Peste perdue

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Liza
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Peste perdue

Message par Liza »

Pour ceux qui ont la flemme de recommencer au début, l’incipit disait : L’écriture, c’est comme une couverture, quand nous avons trop chaud, nous en changeons, du coup nous avons froid, si nous en avons plusieurs, elles servent à tempérer notre vie. Ne croyez pas discerner où se trouve l’invention et la réalité. Dans cet amalgame nul ne pourrait s’y retrouver.

Ce genre d’écriture crée un échange, une sorte de subterfuge, dans lequel chaque mot peut être mis en doute. Cela donne un côté surnaturel, un placébo de baume au cœur. Où est la limite de la réalité et de l’imaginaire dans l’environnement cotonneux d’une histoire ?

Pour pérenniser mes chances de retrouver, intacte, le matin venu, l’envie d’écrire qui me déchire, chaque soir avant de m’endormir, j’écris sur mon cahier ces deux mots : À suivre…

Peste perdue

C’est certain, à cinquante-six ans, avec des enfants de vingt-huit et trente-deux ans mariés tous deux, ils n’étaient pas sur la liste des familles d’accueil agrées. Aux vacances de Noël, ils ont fait une demande d’hébergement provisoire qu’ils n’ont pas obtenue, mais l’ASE (la DDASS n’existe plus) du département et la direction excédées par mon comportement m’ont laissée amener sous réserve du passage de l’assistante sociale tous les deux jours, peut-être afin de mesurer les ravages que je causerai chez les accueillants. Une chambre pour moi seule, avec un grand lit, un bureau, des gens ravis de me recevoir, je peux le dire, je n’ai même pas levé le couvercle de la poubelle. J’ai pris une douche matin et soir. J’ai peigné mes cheveux rebelles avec minutie et en ai fait une grosse tresse. J’ai enfoui la fierté, l’impudence et toutes mes velléités de rébellion au plus profond de moi, afin que personne ne se doute de ma capacité d’insoumission ni de la rage qui m’habite parfois.

Tout le monde le sait, prendre sur soi ne peut durer indéfiniment, à un moment ou un autre, le couvercle saute. L’explosion ? J’ai refusé d’aller faire les courses avec eux à cause d’un dessin animé à la télévision.
— Parfait, nous irons en courses un autre jour, nous ne pouvons te laisser seule, tu es trop jeune, a dit l’homme, mais il n’y a aucune raison que nous soyons les seuls à être punis, arrête la télévision.

J’ai compris au ton de sa voix que je n’y couperais pas, même en faisant une montagne de caprices et, en même temps, j’ai réalisé qu’il souhaitait que j’appuie moi-même sur le bouton d’arrêt. En un week-end, il m’a fait comprendre que plus le chien tire sur sa laisse, plus il s’étrangle et moins il se libère.

Le premier pas était fait. Les vacances, les week-ends, sans réelle autorisation officielle, je retrouvais ma chambre avec plaisir. Puis les autorités ont ouvert le parapluie et se sont mises à l’abri en officialisant les choses. Ils sont payés pour me garder, toutefois, je pense leur coûter plus qu’ils ne touchent. Si je ne m’étais pas sauvée comme une folle ? Je ne sais pas, le courant serait peut-être passé un jour ou l’autre, qui peut le dire ?

À les voir tous deux taper à l’ordinateur, je me demandais ce qu’ils faisaient. J’avais six ans, je ne savais pas lire, de toute façon, je ne pouvais pas lire, mais, j’avais des oreilles. J’ai passé des jours et des jours, attachée au fil du casque, à écouter la documentation qu’ils réunissaient pour leur travail de nègre, puis le résultat qu’ils remettaient à leurs clients. À six, puis sept ans, il y avait un tas de choses que je ne comprenais pas. Je les bombardais de questions, origine de ma bavardise sans doute ! J’ai découvert la connaissance grâce à eux, de la découverte, je suis passée à l’intérêt, de l’intérêt à la passion, pour ne pas dire à la folie.

J’avais prévu un tas de Sopalin avant de lire mon petit texte à leurs noces d’or. Les fontaines de Venises avaient l’air de compte-gouttes à côté. Je voulais le dire depuis longtemps, mais on pense toujours : demain, il fera jour. Le lendemain, effectivement, il fait jour et la nuit tombe sans que nous ayons rien fait de ce que nous souhaitions faire.

