Électrochoc

[Liza]

Électrochoc

Derrière notre maison, c’est un champ où souvent il y a un cheval, je lui rends parfois visite à la clôture. Je ne connais pas son nom. Sa robe baie est, m’a-t-on dit, marron avec la crinière et la queue noire. Peu importe, lorsque j’appelle Tornado, il se radine. J’arrache quelque poignée d’herbe dont il s’empare avec sa grosse langue et se régale sans faire d’histoires sur son patronyme.

Sa tête est douce au toucher, beaucoup moins rêche que les poils du quetton, un âne en Normand, parqué dans le même clos. Ces animaux ne sont pas idiots et se tiennent à distance.C’est à moi de m’approcher pour leur tendre ma poignée de friandise. Cette générosité m’a valu quelques bons électrochocs contre la clôture électrique.

Le dernier a été mémorable. Je portais, à même la peau, le pull très doux en laine angora que venait de me tricoter une dame charmante qui m’a à la bonne. J’ai pris une châtaigne, mais ce fut le moindre mal, le fil électrique s’est emberlificoté dans la laine. Je me suis reculée pour couper le contact, mais j’étais toujours emmêlée. Pour ceux qui ne vivent pas à la campagne : il y a longtemps que l’on utilise plus un fil de fer pour clôturer les pâtures, désormais c’est une tresse en tissu où sont noyés des petits fils conducteurs.

Imaginez, debout le pull tiré vers l’avant par une tresse qu’il est impossible de prendre en main pour s’en dépêtrer. Un coup de jus, ça va, plusieurs c’est insupportable. Le générateur d’impulsions électriques était là, à trois mètres, tout aussi inaccessible qu’au sommet d’une forêt montagneuse. Je ne souhaitais pas m’arracher en reculant à cause du pull qui en porterait des séquelles définitives qui attristeraient ma tricoteuse.

À bout de réflexion, j’ai décidé de faire fi d’une pudique moralité en choisissant le moindre des maux. Je me suis tortillée, puis agenouillée en tirant le pull par les épaules pour le retirer. Toutefois, je n’étais guère plus avancée. Certes, ma laine pendouillait suspendue à la tresse, mais rien n’était réglé ! Le dilemme : rejoindre la maison en soutif !

— Tu fais strip-tease ? on lance derrière moi dans un bruit de dérapage de pneus de vélo.
J’ai reconnu la voix d’un petit voisin de quinze ans.
— Au lieu de dire des bêtises, va me chercher un autre pull et ramène quelqu'un, ce sera plus intelligent.
— Ce n’est rien, je vais te démêler ça en deux minutes, affirme le gamin, en arrêtant le générateur.
Deux minutes de coiffeur, elles ont duré bien longtemps à mon gré. Le pire étant d’imaginer le gamin plus soucieux de diriger ses yeux de loup curieux vers le ruban de mes bretelles que sur celui de la clôture.
Il est souvent impossible de ménager une situation dans sa globalité, il y a toujours une part de surprise dans la vie quotidienne dont il ne faut pas se soucier, qu'il faut oublier, mais morale en tirer.

Un cheval et un âne gourmands savent mieux que nous rester sur leurs gardes et résister aux caresses flatteuses. Ils ne sombrent pas dans une vanité qui les ferait sur le fil, s’avancer. Apprenons à faire la distinction entre vérité et flatterie, entre décence et indécence, à effacer notre morale afin d’éviter, confus et honteux, de finir électrisé.

Liza

[Montparnasse]

Une seule coquille vite corrigée, et un texte joliment composé et plein d'humour. Merci ! La vie à la campagne est décidément beaucoup plus mouvementée qu'en ville.

[Dona]

Ma foi ce petit texte est sacrément bien ficelé !

En plus de l'humour incontestable, j'apprécie surtout sa structure : une mise en contexte, une description technique, une situation humoristique, quelques phrases de dialogue bien senti et une morale. Un bel épilogue en quelque sorte. Clair et sympathique petit écrit, bravo. sourire