilité est bonne, derrière les oreillettes. Palper gentiment le ventricule droit, le gauche en insistant entre eux deux, là où la circulation ne passe pas. Tout cela pour le rassurer avant de refermer la plaie. Fini le maillot en épisodes, une seule pièce conviendra pour cacher la cicatrice que l’opération laissera.

Je sais qu’il ne manque pas de veine, alors ce traitement devrait le faire battre la chamade et par ses grandes artères, il transportera cette flamme dans tout ton corps sous l’effet d’une tension homogène. Si par esprit d’indépendance, il manifeste encore quelque dégoût à remplir son office de pompe efficace. Si ce massage du muscle cardiaque, mes attentions et mes soins attentifs se révèlent insuffisants. Promis, j’emploierai les grands moyens. J’enfoncerai une aiguille entre les deux ventricules pour une piqûre salvatrice d’adrénaline. J’injecterai directement à l’intérieur autant de fièvre de vivre dont il aura besoin. Là, je te l’assure, le petit organe réagira invariablement à ce remède envahissant. Et je puis te l'assurer, la plaie refermée, il battra si fort et si vite que plus rien ne l’arrêtera jamais.

La sueur baigne mon corps, envahie d’une brûlante chaleur, je tremble angoissée, je réalise brutalement : c’est la voix d’un chirurgien. Mon cœur, qu’a-t-il mon cœur ? ce matin, il allait bien !

— Viens ma fille, si tu t'endors au soleil, sur ton transat plastique, tu vas cramer, affirme ma mère en retirant ma casquette que j’avais posée sur mon visage.

[Dona]

C'est joli !!!

La chute, incontournable, renvoie à la réalité matérielle qu'on avait quittée dès le début du récit, bercé par tes images poétiques ! Bravo ! Ce coeur, une synecdoque inépuisable! Le vocabulaire anatomique conjugué aux considérations de la narratrice crée un drôle de mélange, j'adore !!!

[Montparnasse]

Cajoler une abstraction, voilà qui est nouveau et singulier ! Tu as fait le choix du réalisme comme point de départ. Mais comment échapper au concret, à la matière, pour les relier à la métaphore, les élever vers une forme poétique ? Peut-être par l'ajout d'éléments fantastiques...

[Liza]

Je n'aime pas le fantastique, trop d'imagination pour en créer.

J'ai voulu faire un jeu de mots avec transat plastique (transatlantique ou transat antique) c'est manqué !