Parfois, ils regrettent de m’avoir soumise à leur influence contestable qui, désormais, serait devenue pesante. Ils se trompent, je suis capable de rejeter ce que je n’aime pas. Je devais mener un combat pour tracer mon chemin et j’avais besoin d’être poussée dans la montée. Si je n’ai pas esquivé, c’est que j’y trouvais mon compte.

Le dressage de la sauvageonne, c’est ainsi qu’il convient de résumer la métamorphose d’une peste en fille que j’espère toujours fière et dure, même si à l’intérieur, elle reste tendre comme un Chamallow. Une fille élevée dans une politesse et une courtoisie à l’ancienne remplie de qualités désuètes, enfin certains le pensent ? Aujourd’hui, elle est heureuse de porter haut le bénéfice de ces traits de caractère rares, comme l’étendard de l’enseignement que l’on lui a méticuleusement dispensé.
Une fille qui reconnaît en eux des gens simples et bons. En onze années, ils ont su lui insuffler toute la force et tous les mots dont elle avait besoin, tout ce qui était indispensable à sa vie et le savoir utile pour l’écrire dans Mon parrain…

Ne donnons pas raison à ceux qui pensent qu’un cœur sur la main use plus vite qu’un cœur égoïste frileusement abrité dans l’armure d’une poitrine. Lorsque le feu enflamme notre sang et le pousse à bouillonner très fort, il prend toute la place dans nos sentiments. Les lacrymales, écrasées, déversent leur trop-plein à l’extérieur, aucune honte ne coule de cette source, seuls les sentiments et la joie en sont dignes. Affirmons notre seule qualité humaine : l’émotion… Ne faisons pas le jeu des indifférents : ne retenons pas notre incontinence émotionnelle…

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Re: Peste perdue

Message par Liza »

Loustic, dors-tu ?
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Re: Peste perdue

Message par Dona »

Pour l'instant, je n'ai lu que le titre !! Et chapeau pour l'avoir trouvé !!!
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Montparnasse
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Re: Peste perdue

Message par Montparnasse »

On retrouve la même verve, le même élan que dans tes meilleurs productions. Il y a une parenté évidente avec "Mon parrain", une résonance sur le mode mineur.

Quelques remarques
Liza a écrit :afin que personne ne se doute de ma capacité d’insoumission ni de la rage qui m’habite parfois.
Je dirais plutôt : "afin que personne ne s'aperçoive de la capacité d’insoumission et de rage qui m’habite parfois."
Parfois, ils regrettent de m’avoir soumise à leur influence contestable qui, désormais, serait devenue pesante.
Enigmatique Liza (sourires). Je te l'ai déjà dit. On comprend mieux en lisant la suite du paragraphe, mais, immanquablement, le lecteur va se demander pourquoi "influence contestable", pourquoi "pesante" (il n'est pas dans ta tête). Tu dois l'expliquer pour ne pas le frustrer.
la métamorphose d’une peste en fille que j’espère toujours fière et dure,
Idem. Pourquoi espères-tu qu'elle soit toujours "fière et dure" ? Il faut le motiver, sinon tu ne recueilles pas l'empathie du lecteur. En plus, force est de constater que ça contredit les qualités que tu développes dans les deux derniers paragraphes : fière, oui, mais dure, non.
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Re: Peste perdue

Message par Liza »

Je laisse se doute, parce que « s’aperçoive » induit un commencement de la manifestation de mon caractère, ce n’est pas le cas.

Ils regrettent, oui, un peu hermétique, à expliquer.

Fière et dure ? J’ai envie de maintenir, ne peut-on être fière, dure, inflexible comme une tringle à rideau tout en fondant en larmes devant un touchant spectacle de la vie ordinaire.

Tu as le chic pour me mettre dans l’embarras et, finalement, c’est ce qui est intéressant dans la critique : forcer la réflexion et supprimer les automatismes. À partir du moment où nous réfléchissons, nous avançons !
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Re: Peste perdue

Message par Dona »

Liza a écrit :
- J’avais prévu un tas de Sopalin avant de lire mon petit texte à leurs noces d’or. Les fontaines de Venises avaient l’air de compte-gouttes à côté.

- Le dressage de la sauvageonne, c’est ainsi qu’il convient de résumer la métamorphose d’une peste en fille que j’espère toujours fière et dure, même si à l’intérieur, elle reste tendre comme un Chamallow.

