Sentiments de poche

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Liza
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Sentiments de poche

Message par Liza »

Sentiments de poche

Deux sœurs discutent assises au bas de l’escalier. Romane a quatorze ans. Lola, sa petite sœur, enfin deux centimètres, c’est peu, en a onze. La cadette a surpris l'aînée enlacée par un garçon.
— Tu ne dis pas à maman que tu m’as vue avec William, insiste Romane, tu me l’as promis. Si tu en parles, je t’étripe !
— Je te coupe en deux, tu veux dire, je fais du judo, moi !
— Je suis plus grande, j’aurai le dessus, insiste Romane.
— Que dalle, tu es plus âgée de trois ans et à peine deux centimètres de plus. Tu vas grandir, moi aussi. Toute ta vie, nous serons séparées par ces deux centimètres.
— Tu as promis, répète Romane.
— Je l’ai promis, c’est vrai, mais ce ne sera pas gratuit.
— Tu veux encore que je fasse ton lit durant une semaine ? soupire Romane.
— Trop simple ! s’amuse Lola.
— Que vas-tu inventer pour m’enquiquiner, ce n’est pas drôle d’être ta sœur.
— Je ne suis pas inventive… tu feras mes devoirs de maths tout le mois !
Romane prend un air indigné, puis hausse les épaules en signe de résignation.
— Je ne peux pas refuser toutefois, tu me le paieras ! J’en ai marre de faire les corvées gratuitement !
— Tu fais des corvées gratos ? s’étonne Lola.
— Eh ! Toi aussi ! Nous aidons maman au ménage, aux courses, et beaucoup d’autres choses, le tout pour un salaire de misère.
— C’est vrai, vingt euros d’argent de poche, ce n’est pas cher payer pour un mois entier.
— Nous devrions protester, se révolte Romane.
— Bonne idée, on y va !

Les filles foncent vers le salon où leur mère feuillette un magazine et, pleine de courage, le défi dans le regard, Romane lance :
— Maman, il faut que nous parlions d’argent. Nous sommes exploitées comme au Moyen Âge.
— Ah ! Allez les filles, je vous écoute.
Toutes deux se lancent dans une longue litanie détaillant les travaux qu’elles accomplissent depuis toujours pour le montant d’un argent de poche qu’elles trouvent dérisoire. La maman écoute avec un sérieux surprenant, malgré la gravité du sujet, elle est prête à rire.
— Et j’en oublie certainement, affirme Lola. Alors tu nous augmentes ?
— Combien vous dois-je, au vu de tout cela ?
— Au moins trente euros, propose Romane, croyant la partie gagnée.
— Et moi qui va me payer ? s’offusque la mère avec une indignation non feinte.
— Toi, mais pourquoi ? s’étonne Lola.
— Pour toutes les couches que j’ai changées. Les doudous perdus que j’ai cherchés. Les maladies infantiles que j’ai soignées, vos larmes que j’ai séchées, vos disputes que j’ai arbitrées. Vos devoirs que j’ai fait entrer dans vos têtes avec difficulté. Les nuits sans sommeil, par vos pleurs, engendrées. Mes inquiétudes d’hier et, encore celles d’aujourd’hui, lorsque vous passez chez une copine sans m’en informer. Le souci que je me fais pour vous préparer un avenir assuré. Enfin, tout ce que je vous ai donné depuis que vous êtes nées. Combien allez-vous me payer ?

Romane pleurniche, Lola a les larmes aux yeux. Elles auraient dû se taire, l’égoïsme est un trait de caractère qui peut déplaire.
— En remboursement de tout ce que tu as sacrifié pour notre jeunesse et supporté par nos faiblesses, tu gardes notre argent, tu le mérites plus que nous, nous n’y avions pas pensé, conclut Romane, le cœur chamboulé.

Attirant ses filles contre elle, la maman les rassure.
— Ne craignez rien, tout est déjà payé !
— Ah ! Qui a payé ? questionnent les filles d’une seule voix.
— Les baisers, les câlins, les sourires, le bonheur, la tendresse et la joie et tout ce que vous m’avez donné tout au long de ces années. Sans compter les jolis colliers de nouilles de la fête des Mères, les belles cartes d’anniversaire que vous m’avez naïvement dessinées. La joie de vous voir vivre, évoluer, le plaisir de vous aimer et tout ce qui fait que chaque matin mon cœur vibre pour les filles de ma vie, ces fruits dorés de mon amour pour votre père, un tourbillon effaçant nos repères. Vous êtes tout ce qui tient nos cœurs en équilibre. Depuis votre naissance, papa et moi, nous vivons des jours de liesse, loin de la tristesse. Que serions-nous sans vous, sans enfants nous vivrions dans l’ennui ? Parfois nous faisons preuve d’autorité, c’est parce que nous y sommes obligés, l’avenir appartient aux instruits. La vie n’est pas tendre, il ne faut pas s’y méprendre. Rassurez-vous, c’est nous qui vous devons un porte-monnaie plein de bons moments. Vingt euros par mois est une rente, une mensualité en viager pour vous apprendre à économiser. L’argent n’achète jamais les sentiments, rien n’a de prix entre parents et enfants. Pour les payer, toute la richesse du monde n’y suffirait.

Liza
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Dona
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Re: Sentiments de poche

Message par Dona »

Waouh !! Bravo Liza ! :super:


C'est extrêmement vivant ce dialogue ! Bel apologue :)
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Liza
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Re: Sentiments de poche

Message par Liza »

Si je m’écoutais, il n’y aurait que des dialogues dans mes textes. Je suppose qu’ils deviendraient rasoir !

Je fournirai la mousse et le blaireau, vous laisserai la lame pour couper court !
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Dona
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Re: Sentiments de poche

Message par Dona »

Plains-toi ! Moi j'ai beaucoup de peine à créer des dialogues ! Je suis plutôt descriptive. Ca me coûte un bras d'en inventer.
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Liza
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Re: Sentiments de poche

Message par Liza »

Effectivement, ta façon d'écrire ne prête pas au dialogue.

Pour dialoguer, il faut qu'il y ait des personnages. Tu choisis à chaque fois d’être un narrateur interne.

J’ai relu un épisode de Myopus, écrit de cette façon, il n’y a aucune possibilité de mettre des dialogues.

C’est comme au tennis de table, pour se renvoyer la balle, il faut être plusieurs. Ce qui implique des personnages multiples. Donc, prévus, pensés, depuis le départ.

Essaye d'écrire une petite histoire avec deux ou trois personnages que tu fais parler. En réduisant les descriptions au minimum et en les insérant dans le dialogue.

J’aime ajouter une sorte de joute dans les dialogues avec des répliques acides et provocantes, cela donne un peu de sel à l’histoire. Chacun sa façon de se libérer de ses mots, dialogues ou pas, le principal n’est-il pas d’écrire.
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Montparnasse
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Re: Sentiments de poche

Message par Montparnasse »

Personnellement, je n'ai à mon actif qu'un seul dialogue, "Camille", ou alors, c'est que j'ai oublié les autres.

J'aime bien ton texte, c'est vif, ça fonctionne, on y croit. Il faut pouvoir le faire, ce n'est pas donné à tout le monde.
Il y a une phrase qui me perturbe sur un plan, disons... logique. Mais Dona t'expliquera tout par ces mots frappés au coin du bon sens : "C'est un vieux bourgeois marqué (traumatisé) par son cursus scientifique." La voici :
La maman écoute avec un sérieux surprenant, malgré la gravité du sujet, elle est prête à rire.
En revanche, je me laisse bercer par :
Les nuits sans sommeil, par vos pleurs, engendrées
et :
Les baisers, les câlins, les sourires, le bonheur, la tendresse et la joie et tout ce que vous m’avez donné tout au long de ces années. Sans compter les jolis colliers de nouilles de la fête des Mères, les belles cartes d’anniversaire que vous m’avez naïvement dessinées. La joie de vous voir vivre, évoluer, le plaisir de vous aimer et tout ce qui fait que chaque matin mon cœur vibre pour les filles de ma vie, ces fruits dorés de mon amour pour votre père, un tourbillon effaçant nos repères. Vous êtes tout ce qui tient nos cœurs en équilibre.
Surtout :
les filles de ma vie, ces fruits dorés
— Il faudrait que la phrase s'arrête là, pour augmenter le lien, souligner la comparaison.

et la belle conclusion :
Pour les payer, toute la richesse du monde n’y suffirait.
Merci pour ta fidélité et tes contributions ! (pouce levé)
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
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