- Lorsque le feu enflamme notre sang et le pousse à bouillonner très fort, il prend toute la place dans nos sentiments. Les lacrymales, écrasées, déversent leur trop-plein à l’extérieur, aucune honte ne coule de cette source, seuls les sentiments et la joie en sont dignes. Affirmons notre seule qualité humaine : l’émotion… Ne faisons pas le jeu des indifférents : ne retenons pas notre incontinence émotionnelle…

Liza

Pfiou ! ...

Il y a un diamant à l'intérieur de ce texte.

Comme MontpArnasse a fait les commentaires concernant ce qui pourrait être changé, moi, je préfère rester sur 'l'impression globale que suscite ce texte. Les citations que j'ai fait apparaître donnent une force incroyable à cet écrit : les fontaines de Venise, la fille Chamallow... ce sont vraiment de très belles images ! Derrière l'humour, il y a l'émotion ou alors il ne faut pas adhérer au texte. Pour moi, c'est vraiment réussi.
La fin (que j'ai citée) est magnifique et pourtant sobre. C'est de là que vient toute son amplitude. C'est vrai, ce n'est pas lyrique mais c'est toutefois très
puissant. Moi, je le comprends très bien. Touchée en plein coeur ! :coeur:
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Montparnasse
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Re: Peste perdue

Message par Montparnasse »

Liza a écrit : Fière et dure ? J’ai envie de maintenir, ne peut-on être fière, dure, inflexible comme une tringle à rideau tout en fondant en larmes devant un touchant spectacle de la vie ordinaire.
Je te fais confiance. Tu dois être plus savante que moi en matière de tringles à rideau. En revanche, un peu plus de souplesse offre toujours une plus grande résistance, à la manière du mât des navires. C'est un marin qui te parle. Quoi qu'il en soit, je vais me coucher, parce que souple ou pas, ma résistance atteint ce soir ses limites. (smiley qui s'endort)

Rassurez-vous, Thétis est programmée pour s'éteindre à minuit, comme d'habitude. Et Spleen sera bordé par elle un peu avant.
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Re: Peste perdue

Message par Liza »

Bon, les lauriers son coupés !

Pour Dona, dans le choix du titre, dans mon esprit je cherchais une similitude avec Peine perdue pour Parrain et Marraine. C'est s'étriller les méninges pour rien, finalement le parallèle ne se fait pas!

Maintenant je vais me contenter de dire ma façon de voir ce qui m'entoure. Enfin, à temps perdu !

Si cela vous rase, vous le dites, je file en mousse, comme un blaireau.

Je m'amuse ici ! Je ne vous dis pas le froid que ficheraient ce genre de blagues à l'institut ! Il n'y a aucun rideau mais c'est rigide comme les piliers du XVIIe qui le soutiennent.

Cette fois, je tire la couette, au fond du lit, demain me guette !
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Re: Peste perdue

Message par Montparnasse »

Liza a écrit : Maintenant je vais me contenter de dire ma façon de voir ce qui m'entoure. Enfin, à temps perdu !

Si cela vous rase, vous le dites, je file en mousse, comme un blaireau.
Nous sommes curieux d'apprendre ce que tu vois.
Liza a écrit :Cette fois, je tire la couette, au fond du lit, demain me guette !
Combats tes ennemis !
Baciles et vibrions,
Rampent et se multiplient
Carillonnent sous ta couette,
Font bouillir leurs chansons,
S'accrochent à ta raison,
Te font perdre la tête !
Quand les Shadoks sont tombés sur Terre, ils se sont cassés. C'est pour cette raison qu'ils ont commencé à pondre des œufs.
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Re: Peste perdue

Message par Liza »

Un peu court pour rendre hommage à une maladie trop répandue.

Combats tes ennemis !
Bacilles et vibrions,
Rampent et se multiplient
Carillonnent sous ta couette,
Font bouillir leurs chansons,
S'accrochent à ta raison,
Te font perdre la tête !
Sans grimacer comme un histrion,
J'accepte les soins des roupions.
Encerclée par sa natte,
Ma tête n'a plus de date.
Dans mon lit perdue,
La grippe répandue.
J'attends l'éclaircie,
Le beau temps par ici.
On ne me donne jamais rien, même pas mon âge !
 
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